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les troupes de Buonaparte avaient dà arriver à Mâcon; que l'esprit du département de l'Ain devenait de plus en plus mauvais ; et que le 76. régiment, qui venait de rentrer à Bourg, manifestait l'intention de se réunir à Buonaparte; que les officiers de ce corps avaient beaucoup de peine à contenir leurs troupes dans le devoir : nous supposions que Buonaparte était entré à Lyon avec trois mille neuf cents hommes, et qu'il pouvait en partir avec sept mille hommes.

D. Avez-vous connaissance qu'une proclamation, signée le maréchal d'empire prince de la Moskova, et dont est ci-joint la copie, eût été apportée par les agents de Buonaparte à M. le maréchal Ney à Lons-le-Saulnier?

R. Je n'ai point eu connaissance qu'une proclamation, signée le maréchal d'empire prince de la Moskova, ait été apportée par les agents de Buonaparte, à Lons-le-Saulnier, au maréchal Ney.

D. Est-il vrai que le 14 mars, au matin, M. le maréchal Ney vous communiqua cette proclamation, et qu'après avoir déclare qu'il allait en faire lecture aux troupes qui se trouvaient à Lons le-Saulnier, il vous somma, au nom de l'honneur, de lui déclarer ce que vous pensiez ?

R. Le 14 mars, le maréchal Ney, chez lequel j'étais avec le général Lecourbe, avait ordonné de faire prendre les armes aux troupes; et, après nous avoir parlé de l'impossibilité qu'il trouvait à ce que le Roi continuât de régner, il nous déclara que tout était fini; que le roi devait avoir quitté Paris; que tout était arrangé, et qu'il allait lire aux troupes cette proclamation, qui était sur la table, écrite à la main. M. le maréchal ne me demanda point mon avis sur cette proclamation mais je lui observai que rien ne pouvait autoriser à marcher contre le Roi; que s'il avait lieu de croire que le gouvernement ne pût se soutenir, il ne fallait pas donner à la France un enragé qui la perdrait, et qui le ferait tuer lui-même peut-être le premier; et je dis enfin tout ce qui ne vint à l'esprit pour le détourner du dessein qu'il manifestait.

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Le général Lecourbe fut de mon avis, et déclara comme moi qu'il ne le suivrait point dans le parti de Buonaparte ; que le Roi ne lui avait fait que du bien, et que d'ailleurs il avait de l'hon

neur.

D. Que répondites-vous à cette interpellation?

R. Le maréchal Ney ne me fit point d'interpellation: mais il me dit que les troupes, voulaient l'empereur; que je devais en être convaincu si je remarquais la facilité avec laquelle elles s'étaient

jointes à lui à Grenoble, à Lyon, et d'après ce que nous venions d'apprendre de Bourg.

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D. Qui était présent chez M. le maréchal Ney avec vous, an moment où il vous fit lecture de cette proclamation?

R. Le lieutenant-général Lecourbe.

D. Quelle fut l'opinion des personnes qui étaient avec vous sur le contenu de la proclamation et le projet manifesté par M. le maréchal Ney de la lire aux troupes ?

R. Le général Lecourbe fut comme moi d'opinion qu'il fallait demeurer fidèles au Roi, et ne point lire la proclamation. Nous dîmes notre sentiment au maréchal Ney; mais il ne nous consulta pas.

D. Accompagnâtes-vous M. le maréchal Ney, lorsqu'il fut lire aux troupes la proclamation dont nous avons parlé plus haut?

R. Nous nous rendîmes, le général Lecourbe et moi, sur le terrain où les troupes étaient assemblées, et où M. le maréchal fit lecture de sa proclamation.

D. Quelles étaient encore les personnes qui étaient avec vous ? R. Toutes les troupes, l'état-major.

D. Est-il vrai que vous avez rapporté au maréchal Ney que les soldats avaient menacé de le tuer, s'il voulait les empêcher de rejoindre Napoléon Buonaparte?

R. Non.

D. Quel effet produisit la lecture de la proclamation faite par le maréchal Ney sur l'esprit des troupes ?

R. Elle fit crier vive l'empereur! aux trois quarts de l'infanterie et aux sous-officiers de cavalerie qui avaient mis pied å

terre.

D. Pensez-vous que les troupes fussent restées fidèles au Roi, si le maréchal ne leur eût point lu cette proclamation?

D. J'étais malade depuis le 3 mars : le mauvais temps et l'état de souffrance dans lequel j'étais m'empêchèrent de voir les soldats autant que je l'aurais voulu; mais les chefs de corps m'assuraient chaque jour que je pouvais compter sur eux et même sur leurs troupes. Je pense qu'elles seraient restées fidèles si on les avait menées au combat, en prenant, pour l'engager, les précautions que j'avais proposées, et que le maréchal avait annoncé vouloir prendre, comme de marcher les premiers à l'ennemi, de tirer les premiers coups de fusil, et de mêler des volontaires aux hommes choisis dans chaque bataillon pour l'avant-garde.

D. Avez-vous connaissance que l'exemple de M. le maréchal

Ney ait entraîné quelques corps de troupes à abandonner la cause du Roi?

R. L'exemple du maréchal Ney, l'assurance qu'il donnait que tout était fini, qu'il n'y avait pas un coup de fusil à tirer, et que le Roi devait avoir quitté Paris pour retourner en Angleterre, entraîna tous les corps de troupes qui étaient dans la 6. division et le plus grand nombre des officiers dans l'abandon de la cause du Roi, qu'ils crurent abandonnée du Roi lui-même, et les jeta tous dans l'incertitude sur ce qui se passait dans le reste du royaume.

D. Croyez-vous que M. le maréchal Ney était en mesure, avec les forces qu'il avait à sa disposition, de s'opposer efficacement aux projets de l'invasion de Napoléon Buonaparte en France? R. Je crois que M. le maréchal Ney était en état de combattre, et que le succès aurait dépendu de la manière dont l'affaire eût été engagée.

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D. Au moment où M. le maréchal Ney eût fait connaître qu'il était décidé à se réunir à Napoléon Buonaparte, quelques officiers ou corps de troupes manifestèrent-ils l'intention de l'arrêter pour le mettre dans l'impossibilité d'exécuter son projet ?

R. Aussitôt que M. le maréchal Ney cut fait connaître qu'il se réunissait a Napoléon Buonaparte, presque tous les officiers généraux et supérieurs furent consternés, et n'imaginèrent aucun moyen de ramener les troupes dans le devoir; ils furent d'autant plus surpris, qu'ils avaient plus de confiance dans les intentions manifestées par M. le maréchal, et qu'ils n'avaient pas eu l'idée qu'une chose semblable pût avoir lieu. Les soldats reçurent du vin, se répandirent en désordre dans les rues, s'unirent à la populace de Lons-le-Saulnier pour piller le café Bourbon, insulter quelques officiers, et aucun officier n'aurait pu agir avec eux contre M. le maréchal.q

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D. Les troupes approuvèrent-elles unanimement la proposition que leur fit le maréchal Ney de se réunir à Napoléon Buonaparte 2

R. Les sous-officiers et soldats approuvèrent presqu'unanimement le dessein de M. le maréchal Ney de les mener à Napoléon Buonaparte : le plus grand nombre des officiers et surtout des officiers supérieurs montra des sentiments contraires.

D. Quelles furent les opposants, et quelle conduite tinrent ils dans cette circonstance?

R. Les opposants furent presque tous les officiers généraux, et particulièrement le général Lecourbe, qui partit avec moi pour

Paris, afin de rendre compte au Roi de ce qui venait de se pas ser, et de prendre ses ordres, si S. M. était encore à Paris. le lieutenant-général Delort, qui s'en retourna chez lui, à Arbois; le général Jarry, qui refusa d'aller prendre le commandement de Besançon pour y faire arborer la cocarde tricolore; le colonel Dubalen, commandant le 60. régiment, qui donna sa démission; le colonel Marchal, commandant le 77., qui suivit son régiment, en déclarant à M. le maréchal qu'il ne se battrait pas contre le Roi, et qu'il espérait que son régiment ne se battrait pas non plus; le major de la Gennetière, qui faisait les fonctions de chef de l'état-major, et qui écrivit, le 15, à M. le maréchal, qué l'honneur ne lui permettait plus de le suivre; qu'il imitait mon exem, ple, et que, dût-il lui en coûter la vie, il demeurerait fidèle au Roi; le colonel Léopold, et les chefs d'escadron de gendarmerie Ledoux et Beauregard, qui vinrent me témoigner la douleur que cet événement leur causait; plusieurs autres officiers dont je ne me rappelle pas les noms en ce moment, quittèrent l'état-major ou leur régiment, et vinrent me témoigner l'intention qu'ils avaient de combattre pour le Roi, s'il arrivait qu'on se battît quelque part.

Sur l'interpellation particulière énoncée en la commission rogatoire, si effectivement M. le maréchal Ney, ou lui témoin, en sa qualité de commandant de la 6. division militaire, ont donne l'ordre, dans les premiers jours du mois de mars dernier, de désarmer la ville de Besançon, quoiqu'on eút déjà connaissance du débarquement de Buonaparte, M. le comte de Bourmont a fait la déclaration suivante :

« Aucun ordre de désarmement n'a été donné à Besançon du » 1er.au 15 mars; mais au contraire, dès le 5, des mesures de » surveillance avaient été ordonnées; et elles s'exécutèrent avec beaucoup de soin jusqu'au moment où l'état-major de lá place » fut changé, le 22 ou 23 mars.

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No. II. Déposition de M. Claude-Jacques, comte LECOURBE, âgé de cinquante-six ans, lieutenant-général, demeurant à Ruffey (Jura), employé à Béfort, reçue par M. Jean-Baptiste Klie, juge d'instruction, près le tribunal de première instance de l'arrondissement de Béfort ( Haut-Rhin), le 15 novembre 1815.

« Au mois de mars, j'étais inspecteur-général d'armes dans la 6. division militaire dont le maréchal Ney était gouverneur, par conséquent je n'ai eu aucun ordre à donner dans cette division après que j'ai eu terminé l'organisation des troupes d'infanterie,

puisque le lieutenant-général de Bourmont commandait aussi cette division; j'étais à Ruffey, datis més terres, lorsque le 6 mars, au matin, j'appris le débarquement de Buonaparte; cette nouvelle me causa autant de surprise que d'étonnement, ét, ainsi que je viens de le dire, n'ayant aucun pouvoir; j'attendis si le ministre de la guerre me donnerait des ordres; au lieu de cela, je crois le 8 ou le g au matin, je reçus une lettre du maréchal Ney, datée dè Besançon. Cette lettre me fut apportée par un chef d'escadron de gendarmerie; elle contenait l'invitation de me rendre à Besançon pour en prendre le commandement supérieur; mais, par un postscriptum, le maréchal m'annonçant sou arrivée dans la matinée à Lons-le-Saulnier; m'invitait à m'y rendre pour conférer avec lui; je m'y rendis donc et trouvai le maréchal avec M. le général Bourmont; dans l'entrevue que j'ens avec le maréchal, il me prévint que Buonaparte devait déjà être à Lyon, et que MONSIEUR avalt donné des ordres à toutes les troupes de se porter sur Moulins; il nous fit sentir qu'il eût mieux valu opérer par Lons-le-Saulnier, Bourg et Lyon sur ses derrières, qu'à cet effet, il s'était fait suivre de toutes les troupes qui venaient du Haut-Rhin et de la 6o. division militaire; en effet, cette maneuvre paraissait militaire; je ne peux pas assurer si le maréchal Ney avec ses troupes eût pu arrêter le torrent; je crois qu'il n'était plus temps; fignore aussi si les régiments ont reçu des émissaires de Buonaparte, le maréchal Ney ne nous a jamais dit à Bourmont ni à moi ce qu'il faisait au dehors. Demande. Ou et à quelle époque avez vous eu connaissance đu débarquement de Buonaparte dans le département du Var?

Réponse. Le 5 mars, au matin, étant à Ruffey sur mes terres, et c'est par erreur que j'ai indiqué ci-devant le 6.

D. Où étiez-vous du 12 au 14 mars dernier, et en quelle qualité étiez-vous employé alors?

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R. J'étais à Lons-le-Saulnier ces trois jours-là, et j'étais iúspetteur-général d'armes.

D. Etiez-vous en relation avec S. Ex. le maréchal Ney?

R. Je n'ai eu de correspondance avec le maréchal Ney que lorsqu'il est arrivé pour prendre le gouvernement de la 6o. division militaire.

D. A quelle époque l'avez-vous vu dans la 6. division militaire, après le débarquénient de Buonaparte?

R. Je l'ai vu ainsi que je l'ai déjà dit à Lons-le-Saulnier, où je me suis rendu le you le 10 sur son invitation.

D. Que vous dit-il dans votre première entrevue?

R. Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai déjà déclaré.

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