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SECONDE PARTIE.

De la création de l'Hypothèque.

CHAPITRE PREMIER.

Définition de l'Hypothèque.

SOMMAIRE.

126. Définition de l'hypothèque. (Art. 2114. ).

127. C'est un droit formé dans la chose hypothéquée. Il n'y a point d'analogie entre ce droit et le droit de retrait. 128. Réfutation de la doctrine de Dumoulin, sur les effets des droits réels, et de l'hypothèque en particulier. Consultation célèbre à laquelle fut dû, avant le Code, le triomphe de la doctrine, que le partage était déclaratif et non translatif de propriété.

129. L'hypothèque n'est point indivisible dans le sens absolu de ce mot. L'indivisibilité n'est qu'une abstraction qu'on aurait dû bannir de notre Code. Doctrine de Dumoulin à cet égard.

130. L'hypothèque, avec tous ses attributs, suit l'immeuble en quelque main qu'il passe.

Elle en affecte si virtuellement le domaine, qu'elle revit quand le créancier qui a fait l'acquisition commutable de l'immeuble hypothéqué voit la propriété lui échapper par l'effet de la résolution du contrat.

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126. « L'HYPOTHEQUE, porte l'article 2114 du Code: civil, est un droit réel sur les immeubles affectés à l'ac

quittement d'une obligation; elle est de så nature indivisible, et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles : elle les suit en quelques mains qu'ils passent ».

Cet article, qui renferme la définition de l'hypothèque, mérite quelques développemens, pour en faire sentir l'application et l'importance, et dans le droit et dans la pratique.

127. L'hypothèque (1) est un droit formé dans la chose hypothéquée, est jus formatum in re hypothecatá : elle est inhérente à cette chose, en embrasse toutes les parties, la suit en quelques mains qu'elle passe; c'est en cela que consistent sa vigueur, son lien, son acquittement, ejus luitio, que rien ne peut diviser ni rompre, ni de la part du débiteur, ni de la part du créancier.

Ainsi il n'y aurait point d'analogie entre le droit d'hypothèque et le droit de retrait, par exemple, qui était autrefois attaché à la proximité et aux liens du sang. Ce droit de retrait, quoique tendant à faire rentrer la chose dans le domaine de celui qui l'exerçait, n'était point jus mais jus ad rem, et une action purement person

in re,

nelle.

128. Dumoulin établit entre le droit de retrait et le droit d'hypothèque une autre différence fondée sur l'attribut particulier qu'il donne à l'hypothèque, de ne pouvoir être divisée quand elle a été consentie sur un fonds possédé par indivis. La division qui survient, dit-il, dans le cas où toute la chose est adjugée à un seul proche, fait cesser toute raison et toute cause finale de retrait, et cela a lieu alors même que cette division ne se serait faite qu'après l'action de retrait intentée et la litispendance formée, parce que la division ou le partage est une alié

(1) Dumoulin, titre des fiefs, page 120; Gloss. IX, n. 45.

nation nécessaire et permise quand même la chose serait litigieuse, et parce que, avant le partage intenté, la chose était propre à un partage éventuel, statum implicitum habebat in hunc eventum.

Mais il en est bien autrement, continue Dumoulin, de l'hypothèque. Ce droit ne peut point être altéré ni enlevé par le débiteur, non-seulement par une aliénation purement volontaire, mais même sous le prétexte d'un partage, et soit que toute la chose soit adjugée à un seul, soit qu'elle soit divisée en portions égales ou inégales, l'hypothèque reste toujours dans son état primitif, et porte sur chaque portion sans être divisée. Dumoulin étend cet effet à l'usufruit légué pro indiviso sur le fonds commun, et pose en principe que si un associé, après avoir fait ce legs sur le fonds commun, mourait, nonobstant le partage du fonds commun, le légataire aurait et percevrait son usufruit sur la moitié pro indiviso de tout le fonds, alors même que le partage se serait fait par portions égales, et ce légataire ne serait pas tenu de prendre la jouissance de la portion assignée à l'héritier du testateur. La raison, dit-il, est que l'usufruit passe ipso jure et rectà au légàtaire, au décès du testateur, et qu'à l'époque du partage, Je légataire était vraiment usufruitier et avait jus in re.

Mais cette opinion de Dumoulin et de quelques autres auteurs, sur les effets des droits réels et de l'hypothèque en particulier, quoiqu'elle ait autrefois fonde la jurisprudence du parlement de Paris, d'après la stricte application et l'autorité du droit en la l. si quis putans, S. si fundus, ff.comm. divid., n'a cependant pas long-temps prévalu, et Basnage, dans son Traité sur les hypothèques, nous apprend qu'on s'est ensuite départi de cette jurisprudence: «< Avec raison, dit-il, car comment se peut-il faire que celui qui n'a droit qu'à une parlie, et à charge et condition de partage ou de division, puisse hypothéquer l'héritage entier, comme s'il en était le seul,

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« propriétaire, et qu'il transfère à son créancier plus de « droit qu'il n'en avait lui-même, et qu'il n'en pourrait

prétendre contre ses co-héritiers ou co-associés? Si un «< co-héritier avait ce pouvoir, il rendrait la condition de «ses co-héritiers très-fâcheuse: car, pensant avoir un << partage libre et exempt de dettes, il se trouverait hypothéqué aux dettes de leur co-héritier, ce qui serait tout-à-fait injuste ».

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Le triomphe de cette doctrine sur l'ancienne jurisprudence du parlement de Paris fut dû sur-tout à une consultation imprimée, donnée le 21 janvier 1743, par quatorze avocats fort distingués du parlement de Paris, parmi lesquels figurait le célèbre Cochin; consultation qui, à raison de son importance et de la saine doctrine qu'elle renfermait, fut conservée dans les bibliothèques comme monument didactiqne.

Pothier et d'autres auteurs ont également professé ces principes.

Ils sont consacrés parmi nous par l'article 883 du Code, qui tranche toute difficulté. «< Chaque co-héritier est censé avoir succédé seul et immédiatement, porte cet article, à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, el n'avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession »; d'où il résulte qu'un co-héritier ou un coassocié ne peut point, par son fait, faire porter une hypothèque sur des lots qui ne lui ont jamais appartenu.

129. L'hypothèque, dit l'article 2114, est un droit indivisible, ce qu'il faut entendre sainement et d'après les explications que nous avons déjà données; c'est-à-dire que ce droit est indivisible en ce sens que le gage ne peut être divisé malgré le créancier, vel quovis alio respectu, et qu'en conséquence il a pour caractère une sorte d'indivisibilité non simple, mais improprement dite, à laquelle ne convient point la définition de l'indivisible (1) en soi,

(1) Dumoulin, Traité de dividuo et individuo, pag. 210, c. 1 et 2, t. 3.

qui n'est d'ailleurs qu'une abstraction qu'on aurait dû bannir de notre Code.

Rien, en effet, n'est plus divisible en soi que la constitution d'hypothèque et son acquittement, vel ejus luitio. De même qu'une partie de la dette étant enlevée par un pacte quelconque, tout le gage reste obligé pour le résidu seulement; de même une seule partie du gage étant affranchie, le résidu reste hypothéqué pour toute la dette, s'il n'en est expressément disposé autrement. L'hypothèque n'est pas moins divisible que ne l'est, sous tous les rapports, la dette principale elle-même. Cette vérité est confirmée par les articles 3143 et 2144 du Code, comme nous le verrons plus bas.

Les docteurs, continue Dumoulin, qui ont écrit que l'hypothèque était indivisible, ont parlé improprement, parce qu'aucune loi, dans tout le corps de droit, ne le dit ainsi. Cette erreur, légère dans le principe, s'est convertie en un très-grand abus que Dumoulin s'attache à rectifier. En parlant le langage d'une saine doctrine, il faut donc dire que l'hypothèque est purement divisible, tant de la part du débiteur que de celle du créancier; mais qu'elle n'est pas divisée, parce que la loi des douze tables, qui divise de plein droit activement et passivement les noms ou la dette du sort principal, ne divise cependant point les conditions et par suite l'hypothèque ou son acquittement (1); et ainsi le droit hypothécaire reste de soi indivis, tant activement que passivement: passivement; si de deux héritiers d'un débiteur ou de deux débiteurs ab ini

(1) Aussi Domat ne dit-il point que l'hypothèque est indivisible, mais qu'elle fait une affectation indivise de tout ce qui est hypothéqué pour tout ce qui est dû........ liv. 3, tit. 1, sect. I, art. 18. Quamdiù non est integra pecunia creditori numerata etiam si pro parte majore eam consecutus sit, distrahendi rem obligatam non amittit facultatem ; l. 6, C. de distract. pign. l. 1, C. de luit. pign. propter indivisam pignoris causam, 1. 65, ff. de evict.

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