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je termine cette discussion pénible en vous promettant que la défense du maréchal Ney ne se traînera pas sur des moyens aussi lents à chaque pas, vous reconnaîtrez l'homme encore digne de l'estime de la France et de l'indulgence de son Roi.

M. Berryer donne ainsi ses conclusions imprimées.
Il plaira à la chambre des pairs;

Attendu qu'il n'existe contre M. le Maréchal Ney aucun arrêt de mise en accusation;

Que l'ordonnance du 11 novembre, présentée en même tems que la plainte et avant l'addition de plainte, ne peut avoir ce caractère ;

Que cette ordonnance d'ailleurs supposait valable et probante la procédure tenue devant le conseil de guerre, tandis que cette procédure, nulle comme faite par juges incompétents, était désormais réputée non avenue;

;

Que cela est si vrai, que l'ordonnance du 12, et l'Arrêt du 13 novembre, ont ordonné une nouvelle instruction Qu'il n'existe pas d'arrêt qui, depuis cette nouvelle instruction, ait prononcé la mise en accusation;

Que l'arrêt du 17 novembre ne contient qu'une simple ordonnance de prise de corps, qui suppose la mise en accusation, mais qui ne saurait la suppléer;

Qu'ainsi il y a irrégularité sous ce premier rapport; Attendu que l'acte d'accusation dressé le 10 novembre, et relaté dans l'arrêt du 17, est nul, en ce qu'il n'a été précédé d'aucune mise en accusation légalement prononcée;

Que d'ailleurs cet acte d'accusation aurait dû être notifié à l'accusé dans les trois jours, et que l'exploit de signification étant ensuite, ne porte aucune date ni du jour ni du mois; de sorte que cette signification, nulle par elle-même, n'a pu avoir l'effet, ni de remplir le but de l'article 242 du code d'instruction criminelle, ni de faire courir aucun délai contre l'accusé ;

Attendu d'ailleurs qu'il n'a pas été accordé de délai suffisant, soit pour la proposition des nullités, soit pour faire donner assignation aux témoins à décharge;

Et par tous autres motifs qui seront déduits à l'audience, ou qu'il plaira à la cour suppléer de droit et d'équité,

Déclarer la procédure tenue, à partir de l'arrêt du 13 novembre dernier, nulle et de nul effet; en conséquence

ordonner qu'elle sera recommencée en la forme voulue par

la loi.

Tous autres moyens

réservés.

Paris, ce 22 novembre 1815.

Le maréchal prince de la Moskowa, NET.

M. Bellart, procureur-général et commissaire du Roi, prend la parole.

Messieurs les pairs, dit-il, les commissaires du Roi ne peuvent s'empêcher de désirer que les paroles par lesquelles on vient de terminer la discussion des prétendus défauts de forine, pussent leur donner la confiance dont les défenseurs de M. le maréchal Ney paraissent pénétrés. Puissions-nous tous partager l'assurance qu'au moment où sa justification commencera sur le fond du procès, sa vertu sortira brillante de l'épreuve dont Vous serez les juges.

Nous serions tous soulages du poids d'une grande douleur. Ah! puissions-nous aussi effacer de notre mémoire le crime dont il est accusé, crime dont les suites ont été si funestes pour notre pays. En attendant, avec une incertitude que nous ne dissimulons pas, que cette promesse se réalise, nous allons vous exposer quelques considérations, en réponse aux inoyens qu'on a développés devant vous.

Peut-être quelques esprits sont-ils d'abord révoltés de cette guerre de clicanne, de postes, de positions, qui précède l'attaque sérieuse du corps de la question. Nous ne partageons pas ce sentiment. Toutes les nullités sont précieuses, toutes les formes sont sacrées, puisqu'elles sont conservatrices. Mais est-il vrai que les formes aient été violées envers cet illustre accusé ? est-il vrai qu'on l'ait privé des moyens de défense qui eussent protégé le plus obscur des prévenus.

J'espère vous prouver que loin qu'on ait omis aucune forme avec lui, on en a observé de nouvelles, d'importantes, qui ne sont pas communes au vulgaire des accusés.

M. le commissaire du Roi pose en principes que les ordonnances du Roi, acceptées par la chambre des pairs, ont définitivement tracé la marche de ce corps auguste. Il relève, en passant, une erreur commise par quelques jourmalistes dans le compte qu'ils ont rendu de la dernière

séance de la chambre. Il s'agit de l'importante question de savoir à qui appartient le droit de régler la manière de procéder de la chambre des pairs. D'après ce qu'ont imprimé plusieurs feuilles publiques, on pourrait croire que M. Bellart a éiais l'opinion que le droit réglementaire n'appartient qu'à la chambre. Il déclare qu'il a laissé dans l'état d'indécision où il l'avait envisagée, cette question que la conduite de la chainbre des pairs semble avoir résolue.

Pour réfuter les moyens que Me. Berryer a tirés des principes du droit commun, M. le commissaire du Roi établit qu'ils ne sont applicables à la procédure actuelle que quand ils s'accordent avec les ordonnances qui ont dû y faire quelques dérogations.

Le droit cominun contient des règles qui ne doivent jamais être violées, quel que soit le tribunal de l'accusé, parce qu'elles sont inhérentes aux sûretés des citoyens. Elles sont plus que législatives, elles sont constitutionnelles. Telles sont la liberté de la défense, la confrontation des témoins, la publicité des débats. Ces règles subsistent toujours; mais il en est d'autres qui disparaissent, et par la nécessité des choses, et par l'essence de la cour devant laquelle l'affaire est portée.

Par exemple, une instruction particulière, un mode de procéder, des formes appropriées distinguent chaque degré de juridiction criminelle. On ne saurait environner de trop de précautions salutaires un accusé dont le sort en définitif sera décidé par douze hommes qui ne donnent pas de leurs lumières une garantie assez puissante pour que la loi n'y ajoute pas toutes celles qui peuvent rassurer l'innocence et prévenir l'erreur.

M. Bellart examine et caractérise toutes les procédures admises en France, et tous les échelons de ces diverses procédures.

Il s'attache à établir entre elles les distinctions les plus claires et les plus précises pour empêcher, dit-il, la confusion d'idées qui a toujours régné dans la défense du maréchal Ney. Il prouve que chaque juridiction a ses formes inhérentes, son organisation essentielle; et arrivant à celle de la chambre des pairs, il définit sa manière de procéder. Elle est une, simple, analogue à celle des conseils de guerre; et cette comparaison, dit-il, n'a rien

d'injurieux ni d'alarmant, ni dans le fait, ni dans l'abs traction. Les tribunaux militaires sont comme tous les autres constitutionnels permanents, préexistants à toutes les causes qu'ils jugent. Les juges n'ont pas moins de religion, les accusés n'y sont pas entourés de moins de protection. Et cependant la marche simple de ces conseils leur prescrit un jugement unique. Ils n'ont point de ju gement préalable sur la mise en accusation.

L'orateur prouve que la chambre des pairs n'a pas pu, n'a pas dû procéder autrement qu'elle n'a fait. Fallait-il donc qu'elle se divisât en chambres d'instruction, d'accusation, et enfin, en chambre de jugement? On aurait privé l'accusé de son glus grand droit, celui d'être jugé par tous les pairs. Ceux qui auraient prononcé sur la prévention, sur l'accusation n'auraient pas pu statuer sur la justification définitive; et à l'instant où il aurait attendu un jugement solennel et sans appel, d'où dépendent sa vie et son honneur, il n'aurait plus trouvé qu'une fraction de pairs, et peut-être les plus disposés à admettre l'accusation.

Tout a été fait comme tout devait être fait : l'organisation de la chambre et l'intérêt de l'accusé réprouvaient toute autre marche.

M. Bellart s'occupe de l'examen successif des cinq nullités, et il prouve qu'aucune n'est admissible, et qu'on n'a pu leur donner une apparence spécieuse, qu'en faisant une interprétation et une application fausses de plusieurs articles du code.

Jamais un accusé n'a eu le droit de démentir la nullité d'une procédure écrite, puisqu'elle n'est pas faite pour lui, mais pour éclairer la conscience des juges de prévention et d'instrucion, et que la procédure orale est la seule qui détermine le jugement définitif. La signature de tous les juges n'est nécessaire qu'à un arrêt de mise en accusation, et la marche une et simple de la chambre des pairs n'admet pas de jugement préalable. On a omis sur une copie la date du jour et du mois; mais on représente sur l'original un reçu daté et signé de la main du maréchal; il prouve la signification et la remise qui lui ont été faites de plusieurs pièces dont l'acte non daté faisait partie.

faut qu'on ait bien spéculé sur notre ignorance, con

tinue l'orateur, pour se permettre de tels arguments. Il est sans exemple dans les annales judiciaires de voir un accusé s'arroger le droit d'examiner si la procédure dirigée contre lui a été faite régulièrement, et en demander une autre. Je défie les défenseurs du maréchal de citer rien de pareil, ni en jurisprudence, ni en législation.....

Il y a dans leur système confusion d'idées qui approche de l'absurdité.

Reste maintenant le reproche de l'espèce de précipitation qui a été mise dans l'instruction, au grave préjudice qui en est résulté pour l'accusé, disent ses défensenrs.

Il nous a semblé qu'ils entendaient établir sa défense sous deux rapports différents.

Ils prouveraient, ont-ils dit, que le maréchal Ney n'avait pas prémédité le crime funeste dont il s'est rendu coupable, et que mème ils espèrent de le faire excuser; mais que du moins ils attachent un prix extrême à ce que la franchise et la loyauté de son caractère soient procla

mées.

Ils ont besoin, ont-ils dit, d'un délai pour faire entendre les témoins qui doivent lever tous les doutes à cet égard.

Si les commissaires du Roi voulaient procéder avec une rigueur qui est loin d'être dans le coeur du monarque qui les a délégués, ils pourraient dire au maréchal Ney que c'est un subterfuge absolument imaginé pour éloigner le moment qu'il peut redouter.

Il a déjà vu le moment suprême; l'heure a sonné où sa justification devait être prète et présentée dans son ensemble complet. Il n'avait pas le secret de ses premiers juges, il ne savait pas si ses moyens d'incompétence seraient adinis; il n'avait pas dû négliger le soin de son honneur, et pendant trois semaines, ses défenseurs n'ont-ils pas eu le temps de réunir et d'apprêter tous ses moyens de défense. Il veut se justifier de l'odieuse accusation d'avoir prémédité dès long-temps la trahison. Eh bien, qu'il rende grâce au besoin que toute la société éprouve qu'il soit jugé.

Nous consentons nous-mêmes à aider sa justification; il serait trop douloureux pour l'honneur français d'acquérir la preuve qu'au moment où le maréchal Ney portait à sa

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