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annoncent assez qu'il faut qu'il y ait eu de leur part pouvoir de prévenir.

Nous ne partageons donc point l'opinion de M. Tarrible, qui estime que hors le cas de l'hypothèque conventionnelle, le mari et le tuteur ne peuvent encourir la peine du stellionat pour l'omission simple de l'inscription de l'hypothèque légale de la femme et du mineur, ou pour avoir omis de faire à un créancier ayant des priviléges ou des hypothèques légales ou judiciaires, la déclaration de l'hypothèque légale établie sur leurs biens en faveur de la femme ou du mineur, parce qu'aucune disposition, dit-il, directe ou indirecte de la loi, n'indique ni le lieu, ni le terme, ni la forme dans laquelle cette déclaration doit être faite,

Le stellionat avait, dans les termes du droit romain, une acception plus étendue que celle qui lui est donnée par l'art. 2059 du Code : il était défini toute tromperie, toule dissimulation, toute imposture, n'ayant point la qualification de crime propre et passible seulement d'une peine subsidiaire introduite au défaut d'autre action pénale, l'exemple de l'action doli; et la punition du stellionat était, dans l'ordre des crimes, ce qu'était dans l'ordre des actions et des jugemens privés l'action doli. L. 3, stellionatus

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§. 1. Le stellionat, caractérisé par l'art. 2136 du Code, rentre dans les termes de la loi romaine; il consiste dans une tromperie une dissimulation de la part du mari ou du tuteur qui n'a pas déclaré l'hypothèque légale quand il pouvait le faire, ou qui n'a pas pris iuscription pour la rendre notoire aux tiers qui ont acquis depuis des priviléges ou hypothèques.

En droit romain, tout tuteur grevé d'une hypothèque légale qui, dissimulation faite de cette hypothèque, en laissait prendre une autre de la même espèce sur ses biens était stellionataire et punissable de la peine du stellionat. Nec obstat que lorsque, dans le temps, des Pandectes,

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le tuteur avait, après sa tutelle acceptée, contracté avec le fisc, il était coupable de ce qu'on appelait falsi crimen, et non du stellionat, le fisc ayant cependant une hypothèque légale el tacite sur ses biens. Cette disposition du droit romain tenait à ce qu'à cette époque le pupille n'avait point sur les biens de son tuteur une hypothèque légale, mais un privilége purement personnel entre les chirographaires. Mais depuis que ce privilege fut converti en une hypothèque légale, il y avait stellionat par cela seul que le tuteur grevé de cette hypothèque légale s'ingérait dans la perception et le recouvrement des deniers publics, et vice versa.

Nous devons donc conclure qu'il y aura stellionat, d'après l'art. 2136 rédigé dans l'esprit de la loi romaine qui nous régissait encore en France pour la nature et le caractère du stellionat (1), toutes les fois que le tuteur acceptera une autre tutelle ou un emploi qui lui donnera le maniement des deniers publics, dissimulation ou réticence faite de l'hypothèque légale dont il était déjà grevé; et qu'en général, quelle que soit l'hypothèque ou le privilége qui succède à celle qui pèse sur le tuteur ou le mari, dès qu'il y aura réticence de leur part, ce qui suppose le pouvoir de prendre inscription ou de prévenir de l'existence de l'hypothèque légale, il y aura stellionat; quela disposition de l'art. 2136 est expresse, et qu'on ne peut le décider autrement sans la violer ouvertement. L'obligation que le texte impose aux tuteurs et maris de prendre inscription, sans délai, confirme encore notre opinion.

La même peine sera encourue par les maris et les tuteurs, s'ils ne renouvellent point cette inscription dans les dix ans.

(1) Selon Domat, on était stellionataire non pour avoir déclaré libres des biens grevés d'hypothèque, mais pour n'avoir pas déclaré une hypothèque préexistante.

354. Passons à l'art. 2137; il est ainsi conçu: «Les << subrogés tuleurs seront tenus, sous leur responsabilité <<< personnelle et sous peine de tous dommages et inté« rêts, de veiller à ce que les inscriptious soient prises << sans délai sur les biens du tuteur, pour raison de sa << gestion, même de faire faire lesdites inscriptions.

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La loi a enjoint, dans l'article précédent, aux maris et aux tuteurs de prendre sans délai des inscriptions sur leurs propres biens; elle ordonne, dans celui-ci, au subrogé tuteur, sous sa responsabilité personnelle et sous peine de tous dommages et intérêts, de veiller à ce que le tuteur satisfasse, sans délai, à ce devoir, et même de faire faire lui-même ces inscriptions. Mais l'on voit que ce n'est encore que dans l'intérêt des tiers que la responsabilité du tuteur et du subrogé tuteur est engagée ; qu'elle ne touche point à l'hypothèque légale de la femme et du mineur qui existe indépendamment de toute inscription, et que le subrogé tuteur, responsable seulement, n'est point passible d'une autre peine s'il a négligé ou omis l'inscription.

Le recours donné aux créanciers contre le subrogé tuteur qui n'a pas fait l'inscription, n'est que subsidiaire, après discussion faite des biens du tuteur.

355. L'art. 2138 est ainsi conçu: « A défaut par les maris, tuteurs, subrogés tuteurs, de faire faire les inscriptions ordonnées par les articles précédens, elles seront requises par le procureur du roi près le tribunal civil du domicile des maris ou tuteurs, ou du lieu de la situation des biens. >>

L'esprit de cet article est le même que celui du précédent. Si les maris, les tuteurs et subrogés tuteurs ne satisfont pas aux injonctions qui leur sont faites, il prescrit au magistrat remplissant les fonctions du ministère public près le tribunal du domicile des maris ou tuteurs, ou du lieu de la situation de leurs biens, de faire faire l'inscrip

tion de l'hypothèque légale, mais sans engager sa responsabilité, tant la loi attache d'importance à cette publicité.

« Pourront les parens, soit du mari, soit de la femme, et les parens du mineur, ou, à défaut de parens, ses amis, requérir lesdites inscriptions: elles pourront aussi être requises par la femme et par les maris. >>

Cette disposition prouve, de plus fort, combien la loi attache d'importance à ce que l'hypothèque légale de la femme et du mineur soit rendue publique. Elle autorise les parens de la femme ou ceux du mari à la faire; et elle accorde la même faculté, non-seulement aux parens, mais aux amis du mineur. Elle ne l'accorde pas aux amis de la femme, parce qu'il eût été inconvenant que les amis d'une femme fussent appelés à concourir à la manifestation de ses droits. La proposition en fut faite au tribunat; et c'est cette réflexion qui la fit supprimer.

Les conservateurs ont cru qu'il était de ler devoir de prendre d'office cette inscription; mais une circulaire du 15 septembre 1808 leur a rappelé qu'ils ne pouvaient y procéder que sur réquisition du procureur général.

Ces dispositions successives, qui enjoignent expressément l'inscription de l'hypothèque légale des femmes et des mineurs, et qui épuisent les dernières ressources pour la procurer, prouvent assez clairement que cette hypothèque a une importance majeure et extraordinaire aux yeux de la loi dans l'intérêt des tiers, et corroborent l'interprétation que nous avons donnée à l'article 2136 sus-relatė; mais en même temps que, malgré toute cette importance attachée à sa publicité relativement aux tiers, ces dispositions ne touchent en rien la femme ni le mineur, il faut en conclure, comme nous l'avons déjà fait, que la loi attache une tout autre importance à l'existence de l'hypo thèque de la femme et du mineur, indépendamment de toute inscription.

356. Passons à la seconde série d'articles relatifs à la réduction possible de l'inscription de cette hypothèque légale.

L'article 2140 est ainsi conçu : « Lorsque, dans le contrat de mariage, les parties majeures seront convenues qu'il ne sera pris d'inscription que sur un ou certains immeubles du mari, les immeubles qui ne seraient pas indiqués pour l'inscription resteront libres et affranchis de l'hypothèque pour la dot de la femme, et pour ses reprises et conventions matrimoniales; il ne pourra pas être convenu qu'il ne sera pris aucune inscription. »

Nous avons vu que le législateur, en déclarant que l'hypothèque légale des femmes et des mineurs existait indépendamment de toute inscription, avait cependant cherché à balancer les inconvéniens de ce principe fondamental visà-vis des tiers, en procurant à cette hypothèque toute la publicité possible, et qu'en cela il s'est efforcé de la rapprocher de l'une des bases du régime hypothécaire.

Ici il cherche également à rapprocher l'hypothèque légale de la femme et du mineur, de la spécialité, qui est l'autre pivot de ce régime, et il lui donne un caractère conventionnel. Mais, dans l'un et l'autre cas, il ne perd jamais de vue que cette hypothèque, par sa nature, domine ces deux bases; qu'elle reste debout par elle-même et sa propre importance, indépendamment de cette publicité et de cette spécialité, et que s'il est intéressant de veiller aux intérêts des tiers et du mari lui-même, il l'est infiniment plus de ne pas ébranler cette colonne monument conser vateur des intérêts des femmes et des mineurs, dont la protection tient essentiellement à la morale et à l'ordre public.

Aussi le législateur pose-t-il en principe, dans l'art. 2140, qu'il ne pourra jamais être convenu entre la femme et le mari, même majeurs, qu'il ne sera pris aucune inscription." Cette disposition ne peut recevoir qu'une interprétation conforme à la morale et à l'ordre public, c'est que toute

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