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Extrait de la journée du maréchal Ney, le 14 mars 1815, Lons-le-Saulnier; sa conduite envers le général Jarry, commandant le département du Jura.

(Pièce jointe à la déposition de M. le maréchal-de-camp Durand.)

Le maréchal Ney, en présence de la troupe qu'il avait réunie à Lous-le-Saulnier le 14 mars, pour, disait-il, faire un trac, et courir disait-il à la bête, en parlant de Buonaparte, a déclaré la cause des Bourbons à jamais perdue, et proclamé Napoléon, Empereur des Français.

Le maréchal, rentré chez lui, fait chercher le général Jarry, lui donne ordre de partir de suite pour Besançon, d'en prendre le commandement supérieur, de faire fermer les portes de la ville, de faire arrêter et conduire à la citadelle le comte de Scey, préfet du Doubs, le général Durand, commandant d'armes, ainsi que ceux qui s'opposeraient à l'exécution de ses ordres; de réunir la garnison en présence des autorités civiles, de leur faire proclamer Buonaparte empereur, et faire arborer les drapeaux et cocardes tricolores, par des publications dans la ville; de rendre compte au duc d'Albufera, à Strasbourg, de ce qu'il avait fait, lui maréchal Ney, à Lons-le-Saulnier, du plein,. succès qu'il avait eu, et de celui que le général Jarry obtiendrait infailliblement à Besançon. Le maréchal Ney s'engageait à faire avoir le grade de lieutenant-général au général Jarry, l'assurant sur sa parole d'honneur que la rentrée de Buonaparte était concertée avec les empereurs d'Autriche et de Russie, tous les maréchaux de France et le ministre de la guerre. Le général Jarry, après avoir témoigné au maréchal Ney l'horreur et l'indignation que lui inspirait une telle mission, le refuse, se retire et s'empresse de faire prévenir le préfet du Doubs et le commandant de Besançon pour leur gouverne. Le maréchal Ney, le même soir du 14, avait réuni chez lui les généraux Lecourbe, Mermet, Delort, le général Jarry et plusieurs colonels, encore tout stupéfaits de la scène du matin; il donne ses ordres de mouvement pour le lendemain, le général Jarry refuse de marcher, deux colonels, un major, l'aide de-camp même du maréchal donnent leur démission; le maréchal les congédie très grossièrement. Le maréchal Ney, outré de l'obstination du général Jarry, et de quelques fortes objections que celui-ci lui avait faites, lui envoie ordre, àdix heures du soir, de quitter sur-le-champ Lons-le-Saulnier et de se rendre à Besançon, où il recevrait une nouvelle destination. Le surlendemain, ordre du maréchal Ney au général Bessières, commandant le département du Doubs, d'enjoindre au général Jarry de sortir de suite de Besançon, et de n'y rentrer qu'après la rentrée de l'empereur à Paris, époque de la réconciliation générale de tous les Français, Enfin le 19 mars, ordre du maréchal Ney, d'après ceux de Buonaparte, datés de Sens, imprimé, affiché sur les murs de cette ville, dans toute la Bourgogne et la Franche-Comté, aux autorités civiles et militaires, à la gendarmerie, d'arrêter et emprisonner le général Jarry.

Le maréchal Ney avait laissé ou envoyé à Besançon un changement de direction sur Dijon, à toutes les troupes qui devaient y passer, pour marcher au prétendu trac sur Lyon le colonel du 6e. léger ne voulut point reconnaître cet ordre, passa outre et arriva, le 22 mars, à Lons-le-Saulnier avec la cocarde blanche, et dans un très bon espris, avec son régiment, qui, à son entrée, fut harangué par le général Jarry sur sa réputation de bonne discipline, bonne conduite, surtout sur sa fidélité à ses drapeaux et au Roi. Ce discours fit grande sensa tion le 22 mars, en raison de ce qu'il contrastait absolument avec celui du maréchal Ney, du 14, où celui-ci, par son infâme trahison, révolta les gens de toutes classes et de tous états et opinions.

Ces faits, la disparition du drapeau tricolore à la commune, la réimpression et l'affiche de l'extrait de la délibération du congrès de Vienne, le refus du général Jarry de faire et laisser afficher les proclamations de Buonaparte depuis son débarquement, les proclamations énergiques du général Jarry, affichées dans toutes les communes du Jura, tendantes à empêcher ou au moins à paralyser l'exécution du décret sur l'organisation des corps-francs, ont été, aux yeux des perturbateurs, des crimes qu'ils se sont empressés de dénoncer au ministre de la police. générale, le duc d'Otrante, et à celui de la guerre, le prince d'Ekmulh, qui, ne voyant pas dans le géréral Jarry un homme dévoué à Buonaparte, l'a disgracié, en lui retirant le commandement que lui avait confié le Roi; ce général a été rappelé à Paris, où il a refusé tout service, s'en tenant au commandement du Jura, d'où il ne croyait pas avoir été légalement déplacé par Buonaparte, et où il croit sa présence utile au bien du service de S. M.

Pour copie conforme :

Le Lieutenant de Roi, signé le Chevalier DURAND.

No. XIII. Déposition de M. Etienne, comte HEUDELET DE BIERRE, âgé de 44 ans, lieutenant - général commandant la 4°. division militaire à Nancy, reçue par M Joseph Eléonore-Monique Henri, juge d'instruction à Nancy, le 14 octobre 1815.

Demande. Dites-nous dans le plus grand détail, quels ordres vous avez reçus de M. le maréchal Ney avant le 14 mars dernier pour le service du Roi, ce que vous avez fait pour les exécuter, ou ce qui en a pu empêcher l'exécution, et si vous avez connaissancé que sa proclamation ou son exemple aient entraîné quelques officiers isolés, ou quelques corps de troupes à se réunir à Napoléon Buonaparte?

Réponse. Je regrette de ne pouvoir douner avec exactitude, les détails qu'on me demande; il faudrait que j'eusse sous lés yeux rues papiers et ma correspondance du mois de mars dernier. Ils sont au château de Bierre, mon domicile, où je les ai cachés au mois de juin, pour les mettre à l'abri des événements de la guerre; e ne pourrais me les procurer qu'en m'y rendant. Menacé comme

royaliste par les habitants des villages voisins et craignant d'être forcé de m'éloigner précipitamment, mes papiers ont été rassemblés en désordre et cachés à la hâte. Il est facile de sentir que sans ce secours, il me serait difficile de répondre avec aplomb. Je ne peux pas me rappeler parfaitement toute ma correspondance, rapprocher les événements et les dates, citer les expressions ni les textes des ordres que j'ai reçus ou donnés, etc. Ceux qui me connaissent savent que je fais moi-même tout mon travail, et dans de telles circonstances, il était immense et m'occupait jour et nuit. Cependant ma correspondance avec M le maréchal Ney, n'a pas été très étendue, depuis à peu près le 10 mars jusqu'au 14, elle se borna, je crois, à trois ou quatre lettres de sa part et autant de la mienne.

Je n'étais point sous ses ordres, je commandais une division qui n'était pas comprise dans son gouvernement, je ne crois pas avoir été prévenu ministériellement que je devais lui obéir, mais comme je l'avais été que M. le maréchal Ney se rendait dans son gouvernement, pour rassembler un corps d'armée, je n'étais háté de me mettre en correspondance avec lui. J'ai lu dans l'exposé justificatif par M. Berryer, une lettre que m'a écrite M. le maréchal. Elle m'a paru rapportée avec exactitude, elle est du 13, je l'ai reque le 14, au moment où je me disposais à quitter Dijon, parce que l'insurrection y était complète, qu'il n'y avait aucun moyen de répression, qu'un de mes maréchaux-de-camp, sur lequel je comptais, venait de se déclarer pour Buonaparte, et que j'étais à chaque instant menacé d'être arrêté. Dans ce moment, les recommandations du maréchal contenues dans cette lettre étaient inéxécutables, elles étaient très en arrière de tous les événements: en effet, M. le maréchal voulait que je réunisse mes troupes à Châlons-sur-Saône, je n'en avais plus. Elles avaient marché sur Lyon, par ordre du ministre, que j'éclairasse la Saône jusqu'à Villefranche, et le 14 les troupes de Buonaparte avaient dépassé Châlons; que j'écrivisse à M. le comte Germain, de le tenir informé, etc., et ce fonctionnaire mis en fuite par l'insurrection de Saône-et-Loire, était réfugié à Dijon. Il fallait que M. le maréchal fût bien mal instruit pour me donner de tels ordres le 13. Quant à ce qui, dans cette lettre, est relatif à Auxonne, j'y avais pourvu autant que circonstances me le permettaient. Ce n'est qu'à Châtillon où je m'é tais retiré avec M. le préfet de la Côte-d'Or, en quittant Dijon, que j'ai eu connaissance de la proclamation du maréchal Ney, et de son arrivée à Dijon. L'exemple d'un officier aussi élevé et aussi distingué pouvait, je pense, être d'une grande influence sur les mili

les

taires qui auraient vacille dans leurs opinions, mais je n'ai pas connaissance que cet exemple ait pour lors déterminé personne dans mon commandement. Déjà ceux de mes subordonnés qui avaient voulu suivre Buonaparte s'étaient prononcés, et ceux qui restaient fidèles au Roi étaient avec moi.

D. Quelle était la situation politique des pays du gouvernement de M. le maréchal, et celle de celui où vous commandiez vous même ?

peu

R. Je ne peux rendre un compte probant de la situatiou politique des pays du gouvernement de M. le maréchal Ney, puisque je n'y avais pas de commandement, et que conséquemment je ne recevais de ces pays aucun rapport officiel, mais l'opinion et les dires des voyageurs, s'accordaient à les peindre comme étant à près dans les mêmes dispositions que ceux de mon commandement: la situation politique de ceux-ci, n'était rien moins que rassurante, les royalistes y étaient en extrême minorité, la masse du peuple était prononcée pour Buonaparte, elle comprimait les scrviteurs du Roi, elle les menaçait déjà hautement et les campagnes manifestaient généralement l'intention de grossir l'armée rebelle. Je me suis empressé dans le temps d'en rendre compte au ministre de la guerre, je crois bien en avoir aussi prévenu MM. les maréchaux Ney, de Reggio, de Bellune, avec lesquels je me suis mis correspondance à la même époque.

en

D. Pensez-vous que M. le maréchal Ney était en mesure avec les troupes sous ses ordres de s'opposer efficacement aux progrès de l'invasion de Napoléon Buonaparte en France?

R. Je ne sais pas quelles étaient les forces de M. le maréchal Ney, mais si elles n'étaient que de quatre régiments au 11 mars, comme le porte l'exposé signé Berryer, je ne crois pas qu'alors il eût pu s'opposer efficacement aux progrès de Buonaparte, et à plus forte raison, si, comme j'en suis persuadé, il ne pouvait pas compter sur la fidélité de ses troupes,

J'ai employé plusieurs fois dans mes réponses des expressions qui ne sont pas positivement affirmatives, comme, je crois, à peu près, cela tient à ce que j'ai dit plus haut sur la privation que j'éprouve de mes papiers.

No. XIV. Déposition de M. Bernard CHAMPNEUF, âgé de cinquante-cinq ans, chef de bataillon, commandant d'armes de la ville d'Auxonne, demeurant à Saumur, le 20 octobre 1815.

Demande. Qu'est-il parvenu à votre connaissance des mesures

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prises par M. le maréchal Ney, du 19 au 14 mars dernier, pour maintenir les troupes dans la fidélité qu'elles devaient au Roi?

Réponse. A l'époque du 12 au 14 mars dernier, j'étais commandant d'armes de la place d'Auxonne, et alors M. le maréchal Ney était à Lons-le-Saulnier, département du Jurà, et correspondait avec M. le maréchal-de-camp Pellegrin, commandant l'école d'artillerie d'Auxonne; celui-ci me communiqua, dans ce temps, une lettre de M. le prince de la Moskowa, qui lui défendait de mettre à exécution les ordres qu'il recevrait de Dijon, sans qu'ils Jui eussent été communiqués. Ledit sieur Pellegrin me fit entrevoir qu'il rendrait compte de cet ordre à M. le général commandant la 18. division militaire. Ledit sieur Pellegrin reçut une lettre de M. le prince de la Moskowa dans la nuit du 14 au 15 dudit mois de mars, qui lui ordonnait de rendre la place aux troupes de Buonaparte; il me communiqua cet ordre ledit jour 15 à sept heures du matin, en présence de M. le colonel Broume, directeur de l'arsenal de ladite ville d'Auxonne, de M. Berthier, colonel du 7. régiment d'artillerie à pied, et de M. Deroche, chef de bataillon, sous directeur du génie; il me dit qu'il fallait rendre la place, et je lui dis que je ne la rendrais pas; sur cette réponse, il me répliqua qu'étant revêtu du commandement supérieur, il la rendrait luimême, ce qui a été fait le même jour à huit heures du matin.

D. Croyez vous que ses discours, ses écrits ou ses exemples aient engagé quelques officiers, ou quelques corps de troupes à se réunir à Napoléon Buonaparte?

R. Je n'en ai d'autre connaissance que la lettre de M. le maréchal, dont j'ai parlé dans ma réponse précédente. Cependant le maréchal-de-camp Pellegrin fut trouver le maréchal Ney, le 13 ou le 14 mars à Dôle, avant la reddition d'Auxonne, et retourna le 15 daus ludite ville de Dôle, après que la ville d'Auxonne fut rendue. Le colonel d'artillerie, M. le colonel Berthier, accompagnait le réchal-de camp Pellegrin dans ce voyage."

D. Savez-vous pourquoi il a donné à Auxerre, le 19 mars dernier, l'ordre de vous faire arrêter ?ut

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R. Je présumé que mou refus de rendre ladite place d'Auxonne en a été le motif.

D. Avez-vous été arrêté ?

R. J'ai été arrêté par ordre de Buonaparte le 19 mars dernier à Auxonne, et ai reste trente-six jours détenu dans les prisons de cette ville.

D. Quelle conduite les troupes, sous les ordres du maréchal Ney, tinrent-elles lors de leur passage à Auxonue?

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