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l'honneur et de l'amour de la patrie. Pouvait-il en douter? il avait reçu des serments, et il n'appartient qu'au parjure de se méfier de la foi du serinent.

Où le Roi devait-il surtout espérer de trouver des serviteurs fidèles? où devait-il chercher les représentants naturels de l'honneur inilitaire? N'était-ce pas parmi ces chefs de l'armée, ces grands-officiers de la couronne, ces premiers soutiens de la royauté, à laquelle ils doivent leur existence et leur éclat; parmi les maréchaux de France enfin, auxquels le ciel sembla vouloir offrir une noble occasion d'expier les erreurs de leur gloire? L'événement a prouvé jusqu'à quel point était fondée la généreuse confiance du Monarque. On a besoin pour adoucir les idées que fait naître ce souvenir, de rappeler à sa pensée la conduite loyale et l'héroïque fidélité de plusieurs de nos maréchaux, dont la France placera ́ les noms à côté de ceux des chevaliers irréprochables dont ils se sont montrés les dignes successeurs.

La trahison, multipliée sous mille formes, prépara le triomphe du génie du mal, triomphe qui fut court, inais dont les effets se feront sentir long-temps encore. La nation revit son Roi tant désiré, tant aimé, tant regretté; son Roi dont elle n'eut jamais à craindre que l'inépuisable bonté. Elle osa lui dire que la clémence n'est que la seconde vertu des souverains, et que la main de justice est un des attributs du trône. Toujours prodigue de sa miséricorde, le Roi fut avare de sa rigueur, et parini tant de coupables dénoncés par la voix publique moins encore que par les derniers efforts de leur rage parricide, la capitale de la France n'a encore vu la punition que d'un seul, dont le crime était si notoire, si évident, que luiinème n'osa pas essayer de l'excuser.

Ce n'est qu'avec un profond sentiment de douleur que l'on contemple celui qui vient le second, rendre compte, au pied de la justice, de l'exécution de ses devoirs et de T'accomplissement de ses serments. C'est un guerrier parvenu par de brillants exploits aux premières dignités des arines; c'est un maréchal de France qui est accusé d'avoir trahi l'honneur, le Roi et la patrie.

La France et l'Europe se plaisaient à le distinguer de ces soldats devenus généraux, sans autre titre qu'un courage féroce, qu'un mépris de la mort, qu'on peut attri

buer à la juste appréciation qu'ils faisaient de leur vie. Les beaux faits d'arines du maréchal Ney n'avaient été déshonorés ni par une vile rapacité, ni par une cruauté brutale, et ses lauriers, arrosés de son sang, eussent brillé de l'éclat le plus pur, si ce sang n'eût inalheureusement servi à cimenter le trône d'un usurpateur.

Comment imaginer que ce même homme devenu ingrat et parjure envers le monarque qui rendait à sa gloire toute son innocence en la faisant le patrimoine de la France et de la monarchie, ait formé le complot infàme de livrer le trône et la patrie à cet aventurier dont sa franchise lui avait quelquefois attiré la défaveur, et qui ne le menageait que parce qu'il avait besoin de tui.

Depuis long-teinps le procès du maréchal Ney est le sujet de toutes les conversations, la source et l'objet de mille conjectures. Les faits parlent, et personne n'ose, du moins hautement, nier leur authenticité. L'accusé luimême fait de ses fautes un aveu auquel l'expression du repentir peut seule donner quelque mérite.

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Mais le crime qu'on lui reproche paraît si grave, si incroyable même à quelques personnes; que pour y ajouter foi elles ont besoin de se faire du maréchal une idée differente de celle qu'elles en avaient conçue jusqu'alors. C'est à ce sentiment qu'il faut attribuer la facilité avec laquelle se sont accréditées des allégations avilissantes, qui paraissent affecter l'accusé plus vivement encore que la perspective du jugement qui peut terminer son procės. On a prétendu que le maréchal Ney avait prémédité la trahison, qu'en baisant la main du Roi, au moment où il promettait de défendre sa cause, il avait le parjure sur les lèvres et la perfidie dans le cœur; on a même ajouté qu'il n'était parti pour rejoindre l'usurpateur, que chargé des bienfaits du Roi. Ce sont là les imputations desquelles on s'est principalement et presque uniquement attaché à justifier le maréchal dans les divers mémoires qui ont été publiés en sa faveur. On ne nie pas qu'il n'ait été coupable, mais on prétend qu'il a improvise son délit ; qu'il a quitté Paris, pénétré du sentiment le plus pur de dévouement et de fidélité pour le Roi, et que ce n'est que le 15 mars et à Lons-le-Saulnier, qu'il s'est laissé entraîner à des suggestions perfides. On abandonne le fait et l'on discute sur la date et le lieu. Les débats dont nous allons rendre

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compte pronveront si c'est là le système de défense, ou pour mieux dire, d'excuse et d'atténuation que le maréchal a cru devoir adopter.

On a cherché dans l'histoire un procés qui offrit quelque ressemblance avec celui du maréchal Ney. On a trouvé l'exemple de plusieurs accusations capitales intentées contre des maréchaux de France, et l'on a cru remarquer quelques traits d'analogie entre le procès qui fixe aujourd'hui l'attention publique et celui dont le maréchal duc de Biron fut l'objet et la victime. On s'est plu à comparer les deux accusés. Il a fallu d'abord, pour établir le parallèle, priver Je maréchal de Biron, je ne dis pas de tous les avantages de la naissance, mais du glorieux héritage qu'il avait reçu d'un père mort au service de son roi; il a fallu estimer au même prix le sang versé par l'un pour une cause qui n'était pas celle de son prince légitimne, et le sang prodigué par Ï'autre dans cent combats, pour renverser la ligue et replacer la couronne sur le front du plus brave et du meilleur des rois. Vaine et fausse comparaison!

Ce n'est qu'à l'instant où l'on examine le crime reproché aux deux maréchaux, que l'on entrevoit la possibilité de les comparer l'un à l'autre. Tous deux ont été accusés d'avoir trahi le monarque qui les avait comblés de dignités et d'honneurs, et qui voyait en eux les plus fermes appuis de son autorité; mais le crime du maréchal de Biron n'avait été pour ainsi dire que médité; à peine pouvait-on y reconnaître un commenceinent d'exécution, tandis que, le maréchal Ney était déclaré coupable, il serait impossible de dire que son délit n'a pas été entièrement consommé. Peut-être aurait-on saisi des traits de ressemblance plus frappants, si l'on eût peint cette grande réputation militaire, cette bravoure impétueuse et cette chaleur de caractère qui semblent les distinguer également.

si

Mais abandonnons et les fausses comparaisons qu'on a faites, et les comparaisons plus justes qu'on pourrait faire, et hâtons-nous de satisfaire la curieuse impatience de nos lecteurs, en leur faisant connaître ce qui s'est passé dans la première séance du conseil de guerre chargé de l'examen et du jugement de ce procès mémorable.

Avant neuf heures la salle de la Cour d'assises où siégeait le conseil, était remplie d'une foule qui ne ressemblait pas tout-à-fait à l'auditoire habituel des tribunaux; on y remar

quait particulièrement beaucoup de personnages étrangers de la plus haute distinction. Il est douloureux pour la France d'avoir un pareil spectacle à leur offrir.

en

L'ouverture de la séance a été retardée par un incident que nous avions fait pressentir à nos lecteurs. Le maréchal Massena, prince d'Esling, avait cru sa délicatesse intéressée à se récuser comme juge du prince de la Moskowa. Il motivait sa récusation sur une ancienne inimitié produite par des différends assez vifs qui s'élevèrent entre eux, Espagne; l'armée avait vu avec peine cette division entre deux guerriers également recommandables. Le conseil a délibéré sur la validité de ce notif, et il a noblement décidé qu'il était impossible que le petit ressentiment d'un général d'armée trouvât place dans la conscience d'un juge. Le maréchal Massena a donc pris séance parmi les membres du conseil.

Le lieutenant-général, comte Maison, avait été désigné pour faire partie du conseil, mais le ministre a reconnu que le lieutenant général, comte Gazan, employé à la mème époque dans la première division militaire, était plus ancien dans le grade, et c'est lui qui, conformément à la loi, a remplacé le comte Maison.

L'accusé n'était point présent à cette audience, qui a été entièrement remplie par la lecture des pièces de cette volumineuse procédure. Nous nous sommes appliqué à recueillir avec la plus soigneuse exactitude ce qu'elles contiennent de plus important.

Nous ne parlerons pas aujourd'hui des déclarations des témoins, quoique plusieurs de celles qu'on a lues soient d'une grande importance et d'un intérêt très vif. Nous aunons mieux les recueillir de la bouche même des témoins qui viendront les renouveler de vive voix devant le tribunal. L'accusé sera là pour y répondre; et le débat public, sans rien leur ôter de leur grave autorité, leur donnera une couleur plus frappante et plus dramatique.

Les interrogatoires qu'on a fait subir à M. le maréchal Ney ne sont pas la partie la moins intéressante des pièces de l'instruction; et la différence de ton qu'on remarque entre les premiers et les derniers, peut servir à faire connaitre les diverses dispositions d'esprit dans lesquelles il s'est trouvé depuis son entrée à la Conciergerie. Il y est arrivé, ainsi qu'on le verra, le 19 août. Le 20, M. le préfet

de police se transporta à la prison pour l'interroget. L'accuse, retenu au secret le plus rigoureux, n'avait pu conferer avec personne; il n avait eu ni le temps ni la liberté d'esprit nécessaires pour recueilär ses idées.

L'agitation d'une vie errante, au milieu de craintes et de dangers qui s'accroissaient chaque jour, l'impression que dut lui faire éprouver son arrestation imprévue dans un lieu où il devait se croire en sûreté . sa detention dans l'hôtel-de-ville d'Aurillac en attendant les ordres de Paris, son voyage entrepris sous l'escorte de deux cfficiers de gendarmerie, et terminé à la maison de justice; et plus que tout cela, peut-être, le souvenir du passé et la perspective de l'avenir, avaient dû répandre dans un esprit impatient et irrascible, un trouble et un désordre qui se manifestent à chaque instant dans le premier interrogatoire, et qu'on observe encore, mais avec des nuances différentes dans le second qui eut lieu deux jours après.

Trois semaines s'écoulèrent avant que M. le maréchalde camp, comte Grundler, rapporteur du conseil de guerre, interrogeat M. le maréchal. Aussi les réponses aux interpellations qui lui furent adressées alors, présentent-elles beaucoup plus d'ordre et de méthode. Mais nous avons eu tort, peut-être, d'indiquer à nos lecteurs une observation qui, sans doute, ne leur aurait point échappé.

M Decazes, alors préfet de police, entre dans la prison de M. le maréchal, lui annonce l'objet de sa visite, et lui fait les premières questions d'usage. Le maréchal prenant un ton qui n'est pas ordinaire à un accusé devant le inagistrat chargé de l'interroger lui dit :

« Je ne suis pas obligé de vous répondre ; je ne dois pas être jugé par une commission militaire, mais par la Chainbre des pairs. Je vois bien que vous avez un costume qui est celui des autorités royales; mais rien ne meprouve que vous soyez préfet de police. Je suis prêt à répondre à toutes les questions, à réfuter toutes les calomnies, et à dire des choses qui étonneront bien des gens. Je veux d'abord savoir pourquoi je suis ici? Parce qu'on m'a mis sur une liste où l'on m'appelle Ney? Si j'avais connu l'ordonnance du Roi, je ne serais rendu à Paris. J'ai été arrėtė arbitrairement et contre les formes établies par les lois. >>

M. le maréchal nie formellement qu'il ait offert au Roi ses services, et qu'il lui ait fait des protestations de

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