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de l'oppression. A toutes ces difficultés de la situation il faut ajouter le peu d'accord qui régnait entre les généraux prussiens. Les ressources pécuniaires de la Prusse pouvaient encore moins être comparées à celles de l'ennemi. Épuisées par deux armements dispendieux et devenus inutiles, et par la guerre avec l'Angleterre qui avait ruiné le commerce de ses sujets, les finances de la monarchie prussienne avaient à peine suffi aux dépenses que les préparatifs de la prochaine campagne avaient exigées. En cas d'un échec, ou si la guerre se prolongeait, il paraissait impossible de faire de nouveaux efforts. Un autre sujet de crainte était le mécontentement qui régnait parmi les habitants turbulents des provinces polonaises, et que fomentaient les intrigues des émissaires français. Tout semblait donc se réunir pour faire dépendre le sort de la monarchie de l'issue de la première bataille qui serait livrée.

Mais l'armée, et sinon la nation entière, du moins les habitants de la capitale, demandaient hautement la guerre un seul sentiment animait tous les cœurs, le besoin de détourner de la patrie l'humiliation que la perfidie de Napoléon lui préparait. Jamais opinion publique ne fut mieux prononcée que celle qui voulait la guerre contre la France; elle ne calculait pas ses forces, que d'ailleurs l'enthousiasme représentait bien supérieures à la réalité. Les choses en étaient venues au point que, quelque pacifique que fût Frédéric-Guillaume, il aurait été difficile de résister à un mouvement si général, au cri du peuple et de l'armée; le Roi résolut la guerre.

Avant que le général Knobelsdorf présentât son ultimatum, les armées prussiennes s'étaient mises en mouvement. Celle de Silésie, forte de trente-six mille hommes, destinée à former l'aile gauche, et com

mandée par le prince Frédéric-Louis de HohenloheLangenbourg-Ingelfingen, passa l'Elbe et entra en Saxe : l'Électeur hésita de se joindre à la Prusse avec les dixhuit mille hommes qu'il avait sous les armes; il n'y consentit qu'à condition que Dresde ne serait pas regardée comme place forte. Le commandement en chef des armées prussiennes avait été confié au duc régnant de Brunswic, vieillard de soixante-douze ans, manquant de confiance en lui-même et n'ayant pas celle de l'armée qu'il devait conduire; préoccupé d'ailleurs d'une idée à laquelle l'évidence put à peine le faire renoncer, il s'était persuadé que Napoléon, pour ne pas paraître l'agresseur, ferait une guerre défensive. Tout le plan d'opérations du Duc était calculé sur cette supposition; elle fut vivement débattue dans un Conseil de guerre qui fut tenu à Erfurth le 6 octobre. Dès lors la mésintelligence entre les généraux se manifesta; mais l'avis du duc de Brunswic prévalut, et le sort de la Prusse fut décidé. Le prince de Hohenlohe qui, avec l'aile gauche, occupait Saalfeld, Schleiz et Hof, et le général Rüchel, avec l'aile droite qui s'étendait jusqu'à Mulhausen, avaient ordre de tourner la forêt de Thuringe, par laquelle le centre, au commandement du duc de Brunswic, ayant sous lui le feld-maréchal Mællendorf, et placé à Erfurth, Weimar, Gotha et Eisenach, devait passer afin d'attaquer sur la Saale en Franconie. Le Roi lui-même se trouva au centre, dont l'arrière-garde, sous les ordres du duc de Saxe-Weimar, était à Meiningen. Une armée de réserve fut laissée sous les ordres du prince Eugène de Würtemberg.

Les hommes de guerre ont fortement critiqué ce plan tracé par le duc de Brunswic; on lui reproche surtout << d'avoir abandonné à son sort l'électeur de Hesse-Cassel, au lieu d'entrer dans le pays de ce prince, et de se renfermer par l'adjonction de son armée qui

comptait trente mille hommes brûlant de se battre contre les Français. » Il ne nous appartient pas de discuter des points qui tiennent à la théorie de la guerre1; nous n'examinerons pas davantage une autre question qui se présente naturellement. On demande si la Cour de Berlin n'aurait pas mieux fait de gagner du temps par desnégociations avec Napoléon, afin de laisser arriver les troupes russes qui devaient faire cause commune avec elle, plutôt que d'entrer en campagne avec un ennemi formidable par les ressources dont il disposait, et par l'activité qu'il avait coutume de mettre dans ses opérations.

Au reste, le plan du duc de Brunswic se trouva renversé par les nouvelles qu'on reçut dès le 8 octobre. Le 21 septembre, Napoléon avait adressé aux rois de la Confédération du Rhin la lettre suivante :

<< Monsieur mon frère, il y a plus d'un mois que la Prusse arme, et il est connu de tout le monde qu'elle arme contre la France et contre la Confédération du Rhin. Nous cherchons les motifs sans pouvoir les pénétrer. Les lettres que Sa Majesté Prussienne nous écrit sont amicales; son ministre des Affaires Étrangères a notifié à notre Envoyé extraordinaire et plénipotentiaire qu'elle reconnaissait la Confédération du Rhin, et qu'elle n'avait rien à objecter contre les arrangements faits dans le midi de l'Allemagne.

« Les armements de la Prusse sont-ils le résultat d'une coalition avec la Russie, ou seulement des intrigues des différents partis qui existent à Berlin et de l'irréflexion du Cabinet? Ont-ils pour objet de forcer la Hesse, la Saxe et les villes hanséatiques à contracter des liens que ces deux dernières puissances parais

Il faut suivre le développement des diverses campagnes dans les ouvrages du général JOMINI. Ses travaux, personne ne l'ignore, font autorité pour tout ce qui concerne les opérations militaires des temps modernes.

sent ne pas vouloir former? La Prusse voudrait-elle nous obliger nous-mêmes à nous départir de la déclaration que nous avons faite, que les villes hanséatiques ne pourront entrer dans aucune confédération particulière; déclaration fondée sur l'intérêt du commerce de la France et du midi de l'Allemagne, et sur ce que l'Angleterre nous a fait connaître que tout changement dans la situation présente des villes hanséatiques serait un obstacle de plus à la paix générale? Nous avons aussi déclaré que les princes de l'Empire germanique qui n'étaient point compris dans la Confédération du Rhin, devaient être maîtres de ne consulter que leurs intérêts et leurs convenances; qu'ils devaient se regarder comme parfaitement libres; que nous ne ferions rien pour qu'ils entrassent dans la Confédération du Rhin, mais que nous ne souffririons point que qui ce fût les forçât de faire ce qui serait contraire à leur volonté, à leur politique, aux intérêts de leurs peuples. Cette déclaration si juste aurait-elle blessé le Cabinet de Berlin, et voudrait-il nous obliger à la rétracter? Entre tous ces motifs, quel peut être le véritable? Nous ne saurions le deviner, et l'avenir seul pourra révéler le secret d'une conduite aussi étrange qu'elle était inattendue. Nous avons été un mois sans y faire attention. Notre impassibilité n'a fait qu'enhardir tous les brouillons qui veulent précipiter la Cour de Berlin dans la lutte la plus inconsidérée.

« Toutefois les armements de la Prusse ont amené le cas prévu par l'un des articles du traité du 12 juillet, et nous croyons nécessaire que tous les souverains qui composent la Confédération du Rhin arment pour défendre ses intérêts, pour garantir son territoire et en maintenir l'inviolabilité. Au lieu de deux cent mille hommes que la France est obligée de fournir, elle en fournira trois cent mille, et nous venons d'ordonner

que les troupes nécessaires pour compléter ce nombre soient transportées en poste sur le Bas-Rhin; les troupes de Votre Majesté étant toujours restées sur le pied de guerre, nous invitons Votre Majesté à ordonner qu'elles soient mises sans délai en état de marcher avec tous leurs équipages de campagne, et de concourir à la défense de la cause commune, dont le succès, nous osons le croire, répondra à sa justice, si toutefois, contre nos désirs et même contre nos espérances, la Prusse nous met dans la nécessité de repousser la force par la force.

« Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

« Donné à Saint-Cloud, le 21 septembre 1806.

« Signé NAPOLÉON. >>

De semblables lettres furent adressées aux grandsducs de Berg, de Bade et de Hesse, et au Prince-Primat de la Confédération du Rhin..

L'armée de Napoléon réunie en Franconie, comptait deux cent mille hommes. Son aile droite se composait des divisions de Soult de trente-six mille hommes, de Ney de vingt-huit mille, et de dix mille Bavarois; le centre comprenait le corps de Ponte-Corvo de vingtquatre mille hommes, celui de Davout de trente-six mille hommes, et la réserve de cavalerie avec les gardes, forte de vingt-cinq mille hommes, que commandait Murat. Les divisions Lannes de trente mille hommes, et Augereau de quinze mille hommes formaient l'aile gauche.

Le 1er octobre, Napoléon en personne passa le Rhin, et le grand-duc de Hesse qui avait balancé jusqu'alors sur le parti qu'il prendrait, n'eut plus à hésiter pour conclure une étroite alliance avec lui. Napoléon, étant

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