Page images
PDF
EPUB

nement de la France, n'aient espéré maintenir leur puissance chancelante qu'en entraînant la nation dans une suite de guerres non interrompue; qu'ils aient cru garantir leur existence politique en plongeant les autres peuples dans un abîme de malheurs; rien de bien étonnant à cela; mais lorsqu'on vit s'établir dans ce pays un gouvernement plus stable, auquel on ne pouvait pas supposer le même besoin, les amis de la paix concurent de nouveau des espérances; et certes, Napoléon, revêtu d'un pouvoir absolu, couvert des lauriers de la victoire, entouré d'États faibles et alliés, ou d'adversaires terrassés ou fatigués, était appelé à jouer un plus beau rôle. Il ne lui restait plus rien à faire pour la splendeur de la France; il pouvait tout pour sa prospérité.

« C'est à regret qu'on est obligé de le dire; le gouvernenement français avait changé, la politique française resta la même. Une ambition insatiable continua d'être son caractère prédominant. Pour parvenir à ses fins, elle abusa alternativement de la force des armes, et des stipulations des traités. A peine la paix d'Amiens eut-elle été conclue, que le signal des premières usurpations fut donné. Deux États indépendants, la Hollande et la Suisse, furent forcés d'accepter des Constitutions qui les métamorphosèrent en provinces françaises. Le renouvellement de la guerre avec l'Angleterre fut une suite de ces actes arbitraires.

« Cependant la paix ne fut pas interrompue sur le continent; l'empire germanique l'avait achetée par des sacrifices énormes. Mais ce fut au milieu de cette paix que les troupes françaises envahirent l'électorat de Hanovre, auquel la guerre entre la France et la Grande-Bretagne devait être étrangère; ce fut au milieu de cette paix que ces troupes fermèrent au pavillon britannique les portes de l'Allemagne, et que,

pour que cela leur fût possible, elles s'emparèrent de Cuxhaven, et occupèrent le territoire d'une ville libre, à laquelle cette guerre était plus étrangère encore qu'au pays de Hanovre même.

<< Ce fut encore au milieu de cette paix que, peu de mois après, ces mêmes troupes violèrent l'indépendance du territoire allemand d'une manière bien plus outrageante encore pour l'honneur de la nation. Les Allemands n'ont pas vengé la mort du duc d'Enghien; mais jamais le souvenir de ce forfait ne s'effacera parmi eux 1.

« Le traité de Lunéville garantissait l'indépendance des républiques d'Italie. En dépit des promesses les -plus solennelles, Napoléon plaça sur sa tête la couronne de fer. Gênes fut réunie à la France; Lucques eut à peu près le même sort. Peu de mois avant ces usurpations, dans une occasion solennelle, qui lui imposait de grandes obligations, l'Empereur avait déclaré à la face de son peuple et de l'Europe, qu'il n'étendrait plus les limites de son empire. Une convention conclue avec la Russie, imposait à la France le devoir d'assigner au roi de Sardaigne un dédommagement en Italie. Au lieu de remplir cet engagement, on s'empara de tous les pays qui pouvaient en faire partie.

« Le Portugal voulait sauver sa neutralité; on le força d'acheter, au poids de l'or, quelques instants d'une tranquillité illusoire.

<<< Ainsi, sans excepter la Porte, qui n'avait pas oublié l'invasion de l'Égypte et de la Syrie, il ne resta en Europe aucune puissance qui n'eût été en butte à quelques atteintes de la violence.

« Ces faits furent accompagnés par un système d'injures et d'outrages. Un journal qui s'annonçait comme l'organe du gouvernement, devint l'atelier où se fa

Hinc illæ lacrima!

briquaient les invectives les plus révoltantes contre toutes les têtes couronnées.

« La Prusse ne pouvait voir avec indifférence ces vexations; quoiqu'elle ne parussent pas en général dirigées contre elle, il y en avait cependant plusieurs qui frappaient sur des objets essentiellement liés à ses intérêts les plus chers. Au surplus, l'expérience avait suffisamment démontré la sagesse du principe qui, regardant tous les souverains de l'Europe comme membres d'une seule famille, les appelle tous à leur défense réciproque, et ne peut voir l'agrandissement excessif de l'un sans craindre pour la sûreté de tous.

<< Mais il est surtout nécessaire de faire connaître la conduite de la France dans ses rapports immédiats avec la Prusse.

<< Il serait superflu d'entrer dans le détail des obligations que Napoléon a envers la Prusse. Après avoir maintenu sa neutralité, en dépit des promesses et des menaces par lesquelles on avait alternativement tenté de l'ébranler, la Prusse fut la première puissance qui reconnut ce prince. Tout ce que le devoir d'un bon voisin peut commander, la Prusse l'avait accompli pendant six années consécutives. Il y a plus, la Prusse avait de l'estime pour une nation vaillante qui, à son tour, avait appris, dans la paix et dans la guerre, ce que valait la Prusse. Le Roi se plaisait à rendre justice au génie du chef de la nation française. Il ne voulait pas rompre des liaisons que la nature des choses et une certaine communauté d'intérêts avaient formées. Le souvenir de ce temps n'existe plus pour Napoléon !

<< La Prusse permit l'invasion de l'électorat de Hanovre. C'est une faute qu'elle se reproche; aussi son premier mouvement avait été de s'y opposer: elle en fit la proposition à l'Angleterre sous des conditions que celle-ci déclina. Dès lors on devait songer aux

moyens de rendre cette entreprise moins nuisible, en traçant à la France une limite qu'il ne lui serait pas permis d'outre-passer. Napoléon consentit formellement à reconnaître la neutralité des États septentrionaux, à n'user de violence envers aucun de ces États, et surtout à ne pas augmenter le nombre des troupes cantonnées dans l'électorat.

<< A peine eut-il contracté cet engagement qu'il le rompit. Tout le monde se rappelle l'enlèvement de sir Fr. Rumboldt'. Tout le monde sait comment, sous le titre d'emprunts, on força les villes hanséatiques à des contributions, non pour le soutien de leurs propres intérêts, mais comme si la France se trouvait envers elles en état de guerre. Quoique la satisfaction que l'on donna au Roi pour la première de ces offenses, fût insuffisante, il voulut bien s'en contenter; quant à la seconde, il ne put l'ignorer, parce que la terreur dont les villes maritimes étaient frappées, ne leur permettait pas de faire entendre des plaintes. Le Roi ne se cachait pas la grandeur des sacrifices qu'il faisait à la paix; mais le maintien de cette paix était toujours le vœu le plus cher de son cœur.

« La longanimité des autres Cours fut plus tôt fatiguée que la sienne. La guerre éclata sur le continent. Le devoir du Roi rendit sa position plus difficile que jamais. Pour empêcher la France de renforcer les troupes qu'elle avait dans le pays de Hanovre, il avait promis de ne pas permettre qu'elles y fussent inquiétées ; mais la Russie et la Suède allaient les attaquer. Dès ce moment, tout le poids des liaisons entre la Prusse et la France retomba sur la première, sans qu'elle en

1 La fermeté que le roi de Prusse montra à cette occasion, força NAPOLÉON, la première fois, à faire un pas en arrière, mais aussi fut-elle le germe de sa haine pour FRÉDÉRIC-GUILLAUME III.

tirât aucun avantage; et, par une singulière complication des circonstances, la Prusse, qui n'avait voulu qu'être impartiale et neutre, parut sortir de ce rôle au détriment des puissances alliées. Le résultat de cette situation de la Prusse tourna entièrement au bénéfice de la France, et le Roi se vit journellement menacé de collisions aussi terribles pour lui que décisives pour le succès des plans de Napoléon.

« Qui aurait cru que, pour faire à la Prusse l'offense la plus sensible, Napoléon choisirait le moment où le Roi donnait au gouvernement français la plus forte preuve de sa fermeté, et un exemple rare d'une fidélité scrupuleuse à remplir ses engagements? Qui ne se rappelle pas la violation du territoire d'Anspach, qu'on se permit le 3 octobre de l'année passée, malgré les protestations solennelles de la régence du pays et des ministres du Roi.

« C'est ainsi que se prolongea pendant plusieurs années un combat remarquable de la modération qui pardonne tout, réunie à la bonne foi qui ne connaît que sa parole, contre l'abus du pouvoir, contre l'insolence, qui compte sur la stabilité de la fortune trompeuse, contre l'habitude de ne calculer que les chances du hasard.

« Le Roi déclara qu'il se regardait comme dégagé de toutes les obligations contractées envers le gouvernement français. Il mit ses armées dans l'état que les circonstances exigeaient. Sa Majesté était parfaitement convaincue que, pour les voisins de la France, il ne pouvait exister qu'un seul gage de sûreté : une paix assise sur des bases solides, et garantie par toutes les puissances européennes.

« Sa Majesté offrit aux alliés d'être leur organe dans les négociations pour une telle paix, et de les appuyer de toutes ses forces.

« PreviousContinue »