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tude et cette inépuisable bonté d'un Prince dont tous les jours sont marqués par des bienfaits, ou par des actes de justice, qui sont les premiers bienfaits d'un Roi! ce respect religieux pour les institutions qu'il a données à la France, et qui, comme il l'a dit lui mème, seront un jour ses plus beaux titres de gloire pour la postérité !

Ainsi, puisque la justice du Roi a garanti à M. de la Vallette la jouissance de tous les droits que lui assurent les articles 63 et 64 de la Charte, M. le matéchal Ney ne paraîtrait-il pas fondé à réclamer pour lui l'exécution des articles de la Charte qui lui sont favorables?

Sans vouloir rien préjuger de la décision du conseil sur la question de coinpétence qui lui est soumise, nous croyons avoir démontré,

1°. Que la juridiction de la Chambre des pairs est un point de droit public presqu'aussi ancien que la monarchie, toujours reconnu par nos Rois, et consacré de nouveau par l'article 34 de la Charte constitutionnelle que nous devons à S. M.

2o. Que M le maréchal Ney était pair de France au moment où il a commis le délit pour lequel il est mis en jugement;

3°. Qu'un prévenu doit toujours être jugé dans le grade ou suivant la qualité qu'il avait au moment où il a commis son délit ;

4°. Que les maréchaux de France, considérés comme grands-officiers de la couronne et comme généraux, ne reconnurent jamais que les parlements pour leurs juges naturels; et qu'on ne trouve ni dans les lois, ni dans les usages qui étaient en vigueur avant la révolution, rien qui détermine la manière dont MM. les maréchaux de France seront jugés ;

5. Qu'en les assimilant aux généraux d'armée, pour leur appliquer les dispositions de la loi du 4 fructidor an V, on a été contraint de créer, par analogie, un tribunal militaire, dont l'existence n'est reconnue par aucune loi;

6°. Que le formulaire prescrit par les jugements des conseils de guerre, ne pourrait être suivi daction de celui à intervenir dans l'affaire de M. le maréchal Ney; pour la ré

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7°. Que dans le cas où il devrait être soumis à révision,

il n'existe pas dans l'armée des officiers d'un grade plus élevé que celui de maréchal de France, pour former un tribunal supérieur ;

8°. Qu'il n'y a que l'article 4 de l'ordonnance du 24 juillet qui déroge, pour ce cas seulement, aux lois et formules constitutionnelles, et qui établisse la compétence d'un conseil de guerre pour juger M. le maréchal Ney;

9o. Enfin, qu'en se renfermant dans les bornes constitutionnelles, qu'en exécutant à la lettre les articles 33, 34, 63 et 64 de la Charte, tout est prévu; la loi est écrite, et fixe la règle de conduite à suivre dans cette circons

tance.

Sans doute, a-t-il dit en terininant son rapport, le conseil n'attend pas de nous des conclusions sur la question de compétence que nous venons de traiter. Quand les hommes d'état les plus éclairés et les plus célèbres jurisconsultes varient d'opinion à ce sujet, ce n'est point à un militaire peu versé dans la connaissance du droit, et qui a passé la plus grande partie de sa vie dans le tumulte des camps, à émettre une opinion qui pourrait entrainer la décision du tribunal.

Pour oser donner des conclusions sur une pareille question, il faudrait avoir acquis, par des études approfondies sur cette matière, le droit d'être cru sur parole ou faire autorité dans le barreau.

Les faits historiques et les citations que nous avons rapportés prouveront que nous avons cherché de bonne foi à répandre sur la discussion les lumières qui peuvent servir à éclairer la religion du conseil.

Nous espérons qu'on nous rendra cette justice, que nous avons cherché à concilier ce que nous devions à la dignité du tribunal devant lequel nous parlons, et aux pénibles et solennelles fonctions qui nous sont imposées, avec ce que nous devons à l'accusé et à nous-mêines. Il ne nous reste plus qu'à nous en rapporter aux lumières et à l'impartialité du conseil chargé de juger une question de droit qui n'a point d'exemple dans les fastes de notre

histoire.

Le rapport de M. le général Grundler a été entendu avec le plus vif intérêt. Il se distingue par l'ordre, la clarte, la disposition des matières, et par une grande pureté de style; c'est le genre de mérite qu'on avait le moins de

droit d'attendre d'un guerrier. La surprise n'en a été que plus agréable pour l'auditoire et plus flatteuse pour M. le rapporteur, dont le débit noble et facile n'a un médiocre prix à son discours.

pas ajouté M. le commissaire-ordonnateur de Joinville, chargé des fonctions de procureur du Roj, a rempli avec plus de zèle et de talent, que de succès, la mission de veiller au maintien des formes et à l'exécution précise de la loi.

Il a fait cinq divisions des motifs allégués en faveur de l'incompétence; 1o. l'accusé est pair de France; 2°. militaire d'un grade très élevé; 3°. revêtu d'une grande dignité dans l'état ; 4°. comment créer un conseil de révision? 5. quelle formule adopter pour la rédaction du jugement?

M. de Joinville établit d'abord ce principe, qu'à l'époque où le maréchal Ney s'est rendu coupable, les pairs du royaume n'avaient pas encore ce caractère d'inamovibilité que le Roi leur a conféré depuis. Le maréchal n'est pas plus autorisé à réclamer les privilèges de la pairie que tous ceux qui, par leur conduite, ont inérité d'être exclus de la nouvelle chambre des pairs. La manifestation de la volonté royale a précédé l'arrestation et la mise en jugement du maréchal Ney.

En sa qualité de maréchal peut-il réclamer les antiques priviléges des maréchaux de France? Non. Le sénatusconsulte qui a rétabli cette dignitè n'a rendu à ceux qui en étaient investis aucune des anciennes prérogatives attachées à ce titre; pas même la jurisdiction des affaires militaires. Ils n'avaient que le droit d'ètre jugés par une haute cour qui n'a jamais été organisée. La charte n'a maintenu que les tribunaux ordinaires existants, et la haute cour n'a jamais existé, Les maréchaux ne sont pas compris par la charte, dans le nombre de ceux à qui elle donne le droit de n'être jugés que par la chambre des pairs. Les préfets aussi étaient, par le sénatus-consulte, justiciables de la haute-cour. Serait-il écouté aujourd'hui le préfet accusé qui déclinerait la juridiction des tribunaux ordinaires? Les maréchaux en sont également devenus justiciables.

Le conseil de guerre devant lequel paraît M le maréchal Ney, est donc son tribunal naturel. Ii est composé d'après le hiérarchie militaire, et de manière à re que l'accusé ne soit jugé que par ses pairs: car un marechal

de France n'est plus considéré que comme un général en chef permanent, justiciable d'un conseil permanent à la juridiction duquel aucun général d'armée ne pourrait se soustraire. Moreau, lui-même, le guerrier vraiment français, qui n'a vaincu que pour son pays, et qui est mort en cherchant à le délivrer d'un oppresseur, n'eût pu pour un délit commis en qualité de général, se soustraire au ressort du tribunal que décline le maréchal Ney.

En soutenant que les articles 33 et 34 de la Charte ne sont pas applicables au maréchal Ney, M. le procureur du Roi invoque l'article 14 de cette même Charte, qui investit le Roi du droit de prendre toutes les mesures, de rendre toutes les ordonnances qu'il croira utiles à la sûreté publique et au salut de la patrie. Quelle occasion plus pressante pouvait rencontrer le Roi d'exercer cette dictature salutaire que l'événement qui lui dicta' l'ordennance du 6 mars 1815? Il déclara traîtres et rebelles Buonaparte et ses adhérents. Il prescrivit de les traduire devant des tribunaux militaires. Aucune voix ne s'éleva contre cette ordonnance, si nécessaire et si mal exécutée. Le peuple et les chambres y applaudirent. M. le maréchal Ney la connaissait; il y était soumis comme tous les Français, et plus directement peut-être qu'aucun autre, en raison de son grade et de sa dignité. Elle ne pouvait être effacée de sa mémoire quand, peu de jours après, il s'exposa sciemment à toute sa rigueur, en se rendant coupable des crimes qu'elle avait prévus et spécifiés. Il s'est donc volontairement placé hors de la constitution.

On a parlé de l'impossibilité de trouver un tribunal qui pût reviser le jugement qui émanerait d'un conseil de guerre composé d'officiers revêtus des plus hauts grades de l'armée. Mais le conseil de révision ne s'occupe que des formes, de l'application et de l'exécution de la Îni. Sa composition doit donc être toujours la même. Ce qui le prouve, c'est que la création des conseils de révision est postérieure à celle des conseils de guerre pour juger les généraux en chef.

La rédaction du jugement, dont on a voulu faire une difficulté, n'exige d'autre caractère de légalité que l'observation des formules, et cette condition sera remplie quand

on aura relaté les circonstances et les incidents qui auront eu lieu dans ce procés.

Enfin, le guide du juge militaire, cité par M. le procureur du Roi, décide que les crimes de rébellion contre l'autorité légitime sont du ressort des conseils de guerre, quand même l'exécution n'aurait pas eu lieu à main armée.

M. de Joinville conclut à ce que le conseil de guerre reconnaisse sa compétence et ordonne la continuation des débats.

M. le président a demandé à l'accusé s'il n'avait rien à ajouter aux moyens développés par son avocat; sur sa rẻponse négative, il lui a dit: M. le maréchal, vous pouvez vous retirer.

MM. les membres du conseil sont entrés dans la chambre des délibérations à 4 heures; à cinq heures un quart ils se sont remis en séance, et M. le président a prononcé le jugement suivant :

«Le conseil, après avoir délibéré sur la question de savoir s'il était compétent pour juger M. le maréchal Ney, a déclaré, à la majorité de cinq contre deux, qu'il n'était pas compétent.

» Le conseil charge M. le général comte Grundler, rapporteur, de donner connaissance du présent jugement à M. le maréchal Ney.

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Et ont signé au procès-verbal,

S. Ex. le maréchal Jourdan ; S. Ex. le maréchal Masséna, prince d'Essling; S. Ex. le maréchal Augereau, duc de Castiglione; S. Ex. le maréchal Mortier, duc de Trévise; M. le lieutenant-général comte Gazan, M. le lieutenantgénéral Claparède, M. le lieutenant-général conte Villate, seuls lieutenants-généraux employés dans la première division militaire; M. le comte Gruudler, rapporteur; M. Join-, ville, ordonnateur en chef, procureur du Roi; M. Boudin, greffier.

Le lendemain, 11 novembre, M. Joinville, commissaire ordonnateur en chef de la première division militaire, délégué en qualité de procureur du Roi près le premier conseil de guerre permanent qui doit juger M. le maréchal Ney, a déclaré le pourvoi en révision contre le jugement d'incompétence rendu par le conseil.

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