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DES

PRIVILÉGES ET HYPOTHÈQUES.

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ARTICLE PRÉLIMINAIRE.

L'UNITÉ de la législation hypothécaire qui régit aujourd'hui la France est l'un des plus grands bienfaits que nous devions aux célèbres rédacteurs de nos Codes.

S'il est de la nature des institutions humaines de ne pouvoir atteindre à la perfection, et d'entraîner toujours dans l'exécution quelques inconvéniens; si la législation, malgré ses richesses, porte encore le cachet de notre fragilité; félicitons-nous au moins que la plus importante de ses branches, qui embrasse toutes les fortunes particulières et fonde la fortune publique, qui consolide les propriétés et favorise leur transmission, qui vivifie l'agriculture, le commerce et l'industrie nationale, qui rend la mauvaise foi captive, et imprime à la loyauté, à l'émulation et au crédit tout l'essor possible; que cette branche de notre législation, disons-nous, ait un caractère d'uniformité qui, en donnant à tous les intérêts la même direction et la même garantie, serait à lui seul un bien inappréciable quand la loi serait imparfaite.

La plupart de nos provinces avaient hérité de la législation hypothécaire des Romains, mais sous trois modifications: 1o en France, l'hypothèque conventionnelle ne résultait pas, comme à Rome, d'une simple convention

sous signature privée, mais seulement de contrats authentiques, de jugemens ou écritures privées reconnues par-devant notaires ou en justice; elle était générale et une émanation directe et nécessaire du sceau de l'autorité publique apposé à l'acte notarié comme en droit romain; elle pouvait aussi être donnée spécialement sur cerlains immeubles; 2° les meubles n'avaient pas de suite par hypothèque; 3o la fameuse loi assiduis était presque généralement abrogée.

Certaines provinces du nord et coutumes de saisine ou nantissement avaient adopté d'autres formalités propres à donner de la publicité au droit invisible d'hypothèque. Indépendamment de l'authenticité du contrat, il fallait une inscription sur un registre public, prise avec la permission du juge, pour acquérir une hypothèque sur l'immeuble expressément désigné, et c'est ce qu'on appelait œuvres de loi, main-mises, etc... Fiers de cette institution qu'ils regardaient comme le chef-d'œuvre de la sagesse, comme le sceau, l'appui et la sûreté des propriétés, les tribunaux de ces provinces l'avaient conservée ́intacte, après avoir courageusement défendu ce dépôt précieux jusqu'à nos jours.

Henri III et Louis XIV avaient senti les bienfaits de la publicité et avaient voulu la répandre dans tout leur royaume; mais l'édit de 1673, dû à Louis XIV, fut bientôt révoqué par un autre édit du mois d'avril 1674. Ce monarque qui, à un tact sûr, à des vues saines et vastes, joignait une volonté si ferme pour l'exécution, a-t-il entendu favoriser, par cette abrogation, les désordres et la prodigalité de quelques sujets, ou les soins étrangers qui l'occupaient tout entier alors lui en ont-ils fait abandonner l'exécution? Ce dernier motif, exprimé dans le préambule de l'édit d'abrogation, nous induirait à croire que des difficultés réelles, mais non fondées sur les calculs de la mauvaise foi et les intrigues des courtisans

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firent évanouir ce trait de lumière; et sans nous arrêter au testament politique de Colbert, où l'on semble avoir voulu imputer aux manœuvres des grands et aux représentations du parlement l'abrogation de l'édit de 1673, disons plutôt avec Basnage, qui plus que tout autre a dû en connaître les causes, puisqu'il vivait près de ce tempslà, « que la loi de 1673 était si bursale, qu'on fut obligé « de la rapporter ».

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Le principe de la publicité fut donc abandonné jusqu'en 1771, époque à laquelle Louis XV voulut ouvrir, par son edit, une voie plus facile aux citoyens de consolider leurs propriétés et de fixer d'une manière stable le rang et le sort de leurs hypothèques. Il abrogea, par cet édit, les décrets volontaires, établit des conservateurs d'hypotheques, mais laissa subsister les formes lentes et dévorantes des saisies réelles.

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Cet édit fut enregistré purement et simplement par les parlemens de Paris et de Dijon; il le fut dans d'autres ressorts sous quelques modifications. On s'en tint à Rennes aux appropriances réglées par la coutume de Bretagne. Dans d'autres provinces, à Aix et à Perpignan, l'édit fut enregistré, mais ne reçut point d'exécution; on continua d'y suivre les dispositions du droit romain; mais dans le nord du royaume, à Douai et à Arras, l'édit éprouva une résistance telle, qu'il n'y fat jamais enregistré. Dans ces dernières provinces, en effet, les intérêts des tiers créan ciers étaient protégés par la publicité; les registres établis dans les greffes leur apprenaient tout ce qu'il leur importait de savoir sur les ressources et la situation d'un débiteur et le rang des hypothèques fixé par des inscriptions n'était point pour eux un mystère. Cette incertitude formait au contraire un vice capital de l'édit de 1771, qui d'ailleurs ne mettait point les tiers créanciers en mesure de yeiller à leur gage, ni de former opposition pour conserver leurs hypothèques. Les hypothèques restaient oc

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cultes et n'étaient connues que lors des mutations et des distributions de deniers.

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Ainsi la législation hypothécaire présentait encore à cette époque une variété et une incohérence de dispositions qui étaient la source des plus déplorables abus. La fortune des citoyens était presque toujours en péril, soit par la difficulté de consolider leurs acquisitions, soit par ce qu'avaient d'embarrassant et de ruineux les formalités destinées à purger les hypothèques, soit enfin par l'ignorance presqu'absolue où se trouvaient les tiers contractans sur les ressources et le crédit de leur débiteur ? ignorance qui était funeste au crédit de ce débiteur luimême.

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Dans les temps orageux de la révolution, et sous 'le règue de la convention nationale, le principe de la publicite reparut, mais dangereux et menaçant, mais imprégué de cet esprit d'exagération et d'aveuglement qui dominait alors. Le papier-monnaie, après avoir rapidement décru, touchait à son terme; le crédit public était anéanti. On voulut le relever en mobilisant les propriétés territoriales, en permettant aux citoyens de prendre des hypothèques sur eux-mêmes, et en ouvrant, au moyen de cedules hypothécaires, un champ illimité à la cupidité, et à toutes les fortunes particulières un abime où elles seraient venues s'engloutir avec la fortune publique. Les expropriations, de lentes qu'elles étaient, avaient reçu de la loi du 9 messidor au 3 la rapidité de la foudre. Effrayé du bouleversement général, dont toutes les fortunes étaient menacées, le corps législatif se hâta de suspendre la mise à exécution de cet instrument de ruine, et cette prorogation fut continuée jusqu'à la loi de brumaire

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Cette loi discutée dans des temps plus calmes, et dans les deux conseils des cinq-cents et des anciens, a véritablement organise le principe de la publicité et de la spé

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cialité, et jeté les fondemens de notre régime hypothécaire. Aussi a-t-elle tour à tour été vivement attaquée et défendue lors de la discussion du titre 18 du notre Code. Il serait trop long de rapporter ici les argumens qui ont été produits pour et contre, et auxquels nous conseillons de recourir comme à un monument de sagesse, de prudence et de talent, qui attestera à la postérité avec quelle réflexion et quelle maturité cette importante loi a été discutée. Bornons-nous à observer que la loi du 28 ventôse an 12 a été puisée dans les dispositions combinées de l'édit de 1771 et de la loi de brumaire an 7, et qu'elle a dû avoir pour but de modifier et de rectifier ce que ces deux législations avaient d'exagéré ou de défectueux, en prenant entr'elles un terme moyen.

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Le conseil d'état, après une longue discussion, asen effet consacré en principe, 1° que toute hypothèque serait publique ; 2° que l'hypothèque conventionnelle se-, rait toujours spéciale 3o que la sûreté de la femme et du mineur serait préférée à celle des acquéreurs et des préteurs. Telles sont les trois bases fondamentales de notre régime hypothécaire. Nous ne perdrons pas de vue le principe d'ordre public qui forme la troisième de ces bases; il doit nous donner la clef des questions les plus importantes, et se réfléchir sur toutes les parties de cet ouvrage.) to esters Li

Le titre des priviléges et hypothèques, tel qu'il est conçu, atteste donc à la fois l'habileté, la justice et la sagesse de ceux qui l'ont fondé et perfectionné par un systême de formes adapté autant qu'il est possible, et dans une légitime proportion, aux intérêts respectifs des acquéreurs, des tiers créanciers et du débiteur luimême.

Si une confiance parfaite, fondée sur l'autorité des mœurs, régnait parmi les hommes, il suffirait, pour assurer l'exécution de leurs engagemens, de cette obliga

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