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« J'existence de l'acte qui forme l'origine de la créance, « et il est odieux que la femme, en s'obligeant ou en << vendant postérieurement, puisse primer des créanciers << ou des acquéreurs qui ont contracté auparavant avec <«<le mari. C'était là une source de fraudes qu'il est enfin << temps de faire disparaître.» D'après ces considérations, le tribunat proposa une rédaction nouvelle qui fut adoptée par le conseil d'état, et qui devint le texte de la loi tel qu'il est aujourd'hui (1).

349. Mais ici se présente la question de savoir si l'hypothèque légale de la femme, qui, régulièrement, date du mariage, date du jour même de la célébration du mariage ou du jour du contrat de mariage. M. Tarrible fait sur ce point une distinction qui me paraît formellement contredite par le texte précis de l'article 2135, seul destiné à fixer la date d'une hypothèque qu'il fait exister indépendamment de toute inscription. « La loi, dit M. Tarrible régit l'association conjugale à défaut de conventions littérales; celles-ci ne font autre chose que modifier ou changer les règles établies par la loi elle-même. Il suit de-là que, du moment où il y a mariage, il y a des règles qui déterminent les droits respectifs des époux. S'il n'y a pas de contrat écrit, ces règles sont celles qui sont directetement établies par la loi; s'il y a un contrat écrit, ces règles sont les mêmes, sauf les modifications que les contractans ont pu et voulu y apporter. - En appliquant, continue M. Tarrible, ces principes à l'hypothèque légale, nous trouverons qu'elle peut, suivant les circonstances, se rapporter aux deux époques dési- · gnées. S'il n'y a pas de contrat écrit, l'hypothèque a lieu du jour du mariage, attendu que c'est ce jour même que les époux se sont tacitement soumis au réglement de

(1) M. Tarrible, ibidem.

leurs droits respectifs, tel qu'il est tracé par la loi; s'il y a un contrat écrit, l'hypothèque doit dater de ce contrat, parce qu'il contient la convention expresse et réciproque des parties. »

J'observe d'abord qu'il résulte du principe bien constant qu'il existe pour les parties, au moment du mariage, une association conjugale écrite dans le texte de la loi, aux règles de laquelle elles ne font que déroger par leurs conventions expresses; que ces clauses tacites pourront n'être modifiées qu'en partie, et conséquemment devront produire tout leur effet à dater seulement du jour de la célébration du mariage; ce qui produirait cet effet singulier dans le systême de M. Tarrible, que les conventions expresses des parties auront une hypothèque à dater du contrat de mariage, et leurs conventions tacites ou clauses écrites dans le texte de la loi, la même hypothèque à dater seulement du mariage.

Ce n'est en effet, comme l'observe fort bien M. Tarrible, que le jour même du mariage que les époux se sont soumis au réglement tacite de leurs droits respectifs ; et leurs conventions explicites n'ont fait d'avance que modifier ce réglement qui sortira toujours son effet à la même époque.

J'observe, en second lieu, que le contrat de mariage est indivisible, et que les conventions explicites n'étant qu'une dérogation au contrat légal, cette dérogation ne peut avoir un effet antérieur au droit commun établi par la loi, dont elles ne sont que l'accessoire ou la modification.

J'observe, en troisième lieu, que dans tous les cas il n'y a point de contrat sans célébration de mariage, que l'existence et l'efficacité des droits pécuniaires des époux ne sont que le corollaire et la dépendance de la célébration du mariage; que le décider autrement, ce serait porter le préjudice le plus grave aux tiers qui pourraient contracter avec le mari dans l'intervalle, dans l'ignorance où ils pourraient

être des conventions déjà faites ; et par contre-coup, porter une atteinte au crédit du mari; qu'il n'y a point de délai fixé pour la célébration du mariage, après le contrat de mariage fait; et que s'il plaisait au futur époux de ne la réaliser que trois ou quatre mois après, par exemple, il s'ensuivrait donc que toutes les transactions et créances formées dans l'intervalle seraient paralysées, froissées, primées par une hypothèque légale que l'on verrait surgir tout à coup.

Enfin, je soutiens que sans s'arrêter à l'expression vague échappée au législateur dans l'art. 2194, qui ne s'occupe point du mode constitutif de l'existence de l'hypothèque, ni de fixer sa date, il faut exclusivement s'attacher à l'article 2135, qui s'occupe spécialement de tracer les conditions constitutives de l'hypothèque légale; que cet article dit positivement: « que l'hypothèque légale existe indépendamment de toute inscription.. 2o au profit

des femmes pour raison de leurs dot et conventions matrimoniales sur les immeubles de leurs maris, et à compter du jour du mariage » ; que par conséquent le législateur ne distingue point entre le contrat exprès et le contrat de la loi; que ces mots conventions matrimoniales désignent certainement et explicitement des conventions expresses, et que nonobstant ce, la loi fait dater l'hypothèque légale du jour du mariage.

La raison et le texte précis de la loi, texte qu'il faut seul invoquer, parce que lui seul constitue l'hypothèque légale, s'élèvent donc de concert contre l'opinion qui voudrait faire dater l'hypothèque légale du jour du contrat de mariage, quand il y en a un de passé.

350. Maintenant, que doit-on décider à l'égard des époux mariés antérieurement au Code? Le dernier paragraphe de l'article 2135 déclare évidemment que toutes les dispositions qu'il contient s'appliquent même aux femmes mariées au moment de l'émission de la loi : «Daus

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aucun cas, dit-il, la disposition du présent article ne << pourra préjudicier aux droits acquis à des tiers avant la «publication du présent titre. »

Ces droits ne sont que des droits hypothécaires, en sorte que si des hypothèques sur les biens du mari se trouvent déjà acquises à des tiers au moment de la publication de la loi, et si, d'après les lois alors existantes, ces hypothèques appartenant à des tiers doivent primer celles des femmes actuellement mariées, elles continueront de les primer encore après la publication du titre des hypotheques; mais s'il n'existe, au moment de la publication de la nouvelle loi, aucune hypothèque appartenant à des tiers, la femme, quoique déjà mariée, jouira d'une hypothèque légale pour toutes les créances qu'elle pourra avoir sur son mari, et celte hypothèque remontera au jour du mariage; et personne n'aura le droit de s'en plaindre, ui les créanciers hypothécaires, antérieurs, puisqu'on suppose qu'il n'en existe pas; ni le mari, puisqu'il est obligé de payer ses dettes aux dépens de tous ses biens; ni les créanciers postérieurs à la publication de la loi, puisqu'ils sont avertis par cette même loi que la femme actuellement mariée a une hypothèque légale, et que cette hypothèque existe indépendamment de toute inscription (1). La cour de cassation l'a ainsi jugé par un arrêt du 6 novembre 1809.

Cette vérité étant démontrée pour l'hypothèque légale de la femme, on sent qu'il en serait de même pour celle du pupille. Ajoutons ici quelques développemens au principe que nous avons posé.

551. La loi du 11 brumaire au 7 avait changé, il est vrai, la jurisprudence en matière d'hypothèque légale, en faisant dépendre l'efficacité de l'hypothèque légale, de l'inscription respectivement aux tiers; mais elle n'a point fixé de terme fatal dans lequel elle dût être inscrite; de

(1) M. Tarrible, v° inscription hypothécaire.

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sorte qu'il est vrai de dire que l'hypothèque existait toujours, quoique primée par des tiers antérieurement inscrits.

Si cette hypothèque légale avait pris naissance antérieurement à la loi du 11 brumaire an 7, elle devait, pour conserver son rang, être inscrite dans le délai de trois mois, qui a été prorogé par les lois subséquentes, pour inscrire toutes les hypothèques anciennes résultantes soit des conventions, soit des dispositions de la loi. Mais le défaut d'inscription dans ce délai ne faisait pas perdre l'hypothèque, mais en suspendait l'effet à l'égard des tiers qui s'inscrivaient antérieurement (art. 39 ).

Il résulte de-là que l'hypothèque légale n'a point été anéantie faute d'inscription, sauf les droits des tiers, et qu'elle n'a pu être éteinte que par les voies ordinaires.

Si donc une femme, devenue veuve avant le Code civil, avait négligé d'inscrire son hypothèque légale antérieurement au Code, cette hypothèque ne serait point anéantie sous le Code; car si elle existait même après la dissolution du mariage (sauf les droits acquis aux tiers) indépendamment de l'inscription, si aucun délai fatal n'était fixé pour prendre cette inscription, sous l'empire de la loi du 11 brumaire an 7, comment peut-on raisonnablement prétendre que sa condition serait devenue pire sous le Code, qui n'exige plus d'inscription, sans préjudice des droits des tiers acquis sous la loi de brumaire an 7? La promulgation du Code, qui a environné d'une si grande faveur l'hypothèque légale, détruirait-elle ce qui, sous la loi de brumaire an 7, était maintenu intact et susceptible d'être conservé, saufles droits antérieurement acquis à des tiers? La condition de la femme et du mineur deviendra-t-elle plus malheureuse parce qu'ils entrent sous l'empire d'une loi qui leur accorde une protection plus spéciale? Vainement nous opposerait-on quelques arrêts qui ont décidé le contraire. Si des circonstances particulières et si la qualité des faits n'ont pas déterminé de telles décisions, nous

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