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raissait perdu.... Mais je n'ai changé cependant qu'au moment où j'ai lu la proclamation aux troupes. Je n'avais reçu aucune dépêche, ni aucun émissaire de Buonaparte. avant la nuit du 13 au 14 mars je n'étais en relation avec qui que ee fût; je n'ai rien su de ce qui s'était passé auparavant. J'ai eu tort sans doute de lire la proclamation ; mais j'ai été entraîné par les évènements. La preuve que le 15 même, j'étais encore fidèle au Roi, résulte des lettres que j'ai écrites ce jour là aux maréchaux Suchet et Oudinot. Celle qui s'adressait à ce dernier a été écrite le soir, et elle doit en faire mention. Je crois bien que d'autres généraux ont reçu des lettres de Bertrand, mais qu'ils n'ont pas osé les montrer.

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· D. N'en avez-vous pas reçu vous-même, ou ne vous a-t-on pas communiqué celles reçues par les généraux ? ne vous en a-t-on pas dit du moins le contenu?

R. Non. On ne m'a communiqué aucune lettre. J'ai reçu des lettres de Bertrand dans la nuit du 13 au 14, avec des proclamations. Je crois que d'autres en ont reçu aussi, mais je ne les ai pas vues. De Bourinont en a reçu lui-même une, par laquelle on lui ordonnait de se porter sur Macon. Je crois qu'elles étaient écrites de Tournus, sous la date du 13 ou du 14.

D. Que contenait la lettre que vous avez reçue de Bertrand?

R. L'envoi pur et simple de la proclamation, l'invi tation de la répandre et de diriger ines troupes sur Dijon. D. N'avez-vous pas reçu aussi, avant le 13, une lettre de Buonaparte?

R. Je n'ai reçu de lettre de lui que dans la nuit du 13 au 14. Elle doit être dans mes papiers. Il m'y donnait l'ordre de marcher sur Mâcon ou Dijon, et de faire suivre beaucoup d'artillerie. 11 m'y disait : « Ainsi vous devez » avoir cent pièces de canon. Si vous en manquez, j'en » ai trouvé cinq cents à Grenoble. » Il ne me parlait aucunement du Roi, il me donnait des ordres comme il aurait fait 'un an auparavant, et comme si notre position respective n'avait jamais changé. Ses agents m'avaient dit qu'il aurait pu faire arrêter à Paris, s'il l'avait voulu, le Roi et la famille royale, d'après ce que lui mandaient ses partisans; luimeme me l'a répété à notre première entrevue. Il m'a même chargé, à Dijon, d'écrire à Maret qu'il était inutile de rien faire à Paris, que son succès était inévitable, et j'ai

envoyé à cet effet, à Maret, duc de Bassano, un de ses parents, habitant de Dijon, qui était dans la garde nationale, autant que je puis me le rappeler, et inspecteur des droits réunis ou de l'enregistrement, c'est la seule lettre que j'aie écrite à Maret, et c'est par ordre.

D. N'en avez-vous pas reçu vous-même, une de cet an◄ cien ministre ?

R. Non. Je n'écrivis à Maret quo sur l'ordre que m'en donna l'empereur, dans une lettre qu'il m'adressa lui-même à Dijon. Il était déjà en avant, et inèine, je crois, à Fontainebleau.

D. Comment se fait-il qu'étant beaucoup plus près de Paris que vous, il vous ait chargé d'écrire à Maret? Votre lettre n'a dû arriver qu'après lui?

R. Je présume qu'il lui a écrit de son côté : il ne m'en chargeait que pour plus de sûreté. Ma lettre a dù arriver avant lui : il n'avait qu'une inarche devant moi.

.D. Savez-vous où il a reçu les premières dépèches qui lui sont parvenues de Paris?

R. Non.

D. Savary n'était-il pas déjà auprès de lui, lorsque vous l'avez rejoint?

R. Non d'après ce que j'ai ouï dire, Savary était resté aux environs de Paris, et courait dans les campagnes. Je crois qu'il n'a rejoint Buonaparte qu'à Paris. D. Buonaparte ne vous a-t-il pas fait part qui avaient préparé et facilité son retour?

:

des complots

R. Il m'a parlé de son entrevue avec le général Hohler et de son dîner à bord d'un vaisseau anglais. Nous étions une quinzaine à table. Il annonça que son affaire était une affaire de longue combinaison Cambrone, Labėdoyère, Bertrand, Drouet, Brayer, un colonel d'artillerie qui commandait celle de la garde, Alix, je crois, et un colonel polonais étaient de ce diner. Il nous parla avec dési tail de ce qui s'était passé à Paris pendant son absence, et s'entretint des plus grandes choses comme des plus petites. Il savait, par exemple, ce qui s'était passé au diner du Roi à l'Hôtel-de-Ville, me faisant remarquer que les maréchaux n'y avaient pas eu de place; il me dit même que ma femme n'y avait pas été invitée; ce qui est inexact: il était vrai seulement qu'elle n'y était pas allée, parce que l'invitation du Roi lui était parvenue à la campagne.

Il me demanda des nouvelles de plusieurs personnes : crois que ce fut lui qui me fit connaître la disgrâce de Soult, et la remise de son épée au Roi, Il était extrèinement bien informé de tout ce qui se passait et de tout ce qui s'était passé à Paris; il cita plusieurs femines de maréchaux, comme n'ayant pas été invitées au diner dè l'Hôtel-de-ville.

Il parla de la cérémonie funèbre du 21 janvier. Il me demanda ce que faisait Soult, et pourquoi ce ministre avait coupé les divisions militaires en deux, en envoyant deux lieutenants-généraux pour chaque division, de manière que chacun d'eux correspondait directement avec le ininistre. Cette disposition parut singulière à beaucoup de monde. Soult avait placé des généraux à lui dans ces divi sions, ils correspondaient directement avec le ministre qui, de cette manière, avait des gens qui étaient à lui, et d'autres qui étaient au Roi. Aussi, en arrivant à Besançon je trouvaí le général Mermet qui partageait, à mon insu depuis vingt jours, le commandeinent de la division avec Bourmont. Mermet était placé à Lons-le-Saulnier, Bourmont à Besançon.

D. Buonaparte ne vous rappelait-il pas, dans sa lettre du 13, vos anciennes liaisons, et ne vous tutoyait-il pas ?

R. Non: jamais je n'ai été tutoyé par lui. Il me parlait seulement de mes campagnes, il me disait qu'il se rap pelait toujours avec plaisir mes actions: je crois qu'il n'y appelait le brave des braves, ainsi qu'il le faisait quelque fois.

D. D'après ce que vous m'avez déclaré dans voire premier interrogatoire, il paraîtrait que vous avez conservé, jusques au 13 au soir, l'espérance de faire parcher yos troupes contre Buonaparte, et que vous n'avez eu à punir aucune rébellion de leur part?

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R. Je n'ai eu à punir qu'un officier, ainsi que je vous l'ai raconté. Le bouleversement n'a eu lien que le 14 au matin. Auparavant il n'y avait que de la ferimentation. Le préfet vint une déclarer, après la publication de la proclamation, qu'ayant prêté serment au Roi, il voulait reşter fidèle et qu'il se retirait. Je l'autorisai à se retirer à la campagne. On peut lui demander si je cherchai à le détourner de cette résolution. Il fut le seul, avec le colonel Dubalen, qui me fit des observations et me montra de l'opposition.

Le maréchal termine en disant: Je voudrais que vous pussiez annuller ce que j'ai dit dans mon dernier interrogatoire à l'égard de Gérard, de Bourmont et d'autres gé

néraux.

Je ne veux

dénoncer personne. Je ne désire que prouver au Roi que je n'ai pas eu l'intention de le trahir; lorsque je l'ai quitté, je suis parti avec l'intention de sacrifier ma vie pour lui. Ce que j'ai fait est un grand malheur, j'ai perdu la tête, je n'ai jamais formé le complot de trahir le Roi. J'aurais pu passer aux Etats-Unis je ne suis resté que pour sauver l'honneur de mes enfants; j'avais annoncé, en partant de Paris, que j'étais prêt à me mettre à la dis position du Roi. Je ne tiens pas a la vie, je ne tiens qu'à l'honneur de mes enfants,

Après les interrogatoires faits par M. Decazes, le général comte Grundler donne lecture de ceux auxquels il a lui-même procédé.

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Le maréchal lui remit d'abord la protestation suivante, que M. le rapporteur crut devoir joindre aux pièces :

Je déclare, par ces présentes, décliner la compétence de tout conseil de guerre, pour être jugé en conformité de l'ordonnance du Roi du 24 juillet dernier. Cependant, par déférence pour MM. les maréchaux de France et lieutenants-généraux qui composent le conseil de guerre, je suis prêt à répondre aux questions qu'il plaira à M. le maréchal de-camp, comte Grundler (remplissant les fonctions de rapporteur), de in'adresser.

A la Conciergerie, le 14 septembre 1815.

Le maréchal prince de la Moskowa. Le général fait ensuite à l'accusé la question suivante Savez-vous pourquoi vous avez été arrêté ? (1)

R. Je n'ai eu connaissance du motif de mon arrestation qu'à Aurillac, département du Cantal, où l'on n'a donné connaissance de l'ordonnance du Roi du 24 juillet dernier.

(1) Nous supprimons toutes les formules révérencieuses dont M. le rapporteur accompagnait chacune de ses interpellations au maréchal. Il convenait sans doute au général de faire sentir qu'il n'oubliait pas que l'accusé qu'il interrogeait était son supérieur, et revêtu de la première dignité militaire du royaume; mais elles allongeraient inutilement de volume.

D. Où avez-vous été arrêté, et par quel ordre ?

R. J'ai été arrêté dans le château de Bessonis, département du Lot, par ordre de M. Locard, préfet du Cantal, le 3 août dernier, par un capitaine, un lieutenant et quatorze gendarmes, qui m'ont de suite conduit à Aurillac. D. Pourquoi, à l'époque du 3 août, vous trouviez-vous dans le département du Lot?

R. J'ai quitté Paris le 6 juillet, à l'entrée des alliés dans la capitale. Mon intention était de me rendre en Suisse : j'avais des passeports du ministre de la police générale et un congé illimité du ministre de la guerre, qui m'autorisait à me rendre dans ce pays pour y rétablir ma santé. J'avais appris en route que Lucien Buonaparte, qui avait passé par Lyon, avait dîné chez le général en chef de l'arinée autrichienne, comte de Bubna, et probablement sur le rapport qu'il a fait du passage de ce personnage, il avait été arrêté à Turin. Le commissaire-général de police de Lyon étant venu me rendre visite, me prévint que toutes les routes qui conduisaient en Suisse étaient gardées par les Autrichiens, qu'il était à craindre que je ne fusse arrêté par eux, et me conseilla ou de leur demander des passeports, ou d'aller aux eaux minérales de Saint- Alban, près Rouanne, en attendant des nouvelles de Paris, à quoi je répondis que s'il n'y avait pas sûreté pour moi d'aller en Suisse, je préférais rétrograder sur Paris. Le passeport dont j'étais porteur fut visé par ce commissairegénéral de police, pour retourner à Paris. Cependant je me décidai à me rendre provisoirement à Saint Alban ayant appris que Moulins et d'autres villes voisines étaient occupées par les Autrichiens. C'est là, à Saint-Alban qu'une personne de confiance qui me fut envoyée par madame la maréchale Ney, in'engagea à la suivre dans le château de Bessonis, appartenant à une parente de madame la maréchale, et où j'arrivai le 29 juillet. J'y restai jusqu'au 3 août; époque de mon arrestation. Conduit, comme je l'ai dit plus haut, à Aurillac, le jour même et déposé à la maison de ville, j'y restai jusqu'au 15 du même mois, que l'ordre de me conduire à Paris fut apporté par le capitaine de gendarmerie, Jomard, accompagné d'un lieutenant, qui me firent partir et m'accompagnèrent jusqu'à la Conciergerie, où j'arrivai le 19 au matin.

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