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peut être détaché de cette puissance maritale dont il est le correctif.

306. Ces réflexions ne sont point inutiles, parce qu'elles peuvent servir à décider des questions importantes en cette matière. Je suppose, par exemple, que deux époux étrangers viennent établir leur domicile en France, et y obtiennent des lettres de naturalisation; la femme, devenue française, aura-t-elle une hypothèque légale sur les biens de son mari, pour sûreté des créances qu'elle pourra avoir à répéter contre lui lors de la dissolution de son mariage? Quoique la solution de cette question paraisse fort simple, elle mérite cependant quelques développemens qui trouveront leur utilitė.

Pour établir la négative, on dira que c'est à l'acte de célébration du mariage de ces deux époux qu'il faut se reporter pour régler les conditions de leur association conjugale; qu'ils s'en sont tacitement référés au prescrit de la loi du lieu où ils ont contracté mariage, et que s'il est vrai de dire que leurs intérêts respectifs doivent être réglés par les clauses expresses de leur contrat, ou les clauses tacites écrites dans le texte de leur loi primitive, il en doit être de même de ce qui sert de garantie à ces intérêts purement pécuniaires, et par conséquent de l'hypothéque légale; qu'il serait étrange que la loi française pût changer la nature et les conditions de leur association, et que la stipulation tacite de l'hypothèque légale, n'étant point intervenue dans leur contrat, la loi française ne saurait ajouter à ce qui n'est point dans son domaine.

Mais l'affirmative s'appuie sur des motifs bien plus puissans, et que nous regardons comme décisifs. Et d'abord, c'est partir d'un principe faux que de rattacher l'hypothèque légale à l'acte de célébration du mariage, et que de la mettre au rang des clauses ou conditions tacites du mariage contracté. Nous avons démontré que cet acte de

protection ne reposait point sur une convention tacite, qui jadis était la base fictive des hypothèques tacites ou légales, mais qu'il était le correctif inséparable de la puissance maritale; que la loi, en plaçant entre les mains du mari cette arme dont il pourrait abuser, a couvert un sexe timide et faible d'une armure destinée à le mettre à l'abri de ses atteintes; que si, dans l'intérêt public, il fallait donner au plus fort le gouvernement de l'association conjugale', il fallait aussi, pour ne pas le changer en despotisme et pour ne pas cesser d'être juste, que la loi donnât à la femme un préservatif dans une protection spéciale. Quand la loi française revêtira le mari d'une puissance qui peut devenir offensive, il faudra qu'elle couvre en même temps la femme de l'égide qui y est attachée : l'une est inséparable de l'autre ; ce sont les deux termes ou le rapport indivisibles d'une juste et nécessaire proportion entre les droits des deux époux; et l'hypothèque légale sera à la femme ce que la puissance maritale sera au mari.

La question réduite à ces termes, voyons donc si le mari étranger, devenu Français, jouira sur sa femme de la puissance maritale telle qu'elle est réglée en France; cela ne peut faire la matière d'un doute. Il s'opère par le fait de sa naturalisation une révolution dans ses qualités personnelles, et la puissance maritale étant de droit public, il impliquerait contradiction qu'il pût continuer à la tenir d'un gouvernement auquel il n'appartient plus. La liberté, ce trésor si précieux, est réglée par l'autorité souveraine de chaque royaume, et n'en devient par-lá que plus parfaite; les restrictions qui y sont apportées en France ne peuvent donc venir, dans leur principe comme dans leur forme, que de l'autorité réguante en France, ou du pouvoir de la loi française; le mari étranger devenu Français cesse donc de tenir d'une autorité devenue étran gère pour lui, un pouvoir et une autorité dont le prin

cipe et le mode sont désormais fixés et réglés par la loi française. La puissance maritale avec tous ses effets, tels qu'ils se comportent parmi nous, appartient donc au mari étranger naturalisé.

La chose étant ainsi, l'hypothèque légale, qui en est le correctif inséparable, qui, comme elle, a son principe dans le droit public, devra appartenir à la femme étrangère devenue Française. Autrement, la loi cesserait d'être juste; elle romprait ce qui ne peut être divisé ; elle détruirait un équilibre qu'elle a elle-même établi; elle violerait une de ses dispositions les plus expresses, qu'elle a jugée, qu'elle a déclarée juste, nécessaire; ce qui ne pourrait se supposer sans absurdité. La loi, en effet, s'est tellement attachée à établir cet équilibre, elle en fait un point si capital, qu'elle a étendu l'hypothèque légale de la femme sur les biens donnés à son mari par contrat de mariage, avec stipulation de retour en cas de prédécès, subsidiairement, il est vrai, bet en cas d'insuffisance des biens du mari, mais pour sa dot et toutes ses conventions matrimoniales à la fois (art. 952 du Code). Il y a plus : cette hypothèque légale s'étend même sur des biens qui n'appartiennent pas aux maris, sur ceux qu'ils sont chargés de rendre en cas de substitution fidéicommissaire, en cas d'insuffisance de leurs biens libres, pour le capital des deniers dolaux de la femme, et dans le cas où le testateur l'a expressément ordonné (1).

C'est par suite de la même faveur que l'hypothèque légale frappe à la fois l'immeuble dont le mari s'est dépouillé par échange, et celui qu'il a reçu en contre-échange. (Arrêt de cassation, au Journal du Palais, tom. 1, 1816, page 460.)

(1) La femme n'a de recours à exercer que pour le capital de sa dot, à la différence de ce qui se pratiquait sous l'ordonnance de 1747, ой les intérêts, le douaire, les gains de survie, et autres avantages, pouvaient grever les biens substitués.

307. L'impression de ce droit réel étant l'ouvrage de la loi française, ne peut s'appliquer à des biens immeubles situés à l'étranger; mais il faut remarquer pourtant que les habitans seuls du pays où ils sont situés, seraient recevables à invoquer la faveur d'un statut réel contraire; que si, sur la vente de ces immeubles, un ordre s'ouvrait entre les créanciers du mari, la femme devrait être préférée à tous les créanciers français. On conçoit qu'un droit réel ne puisse s'imprimer sur les immeubles d'un état par la force d'une autorité étrangère; que ce droit réel qui est un principe d'aliénation, un morcèlement de la propriété, ne puisse, comme l'aliénation elle-même et la translation du domaine, être opéré que par le statut du lieu où les immeubles sont situés; mais dans l'intérêt de qui cela estil réglé de la sorte? Dans l'intérêt seul des créanciers regnicoles, et si leurs droits sont respectés, quel obstacle peut s'opposer à ce que la femme qui a une hypothèque légale soit préférée aux autres créanciers de son mari?

Vainement dirait-on que le droit de préférence et l'ordre se doivent régler pour les immeubles par les statuts du lieu de leur situation. Cela serait vrai quant aux formes extrinsèques de l'ordre, et à l'ordre de préférence à régler entre les créanciers de ce pays, mais rien ne mettrait obstacle à ce qu'en se conformant au statut local pour ce regard, l'ordre de préférence fût d'ailleurs réglé entre les créanciers français, conformément à la qualité de leurs créances et de celle de la femme, réglée et imprimée par la loi française.

Qu'en thèse générale et pour d'autres hypothèques que l'hypothèque légale, on ne pût faire fléchir la règle que les immeubles sont pour ce regard exclusivement soumis, ainsi que la distribution des deniers en provenans, aux lois de leur situation, nous ne le contesterons pas ; mais il ne faut pas considérer l'hypothèque légale comme une hypothèque ordinaire. Elle a un caractère particulier qui la

distingue des autres, et relativement à l'hypothèque judiciaire avec laquelle elle a le plus d'affinité, elle en diffère cependant essentiellement en ce que l'hypothèque judiciaire n'a de date que par l'inscription, et ne frappe que les immeubles qui appartenaient au débiteur au moment du jugement, s'ils sont encore en sa possession au moment de l'inscription, tandis que l'inscription faite par la femme fait reporter l'hypothèque légale au temps où elle a été départie par la loi.

C'est donc vraiment une prérogative particulière et distinguée imprimée à la qualité de femme mariée; il faut dèslors donner à cette prérogative conservatrice des intérêts les plus précieux, et dans l'intérêt privé de la femme, et dans l'intérêt public, toute la latitude possible, compatible avec les règles de l'équité.

308. Confirmons notre première proposition et l'extension que nous lui avons donnée, par des exemples.

Le père (art. 384 du Code civil), durant le mariage et après la dissolution du mariage, le survivant des père et mère, ont la jouissance des biens de leurs enfans jusqu'à l'âge de dix-huit ans accomplis, ou jusqu'à l'émancipation qui pourrait avoir lieu avant l'âge de dix-huit ans.

Je suppose que l'enfant eût des immeubles situés à l'étranger; qu'étranger d'origine ainsi que son père, ils soient venus l'un et l'autre se naturaliser en France, il est bien certain qu'en vertu de la puissance paternelle dont le père sera revêtu conformément à la loi française, il jouira de l'usufruit légal qui est un attribut inséparable de la puissance paternelle sur les biens immeubles de son enfant; il est bien certain encore que cet attribut de la puissance paternelle ne sera point effacé par le fait seul que l'enfant a des immeubles à l'étranger, sous le prétexte qu'ils ne sont point, dans le pays de leur situation, soumis à l'usufruit légal; à moins que des personnes habiles à invoquer la faveur d'un statut réel contraire, ne vinssent

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