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M. le comte de la Jennetière est entendu à son tour et dit : J'étais major en second au 64. régiment, et à la demi-solde, à Besançon, lorsque j'appris le débarquement de Buonaparte. J'offris mes services, M. de Bourmont les accepta. Tout devint inutile le 14 mars par la lecture de la proclamation. Dans le moment où l'on criait vive l'empereur! le maréchal Ney embrassa presque toutes les personnes qui se trouvaient auprès de lui. Dans mon désespoir, j'écrivis au marechal Ney la lettre qui est au procès, et je me rendis à Besançon. Le 20 où le 21, une rumeur effrayante éclata dans la ville. Trente ou quarante officiers à la demi-solde et des femmes de la plus basse extraction criaient vive l'empereur ! et promenaient des drapeaux tricolores. Je m'élançai imprudemment dans la rue, et je dis à ces gens égarés : Ce n'est pas vive l'empereur! qu'il faut crier, c'est vive le Roi! Je m'opposai à ce qu'on arborât le drapeau tricolore sur la place, mais je fus repoussé par cette populace.

Le maréchal : La lettre dont parle M. de la Jennetière ne m'a jamais été envoyée. Cette lettre a l'air de justifier M. de Bourmont; je n'y conçois rien.

Le témoin, interpellé sur l'esprit de la Franche-Comté, dit que, dans cette province, il n'y avait que quatre villes dont les dispositions ne fussent pas rassurantes; à Besançon, l'esprit public était excellent.

M. Clouet, colonel, qui a été premier aide-de-camp du maréchal Ney, a paru fort ému en faisant sa déposition. Il se trouvait à Tours, au sein de sa famille, dans les premiers jours de mars; il en partit le 10, lorsqu'il eut appris l'évasion de Buonaparte. 11 trouva à Paris une lettre du secrétaire du maréchal, qui lui recommandait de se rendre à Besançon. Il apprit à une lieue de Dijon que la division du maréchal avait arboré la cocarde tricolore. Arrivé auprès du maréchal, il demanda la permission de retourner dans ses foyers. Voyant M. de Bourmont dans la même disposition que moi, ajoute M. Clouet, je retournai de suite à Paris, au moyen d'un passe-port que j'avais fait moi-même en y mettant le cachet du maréchal. On nous laissa partir, M. de Bourmont et moi: nous fûmes long-temps en route; la voiture de M. de Bourmont était en mauvais état, et nous versâmes plusieurs fois : nous arrivâmes fort tard à Paris, le 18.

M. le président: Vous avez dit dans votre déposition écrite que le maréchal Ney avait tenu des propos relativement à la famille royale.

M. Clouet : J'ai fait, l'automne précédent, un voyage avec le maréchal à Besançon il me montra des sentiments d'atta

chement pour la famille royale. Il y a sept ou huit ans que j'ai l'honneur de connaître le maréchal; je le connais susceptible de prendre des impressions subites; je pense que c'est le seul moyen d'expliquer son action.

Le dernier témoin entendu dans cette séance, a été M. le maréchal Oudinot, duc de Reggio. J'ai reçu, dit le temoin deux lettres de l'accusé, qui sont au procès, je n'ai rien à y ajouter.

Ón donne lecture de ces lettres en date, des 12 et 13 Mars; elles sont antérieures à la défection du maréchal, et dans le sens du service du Roi.

On représente au maréchal trois passe-ports qu'il reconnaît. Les deux premiers lui ont été délivrés par le ministre Fouché et le troisième au nom de Fanise, hussard attaché à M. le maréchal, qui lui a été envoyé par son épouse à Aurillac.

La séance est levée à cinq heures et demie, et ajournée au lendemain dix heures du matin.

SUITE

Du Texte des Dépositions et Déclarations.

No. Ier.-Déposition de M. Louis-Auguste-Victor comte DE GAISNE DE BOURMONT, lieutenant-général des armées du Roi, gouverneur de la 16. division militaire, commandant de la Légiond'honneur, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, chevalier de l'ordre de Saint-Joseph, âgé de quarante-deux ans, reçue par M. Etienne-Philippe-Marie Lejosne, juge d'instruction de l'arrondissement de Lille, département du nord, le 14 octobre 1815.

Demande. Où et à quelle époque avez-vous cu connaissance du débarquement de Napoléon Buonaparte dans le département du Var?

Réponse. Le 5 mars, après-midi, par une dépêche du lieute nant-général Mermet, commandant la 2o. subdivision à Lons-leSaulnier cette nouvelle venait de Lyon par estafette.

D. Quels ordres avez-vous reçus des ministres du Roi pour Vous opposer aux progrès de son invasion en France?

R. J'ai reçu, le 8, un ordre du ministre de la guerre de faire partir les deux preiniers bataillons des régiments et trois escadrons de chaque régiment de cavalerie, et de les diriger sur Lyon. Le lendemain, 9, un ordre du ministre m'enjoignit de faire suivre à ces troupes l'itinéraire envoyé aux différents corps par S. Exc. Je fus en même temps prévenu le 8, que je recevrais des ordres de S. A. R. MONSIEUR, qui se rendait à Lyon, et que je prendrais ceux de Mgr. le duc de Berry, qui prendrait le commandement de toutes les troupes qui se trouveraient dans la 6o. division mi

litaire.

D. Quelles dispositions avez-vous faites pour l'exécution de ces ordres ?

R. J'ai mis les troupes en marche, conformément aux ordres du ministre; et, sur l'ordre de S. A. R. MONSIEUR, je fis partir en poste, de Besançon pour Lyon, des munitions de guerre et des pièces d'artillerie de campagne. J'écrivis à Auxoune et au lieutenant-général commandant la 18. divis ion militaire, pour qu'ou fit partir d'Auxonne ce qui était demandé par MONSIEUR, et qui ne se trouvait pas à Besançon.

D. Où étiez-vous du 12 au 14 mars dernier, et en quelle qualité étiez-vous alors employé ?

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R. A Lons-le-Saulnier, commandant la 2e, division des troupes dont le maréchal avait pris le commandement.

D. Etiez-vous en relation avec S. Exc. M. le maréchal Ney?
R. Oui.

D. A quelle époque l'avez-vous vu dans la 6°. division militaire après le débarquement de Buonaparte?

R. Il est, je crois, arrivé le 9 mars à Besançon, dans l'aprèsmidi.

D. Que vous dit-il dans votre première entrevue?

R. Que Mgr. le duc de Berry ne viendrait pas prendre le commandement des troupes; qu'il demeurerait près du Ro:; que le retour de Buonaparte était fâcheux, mais que c'était son cinquième et dernier acte qu'il venait jouer; qu'il fallait marcher à lui, le battre vite, n'importe comment; que, l'essentiel était de tirer des coups de fusil. Je lui fis lire l'ordre du jour que j'avais donné; il l'approuva, et me fit ensuite des questions sur l'esprit des troupes, que je lui assurai être généralement bon.

D. Quels ordres donna-t-il pour suivre l'exécution des dispositions prescrites par S. Exc. le ministre de la guerre, que vous aviez déjà commencé à exécuter?

R. J'observai au maréchal Ney que Buonaparte devait marcher tres vite; qu'il pourrait être le 8 ou le 9 à Grenoble ; et que cette façon de disposer les troupes par deux bataillons et trois escadrons me paraissait dangereuse: il en convint, et approuva que le 15. régiment d'infanterie légère fût arrêté à Saint-Amour; et qu'on réunît à Lons-le-Saulnier et environs toutes les troupes, sauf le 76. régiment qui, étant à Bourg, devait former notre premier échelon sur Lyon et Grenoble

D. Le maréchal Ney approuva-t-il vos dispositions, ou y changea-t-il quelque chose?

R. Le maréchal Ney approuva toutes mes dispositions; il n'y fit de changement que pour les 8. de chasseurs et 6. de hussards, en envoyant les hussards à Auxonne et les chasseurs à Lons-le-Saulnier.

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D. Quelle était la force des troupes mises en mouvement par vous avant l'arrivée de M. le maréchal, tant infanterie que cavalerie et artillerie?

R. Onze bataillons, douze escadrons, et dix bouches à feu dont les attelages n'étaient pas encore complets, parce qu'il n'y avait point de train d'artillerie à Besançon, et qu'il fallait faire chez les cultivateurs la recherche des chevaux du train qu'on leur avait remis en dépôt ?

D. Quel était l'esprit des troupes, et qu'en espérait-on pour le service du Roi ?

R. L'esprit des chefs de corps et officiers supérieurs ne m'a point paru douteux; presque tous voulaient franchement servir le Roi: la plupart des autres officiers montraient les mêmes sentiments; quelques soldats tenaient de mauvais propos, particulièrement dans les troupes à cheval. On espérait qu'en faisant un choix d'hommes pour l'avant-garde, et commençant avec eux le combat, presque tous les autres feraient leur devoir.

D. A quelle époque les premiers agents de Buonaparte arrivèrent-ils dans les cantonnements occupés par les troupes?

R. Je n'ai pas su qu'il fût arrivé des agents de Buonaparte à Lons-le-Saulnier; j'appris le 14 mars, à trois heures du matin par M. le baron Capelle, préfet de l'Ain, que des émissaires étaient venus de Lyon à Bourg, avaient insurgé la ville et le 76. régiment, malgré le général Gauthier commandant le département, le colonel et les officiers de ce corps, et qu'il y avait, depuis Lyon jusqu'à la limite du Jura, une fureur révolutionnaire fort dangereuse.

D. Quel effet leur arrivée produisit-elle sur l'esprit des troupes? B. Je n'ai pu juger l'effet de l'arrivée des agents de Buonaparte sur l'esprit des troupes à Lons-le-Saulnier, puisque j'ignorais qu'il en fût arrivé. A Bourg, ces agents entraînèrent la révolte des troupes.

D. Quelles mesures furent prises par M. le Maréchal Ney et par tous les chefs militaires pour faire arrêter les agents de Buonaparte, détruire leur influence, et contenir les troupes dans la fidélité qu'elles devaient au Roi?

R. Avant l'arrivée du maréchal Ney, et dès le 5 mars au soir je me concertai avec les préfets, et je donuai des ordres à la gendarinerie pour faire arrêter tous les voyageurs qui n'auraient pas de passe-ports en règle, et surveiller dans chaque ville les hommes soupçonnés de conserver de l'attachement pour Buonaparte, on de l'aversion pour le gouvernement royal.

Ces mesures ont été approuvées par le maréchal, et n'ont point été changées depuis; et elles s'exécutaient encore, le 14 et le 15, dans les départements du Doubs, du Jura et de la HauteSaône.

D. Quels étaient les avis reçus le 13 mars sur les progrès dé Buonaparte en France, l'esprit des départements par où il avait passé, et le nombre de troupes qui s'étaient réunies à lui?

R. Nous apprîmes le 13 mars que Châlons était soulevé; que

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