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n'était que pour les affaires purement civiles, et non pour les affaires commerciales. La cour de cassation a rejeté cette distinction en ces termes : « Vu l'article 121, etc.; << considérant que les expressions générales de cet arti<«<cle ne souffrent aucune exception, soit relativement à «la nature de l'affaire qui a été portée devant un tribu«nal étranger, soit relativement à la qualité en laquelle << un Français a été partie ; qu'ainsi on ne peut, pour l'ap « plication dudit article, admettre de distinction, soit en<«< tre le cas où l'affaire sur laquelle est intervenu un juge«ment étranger, est commerciale ou purement civile << soit que le Français y ait été demandeur, défendeur, << ou partie intervenante; mais que la loi refuse indistinc<«tement toute force exécutoire en France aux jugemens étrangers.... >>

L'article 2123 du Code ne renferme point, et aucune disposition dans nos lois n'admet cette distinction, en sorte que les jugemens civils et commerciaux sont également assujettis à une vérification préalable.

Mais la circonstance qu'une hypothèque est attachée à tout jugement exécutoire en France, donne à notre première proposition une nouvelle force. C'est en quelque sorte une création de notre droit français, que l'hypothèque judiciaire qui était presque incounue chez les Romains; elle appartient donc plus particulièrement encore à notre droit civil, que toute autre hypothèque qui, par sa nature, étant un droit réel, ne peut appartenir au droit des gens, et repose sur une fiction qui n'entre point dans la simplicité du droit des gens, que les Romains ont adoptée dans un âge avancé de leur droit civil, et que nous avons nousmêmes long-temps ignorée.

Or, si pour être recevable à produire cet effet de notre droit civil, un acte ordinaire passé à l'étranger doit avoir reçu d'avance, dans un traité ou une loi politique, l'im pression du sceau de l'autorité du roi de France; si l'exé

cution parable qu'il reçoit comme obligation personnelle, ne saurait seule lui donuer la vertu de produire hypotheque, ne faut-il pas, à bien plus forte raison, qu'un jugement étranger ait, non cette simple formule, mais le nerf même de l'autorité du roi, en se recréant en quelque sorte dans une nouvelle discussion dont le résultat devient l'expression de la volonté souveraine qui imprime et emporte l'hypothèque.

Notre proposition est donc incontestable, que les jugemens rendus en pays étrangers, entre étrangers et Français, ne seront exécutoires qu'après une nouvelle discussion.

293. Mais en est-il de même des jugemens simplement rendus entre étrangers? Il semblerait d'abord qu'une simple ordonnance d'exécution devrait régulièrement suffire. M. Séguier, avocat général, était de cet avis. « On dis« tingue, disait-il, dans les jugemens étrangers, entre « ceux qui sont rendus contre un Français en faveur d'un étranger, et ceux qui sont rendus entre deux étrangers : « les premiers n'ont pas d'exécution en France, le Français peut de nouveau discuter l'affaire et la soumettre à << ses juges nationaux; mais les jugemens rendus en pays étranger, entre deux étrangers, peuvent être mis à exé<«< cution en France, avec une simple permission du juge, parce que l'ordonnance qui défend l'exécution des ju<< gemens étrangers en France, n'a entendu établir le pri << vilége qu'en faveur des Français. »

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Henrion, dans son recueil de jurisprudence française professe la même opinion en citant plusieurs arrêts à l'appui. « Les jugemens des cours étrangères, dit-il, rendus « contre des étrangers, s'exécutent en France sans nou<< vel examen et sur simples pareatis. Mais veut-on se prévaloir d'un pareil jugement contre un naturel fran«çais? à l'instant son autorité s'évanouit; il n'y a plus de

<< jugement, et le Français peut demander que la question << soit de nouveau discutée devant les juges naturels. »

Cependant fidèles à la règle que nous avons établie, que l'impression du droit d'hypothèque sur les biens situés en France est un acte tout pur de l'autorité souveraine du roi de France, nous pensons que les jugemens rendus entre étrangers ne pourraient produire cet effet qu'autant que notre souverain se les serait appropriés, et en aurait fait un acte de sa propre justice, en les recréant par une nouvelle discussion. Notre opinion est entièrement conforme à celle de M. Persil qui, dans sa seconde édition de son ouvrage sur les hypothèques, a recueilli et balancé les différentes autorités qui devaient faire incliner pour ce dernier parti. Il cite, à cet égard, Brodeau sur l'article 164 de la coutume de Paris, et plusieurs arrêts, notamment des 13 août 1534, 21 mars 1585, 14 mars 1603, etc.... Cette décision est conforme aux idées d'une saine politique qui, dans l'intérêt général du commerce et des Français, ne doit pas permettre de faire fléchir, dans aucune circonstance, la règle qu'une hypothèque ne peut être imprimée en France qu'en vertu de l'autorité spéciale du roi de France, et dans les formes voulues par la loi française.

Au reste, il n'est pas nécessaire que les jugemens rendus entre étrangers soient irrévocables et passés en force de chose jugée pour emporter hypothèque. La raison est que l'hypothèque ne datant plus de la prononciation du jugement, mais seulement du jour de l'inscription qui en est faite sur les registres du conservateur, ne saurait rétroagir à la date du premier jugement, comme cela arrı vait autrefois, si l'on attendait l'arrêt confirmatif d'une cour souveraine étrangère, et qu'un débiteur de mauvaise foi pourrait abuser d'un délai quelconque pour rendre illusoire l'hypothèque de son créancier.

294. Après avoir ainsi développé le principe que les

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jugemens rendus en pays étrangers n'emportent hypothėque qu'autant qu'ils ont été déclarés exécutoires par les tribunaux français, il nous reste à expliquer l'exception.

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Les jugemens étrangers produisent en France hypothèque sans avoir été préalablement rendus exécutoires: 1o lorsque le gouvernement français leur a imprimé cette vertu dans une loi politique; 2o lorsque par un traité entre les deux nations, on leur a réciproquement donné cette force. Le souverain peut seul renoncer à sa prérogative de ne souffrir aucun empiètement sur son territoire dans l'intérêt de ses peuples, et l'on conçoit qu'il faut que cette renonciation soit bien expresse, ou que la déclaration que les jugemens étrangers emporteront hypothèque ou seront exécutoires en France, soit bien positive; qu'elle ne saurait être tacite ni s'induire d'une prétendue réciprocité non exprimée, que l'on fonderait sur ce que le gouvernement qui réclame ce privilége, l'accorde dans son territoire aux Français. Autrement, il serait au pouvoir d'un état, quel qu'il fût, de s'arroger un droit que le roi de France voudrait lui refuser, en accordant ce même droit aux Français, et de paralyser ainsi notre législation. Ce n'est point en ce sens qu'il faut entendre l'article 1f du Code civil ainsi conçu: « L'étranger jouira en France des « mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accor«dés aux Français par les traités de la nation à laquelle « cet étranger appartiendra. » La réciprocité de droits, d'après ces mots par les traités de la nation, dérive donc d'une stipulation faite dans les traités, et par cela même il n'est point au pouvoir d'un peuple, hors des termes de ce traité, de faire la loi à un autre peuple; cette réciprocité a donc sa source dans ce que nous pourrions appeler un traité synallagmatique qui lie les deux nations entr'elles. Hors de là l'effet de cette réciprocité se borne à ce qu'on appelle le droit de représailles, c'est-à-dire à refuser

à un étranger, en France, ce que la loi du pays de l'étranger refuse au Français.

Le parlement de Paris a consacré cette doctrine par son arrêt dans l'affaire de la princesse de Carignan. Nous allons transcrire ici un passage du plaidoyer de M. Dhéricourt, plaidant pour la princesse de Cariguan, dont les moyens furent convertis en principe par l'arrêt du parlement:

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Quels que puissent être les usages du Piémont, ils ne « peuvent point influer sur la contestation; il suffit que « nos lois rejettent l'hypothèque des contrats passés en « pays étrangers. Personne n'ignore que l'hypothèque est << un droit réel qui se règle par la loi du lieu où l'on veut l'exercer.

« Mais, dit-on, que deviendra le droit de récipro«cité qui doit avoir lieu entre deux états voisins, si l'on << rejette en France l'hypothèque des contrats passés en << Piémont, pendant qu'en Piémont on donne hypothe«que aux contrats passés en France?

« Pour faire tomber cette remarque, il suffit d'expliquer «< ce qui doit être entendu par la réciprocité, et quelles << sont ses bornes.

« La règle de la réciprocité prend sa source dans la << convention des souverains, et cette convention en fait << la base, mais on n'en peut tirer des conséquences qui << attaquent l'indépendance des différens souverains.

«

« Son effet se borne à ce qu'on appelle le droit de repré<< sailles, c'est-à-dire à refuser aux Piémontais, en France, << ce que la loi de Piémont refuse aux Français.

<< Mais la règle de la réciprocité qui s'observe entre les << nations ne peut obliger les magistrals français à accor<< der aux Piémontais, contre les lois de l'état, tous les « droits qu'on accorde aux étrangers en Piémont, à <<< moins que les deux souverains ne soient convenus « de la réciprocité par un traité conclu entr'eux, comme

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