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ciers, et d'autre part, par ses autres créanciers respectivement à un droit incorporel, invisible, qui entame et détériore leur gage, sans tradition, sans mise en possession effective, et leur porte un préjudice réel par le droit de préférence qui y est attaché? N'est-ce pas accorder å une convention privée le pouvoir singulier de sortir du cercle qui lui est tracé par toutes les lois? Les créanciers peuvent-ils voir quelque chose sortir du domaine de leur débiteur, lui manquer de novo et être acquis de novo à un tiers, dans l'impression invisible du droit d'hypothėque? La loi quæ in fraudem ne devient-elle pas dans ce cas vaine pour eux ? et ce droit réel en est-il moins une alienation véritable, puisqu'il consiste à suivre l'immeuble en quelque main qu'il passe, et à être préféré sur le prix?

Mais, dira-t-on, ce vice attaché à une convention privée disparaît devant la nécessité de la consigner en France dans un acte authentique pour lui faire produire hypothėque, et cette authenticité donne à la convention la vertu de produire hypothèque. Je le nie, et la nature de l'acle public ne va pas jusqu'à produire cet effet. Nous avons vu que la vertu inhérente au sceau de l'autorité publique apposé à un acte, donnait, jusqu'à un certain point, à l'hypothèque son efficacité à l'égard des tiers, parce que l'acte public fait foi de ce géré à l'égard des tiers, ce qui forme une condition essentielle de la publicité de l'hypothèque. Mais cette qualité probante de l'acte authentique ne peut aller jusqu'à préjudicier aux tiers et à favoriser la fraude faite aux créanciers. Il prouve rem ipsam, mais ne peut leur nuire par cette chose même.

Sans doute il est des cas où l'acte géré peut préjudicier à des tiers, par exemple, quant à l'acquisition du titre et de la condition nécessaires pour prescrire; mais, dans ce cas, la prescription est basée sur une possession qui se compose d'actes réels, patens et visibles, et qui ont une certaine durée; elle ne s'opére pas instantanément comme

l'impression irrévocable, subite et invisible du droit réel d'hypothèque; le possesseur de bonne foi peut, au préjudice du propriétaire, en vertu de ce titre, percevoir et faire les fruits des siens de bonne foi; mais cette acquisition de fruits ne s'opère pas dans le secret, et elle n'est pas instantanée et ne constitue pasun droit irrévocable comme la constitution de l'hypothèque.

Quand la loi, qui seule a pu donner cette extension à l'acte public, la lui a donnée, elle a eu soin de la fonder sur les principes incontestables du droit qui sont, que le domaine ne doit pas toujours rester flottant et incertain; qu'il serait inique que le possesseur de bonne foi fût victime de la fraude d'un tiers. Mais où est le principe de droit, d'équité, qui peut autoriser le préjudice grave porté à des tiers par l'impression invisible d'un droit réel quí n'est accompagné d'aucune possession, d'aucun fait ostensible, à laquelle ils ne peuvent plus ni parer ni porter remède?

L'existence de l'hypothèque par le seul effet de l'authenticité de l'acte, était donc une monstruosité dans notre législation; elle était dans cet état de choses, bien plutôt une mutilation du droit des tiers, qu'un droit réel imprimé sur la propriété du débiteur, en faveur d'un créancier. Que fallait-il donc pour en faire un véritable droit d'hypothèque ? lui donner un corps sensible par la publicité. Les tiers alors avertis de l'aliénation, le créancier contractant connaissant la valeur réelle de ce qui lui était hypothéqué, n'avaient plus à souffrir d'un acte qui leur était étranger, ou de l'impression d'un droit réel préexistant.

Les principes immuables du droit nous ont donc conduits à cette conséquence que la publicité ou l'inscription fait une partie intégrante et substantielle du droit hypothécaire. 1

339. S'il était besoin d'appuyer ce raisonnement d'autorités, nous dirions qu'en Hollande et dans les pays voi

sius, la publicité et l'inscription étaient regardées comme une condition essentielle de l'existence de l'hypothèque; que ce principe avait été consacré par les ordonnances les plus formelles ; et l'un des plus célèbres jurisconsultes de ce pays, Voët. nous apprend qu'on n'y peut soumettre un immeuble à l'hypothèque spéciale que par la relation ou l'insinuation solennelle qui en est faite, devant le juge, de la situation, à la charge de payer au trésor la quarantième partie de la créance inscrite; quant à l'hypothèque générale, qu'elle perd tout droit de préférence, si elle n'a pas été constituée devant un juge de Hollande, et solennellement relatée ou inscrite, en payant au trésor la quarantième partie de la créance.

340. Mais, saus aller chercher des exemples chez nos voisins, rendons à plusieurs coutumes de France la justice qu'elles ont formellement consacré le principe de la publicité de l'hypothèque, comme base de son existence. Les tribunaux supérieurs des pays de nantissement avaient solennellement déclaré « qu'ils regardaient la publicité « des hypothèques comme le chef d'œuvre de la sagesse, «< comme le sceau, l'appui et la sûreté des propriétés, << comme un droit fondamental dont l'usage avait pro<< duit, dans tous les temps, les plus heureux effets, << avait établi autant de confiance que de facilité dans les << affaires que les particuliers traitaient entr'eux. »

et

Les coutumes d'Amiens, article 137, de Vermandois, article 119, et d'Artois, article 72, voulaient que les contrats, quoique passés devant notaires, n'emportassent point hypothèque contre des tiers personnes, et fussent, à leur égard, réputés purs, personnels et mobiliers, s'ils n'étaient nautis et réalisés par les officiers des lieux d'où relevaient les biens affectés et obligés.

341. Les législateurs modernes, en rendant aux principes l'hommage qui leur était dû, ont pris pour modèle les lois sur le nantissement qui a servi de type au nouveau

régime hypothécaire qu'ils ont fondé sur les deux bases de la spécialité et de la publicité.

Ainsi, l'hypothèque a été véritablement constituée par l'inscription.

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..342. Pour prouver que l'hypothèque ne doit son existence qu'à l'inscription, nous n'avons donc pas besoin de comparer entr'eux les différens articles du titre des hypothèques qui consacrent explicitement ou implicitement cette vérité; cet examen teudrait bien plutôt à justifier le législateur d'inconséquence, qu'à établir que l'inscription est une condition substantielle de la création de l'hypothèque.

Sur quoi est fondée la nécessité de l'inscription? Su ce priucipe d'éternelle justice que personne, par son fait, ne doit nuire à des tiers ; et que, de quelque manière que ce soit, personne ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui : Nemo jactura alterius ditescere debet. Ainsi, soit qu'une hypothèque soit conventionnellement consentie, soit que par le fait de deux parties co-litigantes un jugement soit reuduemportant hypothèque judiciaire, soit que la loi ellemême accorde à telles ou telles créances une hypothèque privilégiée, ces hypothèques n'existeront que par l'ins-. cription, Dans tous ces cas, s'il n'y a point d'inscription de prise, ou si elle est tardivement ou inutilement prise, les créanciers seront réduits à la condition de simples chirographaires, et seront payés avec eux par contribution?

C'est ce que Voët décide de la manière la plus formelle: « Extrà quos casus exceptos nullam sibi quisquam prælationem sperare potest in immobilibus debitorum bonis, si superius commemorata solennitas observata non sit, adeo ut nec illi, qui publico instrumento, coram tabellione ac testibus confecto, hypothecam sibi constitutam habent; aliis ex privatâ tantùm scripturá, agentibus, aut debitum sine scripturá contractum persequentibus potiores sint, » Ces mots extrà quos casus exceptos doivent s'entendre

des hypothèques légales et des obligations contractées pour l'utilité des pupilles, qui étaient nominativement exceptées de la règle générale.

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Ce n'est donc que dans les cas nominativement exceptés par la loi que le créancier pourra se dispenser d'inscrire son hypothèque, et ces cas sont taxativement énoncés dans l'art. 2135 ainsi conçu: « L'hypothèque existe indépendamment de toute inscription, 1o au profit des mi<< peurs et interdits, sur les immeubles appartenant à leur << tuteur, à raison de sa gestion du jour de l'acceptation « de la tutelle; 2o au profit des femmes pour raison de <<< leurs dots et conventions matrimoniales, sur les immeubles de leurs maris et à compter du jour du ma«riage.» Cette exception posée par le législateur confirme la règle.

343. Cependant, pour démontrer que le législateur conséquent à lui-même n'a point violé un principe dont il a fait la base du régime hypothécaire, nous allons présenter le tableau rapide des dispositions de la loi à cet égard.

L'article 2 de la loi du 11 brumaire an 7, qui avait déjă fait de la publicité la base du régime hypothécaire, s'exprimait en ces termes : « L'hypothèque ne prend rang et « les priviléges sur les immeubles n'ont d'effet que par << leur inscription sur des registres publics. »

L'article 3 de la même loi ajoutait: « L'hypothèque « existe, mais à la charge de l'inscription. »>

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L'orateur du gouvernement, fidèle aux mêmes principes, dit (Voy. son Discours, édition de Firmin Didot, p. 62) que l'hypothèque conventionnelle doit être nécessairement inscrite pour produire son effet; que l'hypothè que judiciaire doit aussi acquérir la publicité par l'inscription. Il en dit autant de l'hypothèque légale, du moins de celle qui frappe les biens des comptables en faveur du trésor public, des communes et des établissemens publics : « La loi`, dit-il, pag. 65, leur donne une hy.

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