Page images
PDF
EPUB

Réponse.

serait vraiment malheureux que l'on ajoutât aux plaintes qui vont s'élever de toutes parts les cris que l'évacuation de la Moldavie et de la Valachie ne manquerait pas de faire jeter. »

A la lecture de cette dernière réplique de ma part, l'empereur Alexandre se prit à rire, et me dit : « Ma foi! tout ce que l'Empereur voudra. Je compte uniquement sur lui. Je vous dirai même que, dans nos conversations de Tilsitt, il m'a souvent dit qu'il ne tenait point à cette évacuation; qu'on la traînerait en longueur pour se disposer, et qu'il n'était pas possible de souffrir plus longtemps les Turcs en Europe; il me laissait même entrevoir le projet de les jeter en Asie. Ce n'est qu'ensuite qu'il est revenu à leur laisser Constantinople et quelques pro

vinces environnantes. »

conseils, mais qu'il est dans une position bien critique au milieu de cela il ne prend aucun parti. J'ai entretenu cet ambassadeur longtemps, et je l'ai fortement engagé à donner à sa Cour le conseil de se rapprocher promptement de la France, en lui faisant voir le ridicule auquel s'exposait un petit pays comme la Suède, et le danger qu'il courrait en n'entrant pas. dans la cause commune. Il m'a répondu que, par ses lettres particulières qu'il venait de recevoir, on lui mandait qu'on était dans les meilleures intentions de faire promptement la paix avec la France, mais que

l'on n'avait aucun moyen pour cela; que depuis si longtemps il n'y avait plus aucun rapport entre les deux pays, et qu'on ne connaissait pas de voie par laquelle on pût se rapprocher. «Dans tout cela je vois, a dit l'Empereur, que cette paix ne tient qu'à une bagatelle, et que tout cela s'arrangera au gré de l'Empereur1. Néanmoins je marche, vous le voyez. Dans sept ou huit jours, ma dernière division sera arrivée, et je commence. Dans tous les cas, il n'y aura pas de temps de perdu, puisque la saison seule ferme les ports, et nous donne un double avantage.

<< Il me semble que l'Empereur m'avait dit qu'il n'avait pas le projet de faire trop de mal à la Suède, royaume qui pendant si longtemps a été un des plus fidèles alliés de la France.

« Ce sera donc être d'accord avec lui que de les forcer seulement à faire la paix, et vous verrez qu'ils n'attendront pas le premier coup de canon. Néanmoins, comme je vous l'ai dit, je marche.

<< Puisque nous parlons d'affaires, général, je vous dirai de confiance, mais sans office quelconque, que j'ai encore reçu des suppliques de Memel, et cependant vous m'aviez dit que l'on s'arrangeait. Mon chargé

L'on présume que si la saison était assez avancée pour que les Anglais ne pussent pas venir prendre leur flotte, les Suédois se décideraient de suite.

2

Depuis trois semaines il ne cesse de passer par Pétersbourg des troupes qui marchent en Finlande. L'Empereur m'a dit qu'en tout il n'y aurait guère moins de cinquante mille hommes.

Ces troupes étaient contre nous et viennent de faire un chemin affreux. Je les vois tous les jours, et j'ose assurer qu'elles sont en trèsbon état seulement les soldats sont trop jeunes et ne seront bons que dans deux ans.

Il a aussi passé, pour aller en Finlande, un train d'artillerie de cent pièces de campagne aussi dans le meilleur état.

Il y a ici, dans ce moment, l'activité qu'il y aurait pour attaquer une grande puissance.

d'affaires à Memel, le baron de Krudner, me mande que l'on y est dans la désolation, parce que l'on exige pour caution des sommes qui restent à payer, cinq forteresses, dans chacune desquelles on mettra huit mille hommes de garnison entretenus aux frais de la Prusse. Vous concevez toute la peine que cela a dû faire, et l'on a pris le seul parti qu'il était convenable de prendre, en envoyant le frère du Roi à Paris pour solliciter l'Empereur. Je voudrais que vous pussiez mander chez vous, sans y mettre aucun caractère officiel, qu'assurément on ne pense pas à rien changer de tout ce qu'il plaira à l'Empereur d'imposer à la Prusse; mais je me rappelle que c'est à mes instances qu'il a bien voulu conserver l'existence à ce malheureux pays', qui maintenant n'est pas plus à craindre que le Würtemberg ou le pays de ma femme : conséquemment il n'a pas besoin de caution de son exactitude à s'acquitter de tout ce qu'il lui doit. Il faudrait qu'ils fussent mille fois fous s'ils obligeaient l'Empereur à revenir chercher ses contributions; mais je regarderai comme une marque d'amitié bien flatteuse pour moi tout ce que l'Empereur voudra bien accorder à ces infortunés : ce sera moi qui en serai reconnaissant.

« Je vous ai dit bien des choses qui me touchent de près, parce que je vous connais, et il m'en coûte d'être obligé de vous avouer ce que j'éprouve de peine à penser que ce n'est peut-être pas contre la Prusse que l'Empereur prend des sûretés en gardant ces forteresses, mais plutôt par suite des bruits qu'on a répandus dans votre armée, et dont les maréchaux Davout et Soult ont rendu compte en annonçant mon arrivée à la mienne. Ce malheureux voyage insignifiant qui a été suivi de la dislocation de l'armée paraît

[ocr errors][merged small]

avoir fait parler beaucoup au reste, si cela était, l'Empereur verra que je le sers mieux que ces messieurs, et j'ai à leur opposer un bon argument, qui est ma déclaration contre l'Angleterre. Vous êtes témoin qu'à votre première sollicitation elle a été faite, quoique j'eusse des raisons d'être fort inquiet sur Siniavin dont je n'avais encore aucune nouvelle. Je serais aux regrets que l'Empereur doutât un seul instant de mon attachement. Adieu, général, je vous remercie de vous être si bien rappelé tout ce que je vous ai dit. Allez voir Roumantsof. »

Le lendemain, 15 novembre, il y eut parade, messe, cour après la messe, et je ne pus voir le comte de Roumantsof que le soir; il avait travaillé avec l'Empereur le matin. Je vais rapporter mot à mot ce qu'il m'a dit, et qu'il a bien voulu me répéter deux fois. J'ai pu l'écrire sur-le-champ.

C'est M. Roumantsof qui parle :

«< Mon général, l'Empereur a eu la bonté de me dire ce qu'il vous avait dit, et m'a ajouté qu'il était étonné que vous vous le fussiez si bien rappelé. Il m'a chargé de vous remercier du bon esprit avec lequel vous traitez les affaires, et de m'entretenir avec vous sur tout cela, en réponse à ce que vous demandez de la part de votre Cour. Nous nous connaissons, général, je ne parle point ici comme le ministre de Russie, mais comme quelqu'un qui a grand plaisir à causer

avec vous.

« Je vous sais gré de ne nous avoir point parlé d'exécution de traité, et en général ce langage qui ne convient point à l'intimité de nos deux maîtres, qu'il faut toujours entretenir. D'ailleurs vous savez ce que sont les traités les mieux rédigés : quand ils ne reposent pas, comme le nôtre, sur le désir réciproque des deux monarques de parfaitement vivre ensemble, ils

ne manquent jamais de présenter un moyen de les enfreindre ou d'éluder leur exécution. Par exemple, le traité en question parle de la Valachie et de la Moldavie, mais ne dit pas un mot de la Bessarabie, quoique évidemment l'intention ait été de l'y comprendre aussi au reste, il n'est pas question ici de se chicaner, mais au contraire de s'obliger à l'envi l'un et l'autre, et c'est dans cet esprit que je suis. Nous pouvons vous aider beaucoup, nous le voulons vous serez contents et toujours contents de nous. Je vous ai déjà fait ma profession de foi, général : je ne serais jamais venu aux affaires sans cette alliance, et n'aurais pas même voulu m'immiscer aucunement dans ce qui concerne le gouvernement. Je vous répéterai encore que je ne m'arrête jamais aux petites affaires, je vais au but par le chemin le plus droit.

<< Lorsque vous avez demandé la déclaration de guerre à l'Angleterre, je n'ai point cru qu'il était question d'un petit changement de politique ne tenant à aucun système, et pouvant encore se replacer dans sa première forme. S'il n'avait été question que de cela, je n'aurais pas voulu y mettre mon nom; mais je me suis dit que demande-t-on? De préparer de grands événements qui en feront oublier de malheureux, et qui mettront les deux États dans des rapports de politique qui ne pourront jamais les troubler. Sur-le-champ, sans m'arrêter aux sacrifices que cela pouvait coûter, ma résolution a été prise, et vous n'avez pas attendu vingt-quatre heures l'exécution de ce que vous désiriez, quoique cette guerre ne soit en aucune manière favorable à nos intérêts, mais au contraire nous expose à toutes sortes de dommages. Je savais tout cela : nous l'avions promis pour décembre, il était à votre convenance de la faire faire en octobre, et cela a eu lieu. Loin d'en être fâchés, nous vous

« PreviousContinue »