Page images
PDF
EPUB

bouche la main royale qui lui était présentée, il avait la perfidie dans le coeur; nous l'en justifions de ce forfait infame qui souillerait une vie qu'ont honorée tant de triomphes. Nous voulons croire qu'il n'a pas été traître avant le 14 mars. Il nous est doux de penser qu'il est parti avec des intentions pures; mais notre devoir est d'examiner, d'exposer dans tout son jour cette action, Jaquelle il donne le nom bien étrange d'erreur.

Il n'a donc plus besoin de délai. Je conclus, dit M. Bellart, en finissant, à ce qu'il soit passé outre les nullités proposées, et procédé aux débats.

Me. Dupin, dans un plaidoyer court et animé, reproduit une partie des moyens développés par Me. Berryer; il y ajoute quelques considérations nouvelles: il prétend que si l'on efface de la procédure, devant la chambre des pairs, la nécessité préalable d'un jugement de mise en accusation, la condition d'un pair sera pire que celle du dernier citoyen, puisqu'une fois accusé il n'aura plus l'espoir de prouver son innocence que dans les débats publics, et que rien ne pourra le dérober aux angoisses d'un jugement.

Me. Dupin repousse, au nom de son client, la concession que lui fait le commissaire du Roi, d'une partie de la justification du maréchal. Il ne suffit pas, dit-il, qu'elle soit accordée, il faut qu'elle soit solennellement établie; nous ne voulons pas la tenir de la libéralité de MM. les cominissaires du Roi. Vous nous transportez brusquement au 14 mars, nous voulons que l'on connaisse les événeinents qui ont précédé cette fatale époque vous placez notre tête sous la foudre, et nous, nous voulons expliquer cominent l'orage s'est formé.

M. Bellart réplique à Me. Dupin, et détruit ce que cet avocat a avancé sur la douloureuse position où se trouve un pair accusé, et qui ne peut espérer de faire reconnaitre son innocence avant le jugement définitif, s'il n'y a pas de jugement de mise en accusation. La chambre, en ne décernant pas l'arrêt de prise de corps, reconnaît l'innocence de l'accusé, et lui rend la plénitude de ses droits.

Après avoir entendu quelques nouvelles observations de M. Berryer, la chambre se retire pour délibérer.

Après un intervalle de deux heures, messieurs les pairs

[ocr errors]

rentrent en séance, et monseigneur le chancelier prononce l'arrêt suivant:

«La chambre des pairs, faisant droit aux conclusions de MM. les commissaires du Roi, sans avoir égard aux moyens de nullité qui ont été déclarés mal fondés, décidé qu'il serait passé outre, et procédé à l'audition des témoins et aux débats. »

a

Mgr. le chancelier fait ensuite à M. Berryer les questions suivantes :

D. Vos témoins sont-ils présents?

R. Ceux dont la liste a été signifiée lé 19 n'ont pu être assignés, et les citations n'ont pu parvenir à ceux qui habitent Dôle, Besançon, etc., etc.

D. Les dépositions des témoins ne sont-elles pas consignées en des interrogatoires écrits?

R. Nous attacherions beaucoup d'importance à ce qu'ils fussent entendus oralement la plupart donneraient des détails précieux sur la journée du 14 mars. Dans une déposition écrite, tous ces détails sont perdus.

M. Parringe de Préchamp, chef d'état-major de M. le maréchal Ney, était à Lons-le-Saulnier le 14 mars, et pourra donner des renseignements précieux sur cette journée.

2o. M. le marquis de Seran, aide-de-camp de S. A. R. MONSIEUR, est arrivé au quartier-général du maréchal Ney, le 12 mars, et M. le maréchal lui avait remis une note pour les mesures de défense: il serait très-important que cette note, déposée au ministère de la guerre, fût lue devant la cour des pairs.

30. M. de Saint-Amour, employé à l'état-major du ministère de la guerre, avait apporté au maréchal, dan's sa terre des Coudraux, l'ordre d'aller à Besançon ; il serait aussi très-essentiel qu'il fût entendu par la cour.

4o. M. de Montgelay, maréchal-de-camp d'artillerie à Besançon, peut attester que M. le maréchal n'a pas fait désarmer la citadelle de Besançon, comme on le lui a reproché.

5o. M. le comte Heudelet, lieutenant-général, avait avec M. le maréchal Ney une correspondance très-active, qui peut jeter un grand jour sur la fatale journée du 14 mars, et sur l'esprit qui régnait alors à Dijon parini les militaires, les négociants, les légistes, etc., etc.

Je demanderais donc que tous ces témoins fussent cités. Mgr. le chancelier: Quel délai desireriez-vous?

M. Berryer Je ne crois pas qu'il soit indiscret de demander huitaine, et pour qu'on fût plus sûr de l'exactitude des témoins, on pourrait faire les citations au nom du ministère public.

Mgr. le chancelier: La parole est à M. le commissaire du Roi.

M. Bellart a répliqué à-peu-près en ces termes : Je suis fâché d'entretenir la cour de tous les détails judiciaires; mais il faut toujours rappeler les principes. Quand un débat est indiqué, et sur-tout quand il est ouvert, il n'est plus possible de l'interrompre. Si donc je voulais me prévaloir de la rigueur des forines, je pourrais opposer ces principes aux défenseurs de l'accusé; mais j'ai une réponse plus péremptoire à leur adresser. Que demande-t-on pour M. le maréchal? un délai, ce qui est contre toutes les règles. D'ailleurs les témoins qui avaient l'intention de venir sont ici; les autres ne viendront pas.

Il est très vrai que les défenseurs proposent aux commissaires du Roi d'intervenir pour les assigner; ils interviendraient sans aucun doute, s'ils entrevoyaient dans cette mesure la moindre utilité pour la cour ou pour l'accusé; mais ils sont persuadés que tout retard est aussi nuisible, et d'après celà ils requièrent que le débat soit incontinent commencé, sauf à Mgr. le chancelier, président de la cour, à faire citer quand il le jugera les témoins dont l'audition lui paraîtra nécessaire.

M. Dupin. On nous oppose que les débats étant commencés, il faut les continuer; mais les débats ne sont pas ouverts, puisque le réquisitoire du procureur du Roi tend à ce qu'ils commencent incontinent. On nous oppose encore les réglements des cours d'assises; l'argumentation devient difficile; tantôt nous procédons comme des conseils de guerre, tantôt comine des cours d'assises; tantôt comme des cours spéciales; quel est en définitif celui de ces trois inodes que nous devons suivre ? J'accepte celui des cours d'assises, puisque c'est le dernier dont on a parlé. Eh bien! devant les cours d'assises, le jour de la comparution est fixé long-temps d'avance; ici les pièces ne nous ont été communiquées que le 18; c'est le 18 seulement que nous avons reçu l'acte d'accusation; pouvions-nous faire assi

gner des témoins avant de savoir si nous étions accusés de quoi nous étions accusés !

Je réduis la cause à ce point: A-t-il été possible en passant toutes les nuits, en consacrant notre existence toute entière à la cause du inaréchal, de nous préparer à le défendre aujourd'hui ? nous avons pu, avec la rapidité de l'éclair, envoyer nos citations aux témoins domiciliés sur tous les points du royaume? On pourra y suppléer, dit-on, avec l'instruction écrite. Eh quoi! tous les témoins à charge seront entendus verbalement; et nous n'aurons à leur opposer que de simples renseignements! C'est du choc des dépositions que naitra la lumière. Si nous n'avons qu'un papier nort à opposer à des discours animés, la partie n'est pas égale. Il ne suffit pas que le inaréchal soit déchargé des faits antérieurs au 14 mars; mais il faut encore que la chambre sache dans quelle situation d'esprit il se trouvait quand le fait qu'on lui reproche s'est passé.

En droit, il n'y a eu nul délai préfixé; en fait, nous ne somines légalement accusés que du 18. Il est évident qu'en quatre jours de temps nous n'avons pu assigner les témoins. Si nous demandons qu'ils soient cités à la requête du miistère public, c'est afin qu'il n'y ait pas de temps perdu. Nous ne demandons que le délai rigoureusement nécessaire, et nous nous en rapportons pleinement à votre justice.

M. Bellart. A entendre le maréchal, il semblerait qu'il n'est prévenu que depuis quaire jours de l'accusation dirigée contre lui. Mais n'a-t-il pas déja été traduit en juge

ent? Si le maréchal avait entendu, le 18, pour la première fois, parler des charges qui s'élèvent contre lui, il serait parfaitement fondé; mais après avoir essuyé une première instruction, cette prétention n'est pas soutenable. Les témoins sont inutiles à entendre; le ministère public ne peut interposer son autorité pour les faire comparaître. Je persiste dans ines conciusions.

M. Berryer. Je ne me permets qu'une remarque, c'est que devant les conseils de guerre il n'y a jamais d'acte d'accusation. L'attaque n'y est jamais connue. Nous ne pouvions donc pas être avertis des chefs multipliés qu'on nous impute, et auxquels se rattachent quinze textes du Code pénal au Code inilitaire. Le conseil de guerre, mal. gré son inflexible sévérité, a mis de niveau les moyens

attaque et les moyens de défense, la cour des pairs ne sera pas moins équitable.

La chambre se retire, pour délibérer, à cinq heures et demie; à six heures et demie, elle rentre en séance.

Mgr. le chancelier prononce, en présence de M. l. maréchal Ney, l'arrêt suivant :

<< La chambre des pairs, faisant droit à la demande de l'accusé pour obtenir un délai qui lui donne le temps de faire entendre les témoins dont il a signifié la liste au commissaire du Roi, par exploit du 19 de ce mois; après avoir entendu les conclusions du procureur du Roi, ajourne au 4 décembre prochain, dix heures du matin, pour tout délai, l'examen des pièces, l'ouverture des débats et le jugement, toute assignation donnée, tenant. ss

L'audience est fermée à six heures et demie.

La physionomie du maréchal Ney, jusqu'alors triste et soucieuse, a paru s'épanouir. Il a adressé à ses défenseurs un sourire de satisfaction et de reconnaissance.

Le 24, à six heures du matin, le maréchal Ney a été transféré à la Conciergerie, et réintégré dans cette prison.

FIN DU DEUXIÈME NUMÉRO.

« PreviousContinue »