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fidélité; il repousse surtout avec force l'accusation d'avoir reçu de l'argent de Sa Majesté le ministre lui a seulement délivré, sur le payeur de Besançon, un bon de 15,000 fr., à valoir sur 40,000 fr. d'arrérages qui lui étaient dus. « Je dis au Roi, ajoute-t-il, que son ministre de la guerre m'avait donné l'ordre de me rendre dans mon gouvernement, et je lui demandai ses dernières instructions. Sa Ma jesté ine répondit que Buonaparte était débarqué, et me recommanda de prendre les mesures nécessaires pour un'opposer a ses progrès. Je crois que je lui répondis que cette démarche, de la part de Buonaparte, était insensée, et qu'il méritait, s'il était pris, d'être conduit à Paris dans une cage de fer: on a prétendu que j'avais dit que je le conduirais moi-même, si je le prenais, dans une cage de fer. Je ne me rappelle pas bien ce que j'ai dit; je sais que j'ai prononcé ces mots : cage de fer. Il y avait en ce moment plusieurs personnes auprès du Roi; entre autres, autant que je puis me le rappeler, M. le prince de Poix, le duc de Grammont, le prince de Neufchâtel, et quatre ou cinq autres. Je dis aussi que Buonaparte me paraissait bien coupable d'avoir rompu son ban. Je lui ai dit, au reste, tout cela à lui-même, quand je l'ai vu depuis, et il en a ri.

» On a répandu dans le public, continue le maréchal Ney, que j'avais baisé la main du Roi cela est faux. Je n'avais pas besoin de lui faire des protestations de fidélité car mon intention était de le bien servir; et je l'aurais fait, si j'avais vu que cela eût été possible. »

Bientôt, rappelant des souvenirs plus fidèles, il dit : « Jai, en effet, baisé la main du Roi, S. M. me l'ayant présentée en me souhaitant un bon voyage : le débarquement de Buonaparte me paraissait si extravagant, que j'en parlais avec indignation, et que je ne servis en effet de cette expression de cage de fer.

Le maréchal Ney donne quelques détails sur les dispositions qu'il avait prises pour s'opposer à Buonaparte; il proteste de sa fidélité et de son dévouement au Roi jusqu'à l'époque du 13 mars. A deux heures du matin, il reçut la proclamation, qu'il a signée et fait proclamer. « Je dis la proclamation, observe-t-il avec soin, et non ma proclaination car elle me fut envoyée toute faite par Buonaparte, et apportée par un agent particulier et un officier de la garde. Dès la veille, un autre officier de la garde, remar

quable parce qu'il est manchot, était revenu après avoi Yu Napoléon : il avait été dépêché de Metz, à ce qu'il parait, par les autres officiers de ce corps, pour demander

Buonaparte de leur indiquer le point où ils devaient se réunir. Avant de lire la proclamation aux troupes, je la communiquai aux généraux de Bourmont et Lecourbe, et les consultai sur ce que je devais faire. De Bourmont me répondit qu'il fallait se joindre à Buonaparte; que les Bourbons avaient fait trop de sottises, et qu'il fallait les abandonner. C'était le 14, à midi ou une heure, que je fis cette lecsure sur l'esplanade de Lons-le-Saulnier; mais la proclamation était déjà connue : des agents, venus du quartiergénéral de Buonaparte, l'avaient répandue dans la ville; je crois même qu'ils avaient aussi apporté des aigles. »

Le maréchal persiste à soutenir qu'il n'a ni écrit ni dé pèché personne à Buonaparte avant le 15, époque à laquelle il lui envoya son aide-de-camp Devaur, le colonel Passinges, et un maréchal-de-camp dont il ne se rappelle pas le nom. Il s'étend avec une sorte de complaisance sur tes preuves de zèle qu'il avait précédemment données pour le service du Roi. Il avait envoyé des gendarmes déguisés recueillir des renseignements sur la marche, les forces et les dispositions de Buonaparte; il avait rassemblé les officiers de chaque régiment, et leur avait rappelé vivement Jeur devoir envers S. M.: enfin il s'était écrié, dans un mouvement d'enthousiasme royaliste : « Si je vois de l'hésitation dans la troupe, je prendrai moi-même le fusil dy premier grenadier pour m'en servir, et donner l'exemple

aux autres. »

Ces étranges allégations du maréchal amenaient naturellement la question suivante : Comment pouvez-vous donc expliquer le changement qui s'est opéré en vous; et comment justifierez-vous votre conduite du 14 mars? Vos devoirs n'étaient-ils pas toujours les mêmes? Il a été réduit à répondre : Cela est vrai; j'ai été entrainé : j'ai eu tort; il n'y a pas le moindre doute.

DEMANDE. Qui est-ce qui a pu vous entraîner? Et n'est-ce pas vous-même qui avez entraîné, par vos discours et par votre exemple, les officiers et les troupes qui étaient sous vos ordres?

RÉPONSE. Je n'ai entraîné personne. Le colonęł Dubalen (du 64.) fut le seul qui protesta : il vint me dire

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qu'ayant prêté serment de fidélité au Roi, il voulait se retirer. Je l'autorisai à le faire; et j'ai empêché depuis qu'il ne fût arrêté. Mon aide-de-camp Clouet me dit qu'il n'ap; plouvait pas ma conduite, et ine deinanda de retouner à Paris si je l'engageai de différer de quelques jours, ce ne fut que pour sa sûreté. Ce qui m'a déterminé personnellement, c'est la crainte de la guerre civile, et l'assurance que les agents de Buonaparte m'avaient donnée, que les puissances alliées étaient d'accord avec lui; que le baron Kolher, général autrichien, était venu le trouver à l'ile d'Elbe, et lui dire, de leur part, que les Bourbons ne pouvaient plus régner; qu'on l'engageait à débarquer en France, sous la condition de ne jamais faire la guerre hors des limites; que le roi de Rome et sa mère resteraient en otage à Vienne, jusqu'à ce qu'il eût donné à la France une constitution libérale : toutes choses que lui-même m'a répétées ensuite, quand je l'ai vu à Auxerre. Les généraux Bouranont et Lecourbe ne m'ont fait ni objection ni observation. De Bourmont a vu Buonaparte et a été de suite employé par lui. Je fais observer que la proclamation qui m'est attribuée, et que je n'ai publiée que le 14, était connue dès le 13 en Suisse; qu'elle émanait de Buonaparte, qui l'avait envoyée à Joseph, à Prangin. Cette tactique était celle de Buonaparte, qui déjà, dans le commencement de la campagne de Russie, avait fait insérer dans le Moniteur une lettre dans laquelle il me faisait parler d'une manière fort inconvenante sur les Russes et sur les affaires politiques. Je n'en eus connaissance, que parce qu'il me dit le lendemain, en plaisantant, qu'il m'avait fait faire de l'esprit. Je lui fis les représentations les plus fortes; mais la chose était faite. Il en avait fait autant à l'égard du prince Eugène et de Davoust. Je ne rappelle aussi qu'il m'avait fait dire, pour me persuader, que les Anglais le protégeaient; que, huit jours avant son départ de l'île d'Elbe, il avait dîné sur un vaisseau de guerre de cette nation; que le colonel ou général Campbel, qui était Commissaire anglais dans cette île, en était parti le lendemain, et que, par suite, il avait pu faire ses préparatifs et s'embarquer.

D. Les troupes avaient-elles manifesté, avant votre proclamation, de mauvaises dispositions contre le Roi ?

R. Il y avait une rumeur sourde; mais les mauvaises .

dispositions des troupes étaient connues. J'avais eru ponvoir les changer, en faisant arrêter, le 13 au matin, un officier que le général Bourinont doit connaître, et qui avait manifesté l'intention de passer à Buonaparte. Je donnai l'ordre au général Bourmont de l'envoyer à la citadelle de Besançon.

Depuis l'arrivée de Buonaparte, je l'ai très peu vu. Depuis cette malheureuse proclamation du 14, je ne vivais plus; je ne désirais que la mort, et j'ai tout fait pour la trouver à Waterloo. Lorsque je suis venu de ma terre pour Je Champ-de-Mai, Buonaparte me dit: Je vous croyais émigré. J'aurais dú le faire plus tôt, lui répondis-je; maintenant il est trop tard.

Je dois dire aussi que j'avais des désagréments intérieurs. Ma femme croyait bien que je marchais contre Buonaparte; et cela l'affligeait. J'ai été fort maltraité par lui, et ma femme aussi j'étais regardé chez lui comine la béte noire. Il ne voulait pas voir ma femme je lui en demandai la raison; il lui reprocha d'avoir tenu des propos. J'ai eu bien des fois envie de me brûler la cervelle; je ne l'ai pas fait, parce que je désirais me justifier. Je sais que les honnêtes gens me blâmeront; je ne blâme moimême j'ai eu tort, je me le reproche; mais je ne suis pas un traître j'ai été entraîné et trompé.

D. Le jour de votre arrivée à Paris, le maréchal Soult, ministre de la guerre, ne vous engagea-t-il pas à ne point voir le Roi?

R. Lorsque j'arrivai auprès du ministre, il me dit : « Buonaparte est débarqué. » Je lui répondis: « Je viens de l'apprendre; c'est une folie: que faut-il que je fasse ? » Il répartit que je devais aller à Besançon ; qu'il m'y avait envoyé mes instructions. Mais que ferai je, quand je serai arrivé? Faudra t-il réunir les troupes? Sur quel point les dirigerai je? Vous le saurez, me répondit-il brusquement, en lisant vos instructions. Je lui parlai de mon désir de voir le Roi. « N'y allez pas, me dit-il sur le même ton: S. M. est souffrante; elle ne reçoit pas. » Je le quittaï en lui disant: Vous ne m'empêcherez pas de voir le

Roi.

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D. Vous expliquez-vous quel pouvait être le motif du maréchal Soult, en vous détournant de voir Sa Majesté ?

R. Non; je ne peux le deviner. Je l'ai poussé à bout, de

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toute manière, pour le savoir, et pour connaître aussi la quantité de troupes que j'avais dans mon gouvernement : je n'en pus rien obtenir. Le fait est que si j'avais suivi ses instructions, je n'aurais fait faire aucun mouvement à ces troupes; je serais resté seul à Besançon. Comment se fait-il que l'aide de-camp de Soult soit venu disséminer les troupes, au lieu de les réunir? Si j'avais voulu trahir, j'aurais donné de faux avis à Suchet et à Oudinot, et je ne les aurais pas pressés de marcher en avant. Suchet m'écrivait que ses troupes étaient déjà en fermentation; Gérard, qui se défiait de Suchet, avait envie de reprendre le commandement. Le général Bertrand avait envoyé partout des lettres et des proclainations. Buonaparte, ne voyant pas arriver de Bourmont, Lecourbe, Lageretière, Dubalen et quelques autres officiers, ordonna de les faire arrêter et de faire afficher leurs noms dans les villes; mais il révoqua son ordre à mon arrivée à Paris; et il envoya le général Mermet pour prendre le commandement de Be

sançon.

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Ici commence le second interrogatoire, fait par M. le préfet de police.

D. Affirmez-vous que jusques au moment de votre arrivée à Lons-le-Saulnier, vous n'avez pas eu la pensée et n'avez pas formé le complot de déserter la cause du roi ?

R. Non, bien certainement. Je n'avais aucune connaissance de ce que le comte d'Erlon, Lefèvre Desnouettes et les autres ont pu faire. On peut demander à Colbert, à Ségur, à Lefèvre Desnouettes, lui-même, ce que je leur ai dit avant de partir de Paris, et si je ne les ai pas engagés à rester fidèles au Roi.

D. Si vous n'aviez pas formé, avant votre arrivée à Lons-le-Saulnier, le projet de joindre Buonaparte avec vos troupes et de reconnaître ses ordres, comment avezVous pu vous déterminer si promptement à changer de conduite et de sentiments ?

R. On peut dire que c'est une digue renversée..... Je conviens que cela est difficile à expliquer.... C'est l'effet de toutes les assertions des agents de Buonaparte. Le préfet de Bourg un'avait manifesté une grande terreur; tout pa

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