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ORDRE DU JOUR.

Le maréchal prince de la Moskowa, aux troupes de son gouvernement.

Officiers, sous-officiers et soldats,

:

» La cause des Bourbons est à jamais perdue! La dynastie légitime que la nation française a adoptée va remonter sur le trône c'est à l'empereur Napoléon, notre souverain, qu'il appartient seul de régner sur notre beau pays! Que la noblesse des Bourbons prenne le parti de s'expatrier encore, ou qu'elle consente à vivre au milieu de nous, que nous importe? La cause sacrée de la liberté et de notre indépendance ne souffrira plus de leur funeste influence. Ils ont voulu avilir notre gloire militaire; mais ils se sont trompés: cette gloire est le fruit de trop nobles travaux, pour que nous puissions jamais en perdre le souvenir.

>> Soldats! les temps ne sont plus où l'on gouvernait les peuples en étouffant tous leurs droits; la liberté triomphe enfin, et Napoléon, notre auguste empereur, va l'afferinir à jamais. Que désormais cette cause si belle soit la nôtre et celle de tous les Français! Que tous les braves que j'ai l'honneur de coininander se pénètrent cette grande vérité!

>> Soldats! je vous ai souvent mené à la victoire ; maintenant je veux vous conduire à cette phalange immortelle que l'empereur Napoléon conduit à Paris, et qui y sera sous peu de jours; et là, notre espérance et notre bonheur seront à jamais réalisés. Vive l'Empereur!

» Lons-le-Saulnier, 13 mars 1815,

Le maréchal d'Empire,

Signé prince DE LA MOSKOWA.

La séance du conseil a été levée à cinq heures et demie, et ajournée au lendemain.

CONSEIL DE GUERRE.

Deuxième séance (10 Novembre).

A l'ouverture de la séance, M le rapporteur lit plusieurs déclarations relatives à des propos tenus à Metz et à Condé par le général Ney, lorsqu'il visita les garnisons de ces villes, en qualité de commnissaire-ordonnateur de Buonaparte. Le rapporteur a prévenu le conseil que ces déclarations ne faisaient point partie de l'instruction, et qu'il ne les lisait que comme renseignement.

Des officiers du 65. du 42°., et du eorps de gendarmerie, déclarent que la première question que le maréchal Ney adressa au corps d'officiers, fut : « Avez-vous encore >> parmi vous des voltigeurs, ou des fils de voltigeurs de » Louis XIV? il faut les chasser comme la peste. »

!啼

Il ajoutait : « Le Roi disait qu'il était fier de commander aux Français; mais il n'était pas digne de régner sur la France..... 11 faut que cette canaille de noblesse des Bourbons soit réduite à mendier son pain ou notre protection. Cette race dégénérée des Bourbons regardait les Français comme du bétail.... En emportant les diamants de la couronne, le Roi a fait un vol à la nation.... Je n'ai pas été entraîné, c'est moi qui ai entraîné les autres. La conversion s'est faite par la tête de la colonne.... Ces coquins de nobles ont vilipendé ma femme..... ( En mettant la main sur la garde de son épée. ) Voilà la seule noblesse l'empereur en est le chef. C'est le plus grand homine du monde..... Quand on n'a vu aux Tuileries auprès du Roi, j'allais pour le caresser, mais c'était pour inieux le tromper l'empereur a toujours été gravé dans mon cœur.... Les Bourbons étaient une branche pourrie. Le Roi n'était ni légitime, ni Français.... Il ne parlait pas même français, mais iroquois..... >>

Il proferait, disent les déclarations, mille autres pro

pos infâmnes, et entre autres des injures tellement grossières contre S. A. R. le duc de Berry, qu'on n'ose pas les rapporter. Un des déclarants ajoute que lorsque le maréchal Ney lut sa proclamation du 14 à la troupe, beaucoup de soldats trop éloignés pour l'entendre, inais persuadés qu'il les encourageait à bien faire leur devoir crièrent: Vive le Roi! le maréchal courut vers eux en disant: Ce n'est pas cela, mes amis, vive l'empereur !

On lit ensuite la requête présentée au Roi par Mine. Ney, pour réclamer le jugement de son époux par la chambre des pairs. Cette requête n'est qu'un résumé d'une consultation qui a paru sur la question de compétence, et qui est généralement attribuée à M. Dupin, quoiqu'elle soit signée Ney.

La lecture des pièces se termine à midi.

M. le maréchal Jourdan prend la parole et dit : « M. le maréchal Ney va être amené devant le conseil. Je rappelle au public qu'il ne doit se permettre aucun signe d'approbation ni d'improbation, et je donne l'ordre au commandant de la garde de faire sortir sur le champ quiconque s'écarterait du respect dù au tribunal et au inalheur. >>

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Après un court intervalle, le maréchal paraît. Il traverse une partie de la salle pour arriver au pied du tribunal, et sur son passage la garde lui porte les armes. II est vêtu d'un simple frac d'uniforme, et décoré d'un ruban et d'une plaque. Il porte un crepe au bras et dans son chapeau. (Il a perdu récemment son beau-père. )

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Un fauteuil était préparé pour lui sur l'estrade, vis-àvis les sièges occupés par les membres du conseil. M. le président lui demande ses noms, prénoms, etc.

L'accusé avant de répondre tire un papier sur lequel est écrit son déclinatoire, et lit à très haute voix, mais avec une émotion remarquable:

>> Par déférence pour MM. les maréchaux de France, et MM. les lieute mants-généraux, j'ai consenti à répondre aux questions que M. le rappor teur m'a adressées en leur nom, n'ayant pas voulu eutraver l'instruction préparatoire de cette procédure; mais aujourd'hui qu'elle est achevée, et que je me trouve conduit dans l'enceinte d'un tribunal, je dois renouveler mes réserves et les convertir en même temps en un déclinatoire formel de la compétence de tout conseil de guerre. Je déclare donc, à MM. les maréchaux de France et lieutenants-généraux, que sans m'écarter du respect dû à l'autorité, sans vouloir récuser les suf

frages d'aucun d'eux, je refuse de répondre à tout conseil de guerre comme à tout tribunal, autre que celui auquel la loi attribue le pouvoir de me juger. Etranger aux matières de jurisprudence, je les prie de me perinettre de dévelo; per les motifs de mon déclinatoire par l'organe de mon avocat, et de l'ecouter avec une bienveillante indulgence.

M. le président. — M. le maréchal, le conseil vous donne acte de votre déclinatoire, mais avant tout il doit constater l'identité de votre personne. Il faut done que vous ayez la bonté de répondre aux questions que je vous ai adressée. Votre réponse ne vous engage à rien. Le maréchal. J'ai nom Michel Ney, né à Sarrelouis, département de la Moselle, le 10 janvier 1769, maréchal de France, due d'Elchingen, prince de la Moskowa.

M. le président.

De quels ordres êtes-vous revêtu?

De l'ordre de St-Louis, de la Légion-d'honneur, de la couronne de fer et de la grande-croix de l'ordre du Christ.

M. le président accorde la parole à M. Beryer, avocat de l'accusé. « Le premier sentiment que j'éprouve, a-t-il dit, en prenant la parole dans cette enceinte redoutée, est plus doux et plus consolant encore que la parfaite sécurité et la confiance inébranlable; mes yeux se fixent sur une réunion vraiment auguste des premiers personnages de l'état, revêtus de la pourpre militaire, et dont les noms chers à la patrie, appartiennent déjà a son histoire ; quand je vois des guerriers, heureux survivanciers de tant de combats, qui ont tranché tant de destinées, je me demande pourquoi ils sont réunis en aréopage militaire, ces sénateurs des camps; je me crois transporté dans un temple consacré à la bravoure, et je cherche le but de cette magistrature soudaine. Je reporte ensuite les yeux sur celui qu'on y amene; le souvenir d'une série d'exploits et de brillants services s'offre à mon imagination et la domine, et je m'écrie: quoi ? ce bouclier, impénétrable aux coups de l'ennemi, n'aurait pu garantir un tel homme des traits de la fatalité, et c'est moi qu il a choisi pour le défendre, lui qui en a défendu et sauvé tant d'autres; je considère cette grande infortune d'un des enfants de la terre française, dont elle s'énorgueillissait le plus ; c'est le brave des braves qui est accusé de trahison, ces mots sont étonnés de se trouver ensemble.

Jamais lutte ne fut plus faite pour accabler la raison humaine; la vaillance est accusée par l'autorité qu'elle doit défendre; la fidélité la mieux éprouvée est frappée de l'accusation de perfidie. Quelle puissance infernale, vomie par je ne sais quel Ethna, a séparé, par sa lave

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brûlante, un guerrier si généreux et un Prince si digne

d'amour.

Le long exorde de Me. Beryer est écrit presque tout entier de ce style pompeux et métaphorique.

Après avoir pris l'engagement de prouver jusqu'à l'évidence, si la marche du procès le conduit à la discussion du fait matériel, que la faute du maréchal Ney est un dernier effet de la tourmente politique, d'un entraînement irrésistible, d'un amour de la patrie mal dirigé, et que son coeur est toujours resté pur; qu'il a été trompé et non trompeur, que ses yeux ont été fascinés par la crainte de plus grands maux, et par l'espoir d'un meilleur avenir, Me. Beryer s'adresse aux membres du conseil et leur dit Il vous tarde à vous-mêmes, ses émules et ses compagnons d'armes, de voir dissiper les nuages qui obscurcissent sa renommée et interrompent votre solidarité de gloire.

L'avocat annonce qu'il n'a pas voulu s'emprisonner dans les limites qu'on a essayé de tracer autour de lui: il s'est élancé hors du cercle de Popilius; inais ses principes bien connus, sa fidélité à ses princes légitimes, lui garantissent qu'il n'a dû alarmer personne par sa témérité et la défense de celui qui fut calme sous une grêle de feu et brûlant sous les glaces du nord, ne comporte ni faiblesse, ni témérité.

Il arrive enfin à la question, et se demande de quoi est accusé le maréchal Ney? De haute-trahison envers le Roi et la patrie. Ce texte seul de l'accusation lui fait décliner toute autre juridiction que celle de la chambre des pairs. Ici Me. Beryer établit par des définitions la différence entre la récusation et le déclinatoire, et déclare que son client décline non les membres, mais la compétence du conseil.

Il remonte à l'histoire de l'établissement des juridictions, des pairies et des maréchaux; it cite les monuments historiques; il s'élève avec autant de force que de raison contre ces commissions qui ont compromis la jus- ` tice des souverains qui les ont créées. Enfin, il ne néglige rien pour convaincre le conseil de son incompétence absolue et radicale.

Il pose en principe qu'aucun conseil de guerre, même permanent, n'a le droit de connaître des crimes d'état

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