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Nonobstant ces raisons, tous les jurisconsultes les plus distingués avaient décidé, et il était consacré en principe, que l'hypothèque légale de la femme et du pupille, quoiqu'accordée par les constitutions des princes, en considération de la personne de la femme et de celle des pupilles, à raison de leur faiblesse et de leur inexpérience, et sous un point de vue d'ordre public qui ne permettait pas que les femmes restassent sans dot, et les pupilles sans défense, était cependant un pur droit réel, inhérent aux biens des maris et des tuteurs, et transmissible à leurs héritiers; et il aurait fallu une novation bien caractérisée des créances auxquelles elle était affectée, pour qu'elle pût s'éteindre. Nulle part, en effet, les lois n'avaient placé la dissolution du mariage, la cessation de la tutelle et la mort du créancier, au rang des causes d'extinction de l'hypothèque.

Ces principes ont été conservés dans toute leur pureté dans notre droit français; l'hypothèque légale de la femme et du pupille était transmissible à leurs héritiers, à quelqu'époque que leur décès arrivât, pourvu qu'elle ne fût d'autres causes, car la mort de éteinte d'ailleurs pour pas la femme ou du pupille n'était point mise au rang des causes d'extinction, qui étaient la confusion ou consolidation, la résolution ou extinction du droit de propriété de celui qui avait constitué l'hypothèque, l'extinction de la dette pour laquelle l'hypothèque avait été constituée, la remise expresse ou tacite de l'hypothèque, et enfin la prescription et autres manières introduités par les lois pour purger les hypothèques. (Voyez Pothier, chap. III, de l'hypothèque.)

l'avons déjà observé. Ce privilége était personnel à la femme, et ne passait pas à ses heritiers, excepté aux enfans du mariage. (Voyez Serres, Inst. du droit français, liv. 4, tit. 6, §. 29.) Aujourd'hui la créance d➜ la femme est hypothécaire, et n'est privilégiée qu'en ce qu'elle existe indépendamment de l'inscription'; mais ce privilége est inhérent à la créance et non purement à la personne.

L'édit de 1771, sur les hypothèques, n'a point dérogé à ces principes. Cet édit, portant création de conservateurs des hypothèques sur les immeubles réels et fictifs des débiteurs, avait réglé le mode de purger les hypothèques dont ils étaient affectés, attendu qu'il était de l'intérêt public que les acquéreurs ne fussent pas indéfiniment inquiétés par l'exercice de droits réels dont ils n'auraient pas eu connaissance. En conséquence, cet édit portait, art. ¡er, création d'une chancellerie dans chaque bailliage et sénéchaussée, à l'effet seulement de sceller les lettres de ratification obtenues sur les contrats de vente et autres actes translatifs de propriété. Art. 2, création d'offices, de conservateurs, gardes des sceaux, et greffiers expédi tionnaires des lettres de ratification. Tous les proprié taires (art. 6) d'immeubles réels ou fictifs, par acquisi tion, échange, etc., qui voulaient purger les hypothèques, étaient tenus de prendre, à chaque mutation, des lettres de ratification L'acquéreur, avant le sceau desdites lettres, était tenu (art. 8) de déposer au greffe du bailliage ou sénéchaussée dans le ressort duquel étaient situés les heritages vendus, le contrat de vente d'iceux, et le greffier devait, dans les trois jours, insérer dans un tableau placé dans l'auditoire un extrait dudit contrat, quant à la translation de propriété seulement, prix et condition d'icelle, lequel devait rester exposé pendant deux mois, avant l'expiration desquels il ne pouvait être obtenu, sur aucun contrat, aucunes lettres de ratification.

Pendant ces deux mois, tous créanciers légitimes, et ceux qui prétendaient droit à privilége ou hypothèque, avaient encore le droit de former leurs oppositions entre les mains des conservateurs, à l'effet de conserver leurs priviléges et hypothèques, faute par eux de l'avoir formée, aux lermes de l'article 16, dans les trois années antérieures, car ce n'était pas la mutation qui faisait perdre l'hypothèque, mais seulement le sceau des lettres de ratification.

L'article 17 ajoutait que toutes les personnes, de quelque qualité qu'elles fussent, même les mineurs, les interdits, les absens, les femmes en puissance de mari, étaient tenues de former opposition dans la forme sus-indiquée, sous peine de déchéance de leurs bypothèques, sauf leur recours tel que de droit, contre les tuteurs et administrateurs qui auraient négligé de former opposition.

Et enfin l'article 32 exceptait formellement les hypothèques des femmes mariées sur les biens de leurs maris, des dispositions de l'édit, pendant la vie desdits maris. Cette dernière disposition semblait être en contradiction avec celle de l'article 17, qui exigeait que la femme en puissance fût tenue de former opposition aux hypothèques, à peine de déchéance; mais elles se concilient parfaitement, en observant que la femme n'était obligée de former opposition, quoiqu'en puissance de mari, que pour tout ce qui lui était du par un autre que son mari; en sorte qu'il reste constant que pour les sommes dues à la femme par son mari, elle était dispensée de former opposition pendant la vie de celui-ci.

Ainsi l'édit de 1771 a respecté l'hypothèque privilégiée des femmes, comme la législation antérieure ; elle survivait au sceau des lettres de ratification destinées à effacer toutes les hypothèques, et par conséquent à la purgation des hypothèques.

Il est vrai que l'art. 32 de cet édit dispose implicitement que les femmes seront tenues de former opposition quand leurs maris auront cessé de vivre; mais cette restriction ne porte pas atteinte au principe de la conservation intégrale de l'hypothèque, même après le mariage dissous ou la mort de la femme, à la charge, il est vrai, former opposition à partir du décès du mari, quand il est question de la purgation des hypothèques qui pèsent sur son immeuble; en sorte qu'il est vrai de dire que jusqu'à la nouvelle législation hypothécaire, l'hypothèque légale

de

de la femme a été, de sa nature, transmissible à ses héritiers, et ne s'est point éteinte par sa mort.

Doit-il en être de même aujourd'hui ? l'affirmative nous paraît seule fondée sur les principes incontestables du droit et ceux d'un solide raisonnement. L'hypothèque légale de la femme et du mineur, départie, il est vrai, par la loi, en considération de leur condition personnelle, n'est pas moins un droit réel inhérent aux biens du mari et du tuteur. Or, quel serait l'effet de ce droit réel s'il s'évanouissait au moment de la dissolution du mariage ou de la cessation de la tutelle, époque seule à laquelle, à vrai dire, il puisse être exercé et produire son effet? La loi, qui aurait jusques-là protégé la femme et le pupille, les abandonnerait-elle tout à coup en les plaçant dans l'impuissance de recouvrer leurs créances qui ne peuvent être déterminées qu'à cette époque, ou serait-elle assez injuste envers leurs propres héritiers, pour leur faire perdre un, patrimoine qu'elle s'était attachée à conserver en le mettant à l'abri des dilapidations du mari ou du tuteur? Une telle proposition ne pourrait sérieusement se soutenir, et ne mérite pas les frais d'une discussion.

Mais ici la question se complique. En avouant, ce qui ne peut être contesté, le principe que l'hypothèque légale ne cesse pas par la dissolution du mariage ou l'expiration de la tutelle, on demande si elle se conservera, ou si elle passera aux héritiers avec toutes les prérogatives qui y sont attachées durant le mariage ou la tutelle.

Attachons-nous fortement à cette vérité acquise, que l'hypothèque légale existe après la dissolution du mariage et la cessation de la tutelle, et qu'elle est transmissible aux héritiers; il en résultera la conséquence nécessaire qu'elle se conserve et se transmet avec les attributs qui lui sont essentiels..

Or quels sont ces attributs qui sont de l'essence de l'hypothèque légale ?

De fortes nuances distinguent l'hypothèque légale de la femme et du pupille, des hypothèques ordinaires; elles consistent :

1° En ce qu'elle frappe sur la généralité des biens que le mari et le tuteur possèdent à l'époque du mariage ou de l'acceptation de la tutelle', et sur ceux qu'ils pourraient acquérir dans la suite. Cette nuance forme un attribut essentiel de cette hypothèque légale ;

2o En ce que, pendant le mariage oula tutelle, la prescription de l'hypothèque légale ne peut courir ni en faveur du mari ou du tuteur, ni en faveur des tiers acquéreurs des biens affectés à cette hypothèque. Cette nuance est bien une prérogative de l'hypothèque légale de la femme et du mineur; mais elle n'est pas un attribut substantiel de ce droit considéré en soi. En effet, cette prérogative est fondée sur une exception purement personnelle à la femme et au pupille, qui ne pouvant agir contre leurs mari et tuteur, sont de droit commun relevés à leur égard de la prescription pendant le mariage ou la minorité. La prescription, porte l'art. 2252, ne court pas contre les mineurs et les interdits; elle ne court point entre époux, ajoute l'art. 2253. Ainsi cette nuance fondée sur la qualité personnelle d'épouse et de mineur, et la règle générale contrà non valentem agere non currit præscriptio, doit être écartée du nombre des attributs essentiels de l'hypothèque légale de la femme et du mineur. On doit dès-lors retrancher du droit réel d'hypothèque, cette prérogative personnelle, comme nous avons vu le droit de prélation dérivant de la L. assiduis, retranché de l'hypothèque légale de la femme, par Justinien qui", nonobstant ce, transmettait tout ce que ce droit avait de réel aux ayans-cause de la femme;

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3o En ce que l'hypothèque légale existe indépendam ment de toute inscription, et a rang du jour du mariage ou de l'acceptation de la tutelle. Cette nuance qui distingue

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