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Sa Majesté très chrétienne y a positivement accédé elle-même en entrant dans sa capitale : plus d'une fois elle a invoqué l'imposante autorité de ce contrat politique comme d'unfacte indivisible dans toutes ses parties.

Maintenant, Excellence, peut-il être douteux que je ne sois fondé, comme l'un des particuliers pour qui on a stipulé, à revendiquer le bénéfice de l'article 12, et la religieuse exécution des garanties qui y sont exprimées ?

J'ose en conséquence requérir expressément de votre ministère et de la puissance auguste au nom de la quelle vous l'exercez, que vous fassiez cesser à mon égard toute procédure criminelle pour raison des fonctions que j'ai remplies au mois de mars 1815, de ma conduite et de mes opinions politiques.

Mon état d'isolement et d'abandon est une raison de plus pour déterminer V. Exc. à venir à mon secours, et à me faire jouir par sa puissante médiation du droit qui m'est acquis.

Si je ne m'étais pas aveuglément reposé sur la parole de tant de souverains, j'aurais été en quelque terre inconnue me faire oublier. C'est cette parole auguste et sainte qui a causé ma sécurité : pourrait-elle être trompée ? Je ne puis le croire, et j'attends avec confiance de votre loyauté que vous m'accorderez votre prompte intervention.

Signé Ney.

NOTE ADDITIONNELLE.

M. le duc de Wellington, dans une audience particulière accordée à madame la maréchale Ney, a donné pour motifs de la disposition où il était personnellement de n'intervenir en rien dans le procès du maréchal.

" Que S. M. le Roi de France n'avait pas ratifié la convention du 3 juillet;

« Que la stipulation écrite en l'article 12 n'exprimait qu'une renonciation des hautes puissances, pour leur compte, à rechercher qui que ce fût en France pour raison de sa conduite ou de ses opinions politiques;

« Qu'elles n'avaient donc à s'immiscer en rien dans les actes du gouvernement du Roi ».

Madame la maréchale Ney ne peut pas croire que cette pre

mière opinion, manifestée sur l'article 12 de la convention du 3 juillet, soit définitivement maintenue dans la conférence de MM. les plénipotentiaires :

En effet, dans les attaques et invasions purement étrangères d'un conquérant, l'ennemi qui pénètre dans un pays ne s'inquiète nullement des troubles qui ont pu y éclater, et il ne tombe pas dans l'ordre des capitulations que ceux d'un certain parti ne pourront être recherchés; c'est donc parce que dans l'occurrence la guerre était spéciale, et pour la pacification de l'intérieur que l'on a songé à stipuler en termes d'amnistie.

Le Roi, dit-on, n'a pas ratifié; mais la ratification a été suffisante, puisque la prise de possession s'en est suivie. La condition des assiégés ne peut pas être changée après coup, à moins qu'on ne rétablisse les choses in statu quo.

S. A. n'a pas assez considéré ce qui doit l'être essentiellement que cet article 12 a fait la matière d'une discussion entre les commissaires des armées anglaise et prussienne et les commissaires de l'armée française, et qu'il a été bien entendu que cette stipulation avait lieu à cause du Roi, et non à cause des armées alliées, qui n'avaient aucun intérêt positif pour agir contre tel ou tel parti.

Que l'article est consenti au nom et dans l'intérêt commun de toutes les puissances alliées, intérêt indivisible, et que les deux traités des 13 et 25 mars signalaient être principalement celui de S. M. le Roi de France.

Que ce ne sera pas s'immiscer dans les actes du gouvernement du Roi que de rappeler à S. M. des engagements pris en son nom, engagements que ses ministres oublient, que les individus recherchés revendiquent, et dont il est de la dignité des hautes puissances que l'effet ne soit pas nul.

Dans tous les cas, puisque S. A. accorde que les hautes puissances se sont liées du moins elles-mêmes par une renonciation, que doivent-elles penser sur ce qu'on les a fait figurer comme conjurant et requérant le jugement du maréchal Ney?

La première chose qu'elles doivent faire dans une pareille conjecture n'est-elle pas de dégager promptement de cet énormé poids la balance de la justice criminelle?

Nota. Des duplicata de ces deux pièces ont été envoyés au prince régent d'Angleterre et au premier ministre ; on attend leur réponse.

2..

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CHAMBRE DES PAIRS.

Séance du 21 Novembre.

La séance a été ouverte à dix heures et demie. Depuis huit heures le public remplissait les placés qui lui avaient été réservées; un assez grand nombre de personnages de distinction, ou étrangers ou nationaux, au nombre desquels étaient le prince royal de Wurtemberg; le prince de Metternich; le comte de Goltz, ambassadeur prussien; le comte de Grisein, général russe et ancien gouverneur de Mittan, se faisaient remarquer dans les tribunes, ainsi que plusieurs membres de la chambre des députés, revêtus de leur costume.

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MM. les comtes Pastoret, de Choiseul, M. de Sèze, M. de Châteaubriand occupaient les places de secrétaires.. M. le conte de Vaublanc, M. du Bouchage, M. le garde des sceaux, étaient au banc des ministres. M. Bellart, procureur-général à la cour royale de Paris, commissaire du Roi, au nom des autres commissaires, occupait un bureau au-dessous et à la droite du président; M. Cauchy, archiviste, faisant fonction de greffier de la chambre, était assis à la gauche.

M. le president: Messieurs, le maréchal Ney, accusé de haute trahison et d'attentat contre la sûreté de l'Etat, va être amené devant la chambre des pairs: Je fais observer au public, pour la première fois témoin de nos séances, qu'il ne doit se permettre aucun signe d'approbation ou d'improbation. Les témoins doivent être écoutés, les réponses de l'accusé religieusement entendues; j'ordonne à la force publique d'arrêter quiconque violerait le silence qui doit être observé dans cette enceinte, quiconque s'écarterait du respect dû à cette auguste assemblée, et des égards que réclame le malheur.

Les témoins vont être introduits; on fera comparaître ensuite

l'accusé.

Huit témoins se présentent et prennent place sur le banc qui leur est destiné; six autres paraissent après eux; enfin les deux derniers; et le nombre de seize est complet, ainsi qu'il est établi par l'acte d'accusation.

Les deux avocats du maréchal Ney, MM. Berryer et Dupin, sont placés au bureau qui leur est préparé.

Il est onze heures juste; l'accusé entre; il est escorté par quatre grenadiers royaux, vêtu d'un simple habit militaire sans broderie, portant les épaulettes de maréchal, le crachat de la Légion-d'Honneur et le simple ruban de la croix de Saini-Louis; après avoir salué respectueusement l'assemblée, il prend la main de l'un de ses avocats, M. Dupin, et s'assied entre ses deux défenseurs.

M. le président: Il va être fait un appel nominal pour consta ter l'absence de ceux de messieurs les pairs que leurs fonctions, ou des exceptions particulières empêcheut de siéger dans cette cour; M. le greffier aura le soin de noter leurs noms à mesure qu'ils ne répondront point, sur la liste qui va être lue..

M. le greffier commence l'appel nominal.

M. le duc de Brissac Vous m'avez oublié, je suis présent. La lecture de la liste est continuée et achevée; les pairs absont

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MM. le duc de Brancas; le duc de Broglie; le comte Destut de 15,00 Tracy; le comte de Vaubois, le comte Jules de Polignac, le duc de Mortemart.

M. le président: Accuse, quels sont vos noms, prénoms, lieu de naissance, domicile, qualités?

b

âge,

Le maréchal Ney (d'une voix forte et assurée): Je me nomme Michel Ney, né à Sarre-Louis, le 17 février 1769; mes qualités sont: maréchal de France, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa, pair de France. Les titres de mes ordres; chevalier de SaintLouis, grand-cordon de la Légion-d'Honneur, officier de la Gouronne de Fer, grand'croix de l'ordre du Christ.

M. le président Accusé, prêtez à ce qui va vous être lu, la plus grande attention. Je recommande à votre conseil la plus stricte modération dans les débats qui vont s'ouvrir; je l'invite à ne parler ni contre sa conscience, ni contre l'honneur, et à s renfermer dans tout le respect qui est dû aux lois.

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Le greffier commence la lecture des pièces par la première ordonnance du roi, du 11 novembre, qui statue que la chambre des pairs procédera, sans délai, au jugement du maréchal Ney. I lit ensuite la seconde ordonnance du 12, qui règle une partie des formes dans lesquelles l'instruction devra avoir lieu; il donne enfin lecture de l'acte d'accusation en ces termes ;

ACTE D'ACCUSATION.

Contre le maréchal NEX, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa, ex-pair de France.

Les commissaires du Roi charges, par ordonnance de S. M. des 11 et 12 de ce mois, de soutenir devant la chambre des pairs l'accusation de haute trahison et attentat contre la sûreté de l'État, intentée au maréchal Ney, et sa discussion,

Déclarent que des pièces et de l'instruction qui leur ont été communiquées par suite de l'ordonnance qu'a rendue, en date du 15 du présent, M. le baron Seguier, pair de France, conseiller d'Etat, premier président de la cour royale de Paris, commissaire délégué par M. le chancelier, président de la chambre, pour faire ladite instruction, résultent les faits suivants :

2

En apprenant le débarquement effectué à Gannes, le 1er. mars dernier, par Buonaparte, à la tête d'une bande de brigands de plusieurs nations, il parait que le maréchal Soult, alors ministre de la guerre, envoya, par un de ses aides-de-camp, au maréchal Noy, qui était dans sa terre des Coudreaux, pres Châteaudun l'ordre de se rendre dans son gouvernement de Besançon, où il trouverait des instructions.”

Le maréchal Ney vint à Paris le 6 ou le 7 (car le jour est resté incertain, et, au surplus, cette circonstance est peu importante), au lieu de se rendre directement dans son gouvernement.

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"La raison qu'il en a donnée est qu'il n'avait pas ses uniformes, Elle est plausible.

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Ce qui l'est moins, c'est que, suivant le maréchal, il ignorait encore, lorsqu'il est arrivé à Paris, et l'événement du débarquement de Buonaparte à Cannes, et la vraie cause de l'ordre qu'on lui donnait de se rendre dans son gouvernement de Besançon. Il est bien invraisemblable que l'aide-de-camp du ministre de la guerre ait fait au maréchal, à qui il portait l'ordre de partir subitement, un secret si bizarre de cette nouvelle, devenue l'objet de l'attention et des conversations générales, secret dont on ne peut même soupçonner le motif, comme il ne l'est pas moins que le maréchal ait manqué de curiosité sur les causes qui lui faisaient ordonner de partir soudain pour son 'gouvernement, et n'ait pas interrogé l'aide-de-camp, qui n'eût pu alors se défendre de répondre.

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