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DE LA CONVENTION MILITAIRE,

DU 3 JUILLET 1815,

ET DU TRAITÉ DU 20 NOVEMBRE 1815.

Relativement à l'Accusation de M. le Maréchal NEY.

(Mémoire publié par les avocats du Maréchal.)

Après la bataille de Waterloo, la fuite de Buonaparte et son abdication, l'armée française s'était ralliée sous les murs de Paris, bien décidée à s'y défendre, et à vendre chèrement sa vie à ceux qui oseraient l'attaquer dans ses lignes.

Mais bientôt quelques hommes sages cherchèrent à ébranler Cette résolution, en représentant aux chefs que, si un premier avantage était probable, la supériorité du nombre promettait aux étrangers une revanche qui aurait pour suite inévitable la ruine de Paris et le massacre de ses habitants.

Les généraux des troupes alliées considérèrent eux-mêines toute l'étendue des pertes que pouvait encore leur faire éprouver la valeur française réduite au désespoir! ils sentirent l'immense avantage de s'assurer, sans coup-férir, une ville dont l'occupation de vive-force leur eût couté d'énormes sacrifices.

Des négociations furent entamées entre les fondés de pouvoir de MM. les généraux alliés d'une part; et de l'autre, M. Bignon, chargé du porte-feuille des affaires étrangères, M. Guilleminot, chef de l'état-major général de l'armée française, et M. de Bondy, préfet du département de la Seine, ce qui annonçait bien ouvertement l'intention de traiter dans l'intérêt de l'État, de l'Armée, et de la ville de Paris.

Les généraux allies ne dissimulaient pas que leur intention n'était pas de conquérir la France, mais seulement de rétablir le Roi légitime sur son trône. Le gouvernement provisoire savait parfaitement que S. M. Louis XVIII approchait de la capitale; il avait eu connaissance de la proclamation du 25 juin : elle avait été communiquée aux chambres, insérée dans les journaux, imprimée et affichée dans tout Paris; on y avait surtout remarqué le passage suivant; « Mais aujourd'hui que les puissants efforts de NOS ALLIES ont dissipé les satellites du tyran, nous nous hâtons de rentrer dans nos Etats, pour y rétablir la constitution que nous avions donnée à la France; réparer par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, les maux de la révolte et de la guerre qui en a été la suite nécessaire; récompenser les bons, mettre à exécution les lois existantes contre les COUPABLES. »

Une autre proclamation en date du 28, également connue à Paris, renfermait la promesse de pardonner aux Français égarés; mais elle annonçait en même temps que quelques personnes scraient exceptées du pardon. ·

Ces punitions annoncées, ces limitations apportées à l'amnistic d'ailleurs promise avec tant de libéralité, n'étaient pas de nature à rassurer ceux qui avaient pris part à la révolution, et qui se trouvaient alors en possession du gouvernement civil et militaire de la France les chefs de l'armée auraient mille fois préféré de périr les armes à la main, que de réserver leur vie pour le triste appareil d'une procédure criminelle; les chefs du gouvernement, les fonctionnaires, n'attachaient pas moins d'importance à se mettre à l'abri de toute réaction.

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Pour dissiper toutes les craintes à cet égard, et rassurer tous les esprits, on inséra dans la convention l'article 12, dont la teneur suit: «Seront pareillement respectées les personnes et les propriétés particulières. Les habitants, et en général Tous les individus qui se trouvent dans la capitale, continueront à jouir de leurs droits et libertés sans pouvoir étre inquiétés ni recherchés EN RIEN relativement aux fonctions qu'ils occupent ou auraient occupées, à leur conduite et à leurs opinions politiques. »

Pour plus de sûreté, on ajouta l'article 15, portant que, « s'il survient des difficultés sur l'exécution de quelqu'un des articles de la présente convention, l'interprétation en sera faite en faveur de l'armée française et de la ville de Paris.»

M. le maréchal Ney était évidemment compris dans les termes de l'article 12; il était habitant de Paris; il y avait son domicile

de droit et de fait; il y exerçait des fonctions; il tenait à l'armée. Accusé, il a invoqué le bénéfice de cet article.

Mais on lui a objecté, « que S. M. le Roi de France n'avait pas ratifié la convention du 3 juillet. Que la stipulation, écrite en l'article 12, n'exprimait qu'une renonciation des hautes puissances pour leur compte à rechercher qui que ce fût en France pour raison de sa conduite ou de ses opinions politiques. Qu'elles n'avaient donc à s'immiscer en rien dans les actes du gouver nement du Roi. »

Cette réponse, faite à madame la maréchale Ney par lord Wellington, ne résout pas la difficulté.

Le sens restrictif qu'elle donne à l'article 12, n'empêche pas que la convention ne subsiste dans toute son étendue, et qu'elle ne doive être interprétée avec toute la latitude garantie par l'article 15.

Une convention n'appartient pas seulement à l'un des contractants; elle appartient à tous ceux qui y ont pris part. Si l'une de ses clauses présente quelque difficulté, elle ne peut pas être levée d'autorité par une seule des parties contre le vœu de l'autre ; il faut alors recourir aux règles d'équité et de logique, qui, en pareil cas, servent à fixer le sens des termes et la force des stipulations.

Nous rechercherons donc s'il est vrai que l'article 12 n'exprime qu'une renonciation particulière de la part des Hautes Puissances; ou si, au contraire, cet article a pour but d'assurer une garantie générale de toutes recherches qui prendraient leur source dans les fonctions, la conduite ou les opinions politiques des individus qui y sont désignés.

Remarquons d'abord que les Hautes Puissances n'auraient pu renoncer, pour leur compte, à rechercher qui que ce fût en France pour raison de sa conduite ou de ses opinions politiques, qu'autant qu'elles auraient eu effectivement ce droit de recherche.

Car, en général, nous ne pouvons renoncer à un droit quelconque, qu'antant qu'il nous est acquis: on ne peut pardonner qu'autant qu'on pourrait punir; ejus est permittere, cujus est vetare. Ejus est nolle, qui potest velle. L. III, ff. de reg. jur. Quod quis si velit habere non potest, id repudiare non potest. L. CLXXIV, ff. de reg. juris. Is potest repudiare qui et acquirere potest. L. XVIII, ff. de acquirendâ vel omittendâ hæreditate.

Or, il est un PRINCIPE DU DROIT DES GENS, c'est que, « les nations étrangères ne doivent pas s'ingérer dans le gouvernement intérieur d'un état indépendant. Ce n'est point à elles de juger

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entre les citoyens que la discorde fait courir aux armes, ni entre le prince et les sujets les deux partis sont également étrangers pour elles, également indépendants de leur autorité. Il leur reste d'interposer leurs bons offices pour le rétablissement de la paix, et la loi naturelle les y invite ». Le Droit des Gens de Watel, liv. III, chap. XVIII, §. 296.

Ainsi les Hautes Puissances n'avaient que les droits de la guerre dans les pays que la force des armes faisait tomber en leur pouvoir; mais elles n'avaient pas (selon le droit des gens) le pouvoir de juger la conduite et les opinions politiques des citoyens qui avaient pris part à la révolution.

Ce principe était bien connu de la part des plénipotentiaires qui ont conclu la convention de Paris; il est donc impossible d'entendre l'article 12, en ce sens que les Hautes Puissances ont entendu renoncer à un droit qu'elles n'avaient pas.

Mais le Roi de France était leur ALLIE; c'était pour sa sainte cause qu'elles avaient pris les armes; elles agissaient pour lui et en son nom. La proclamation du 25 juin et le traité du 20 novembre ne laissent aucun doute à cet égard. On ne peut donc pas dire que la convention du 3 juillet n'a pas engagé le Roi de France.

Sa Majesté, toujours grande et généreuse, n'avait pas voulu unir son bras ni ceux de sa famille aux instruments dont la Providence s'était servie pour punir la trahison (1); mais les généraux alliés, dont les puissants efforts ont dissipé les satellites du tyran (2), avaient nécessairement, avec le pouvoir d'agir offensivement dans l'intérêt de l'alliance, et de ce que les publicistes appellent casus fœderis, le pouvoir de faire les capitulations et les trèves qui, en arrêtant l'effusion du sang, devaient hâter l'époque de la pacification et du retour à l'ordre. Autrement, et si on ne leur suppose que le premier de ces pouvoirs, sans admettre le second; il faut donc dire, que le combat une fois cominencé ne devait finir que par l'extinction de tous les combattants, ce qui répugne tout à la fois au droit des gens, à l'humanité, et surtout aux sentiments paternels de Sa Majesté pour son peuple.

Ainsi, les mêmes généraux qui avaient le pouvoir d'attaquer l'armée française et de prendre Paris en cas de résistance, avaient certainement le droit d'accorder les clauses d'une convention qui épargnait à cette cité les horreurs d'un siége et les suites d'un

assaut.

(1) Proclamation du 25 juin. (2) Même proclamation.

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« Puisqu'un général et un commandant de place doivent être naturellement revêtus de tous les pouvoirs nécessaires pour l'exercice de leurs fonctions, on est en droit de présumer qu'ils ont ces pouvoirs; et celui de conclure une capitulation est certainement de ce nombre, surtout lorsqu'on ne peut attendre les ordres du Souverain. Le traité qu'ils auront fait à ce sujet sera donc valide, et il-obligera les souverains au nom et en l'autorité desquels les commandants respectifs ont agi. » WATEL, liv. III, chap. XVI, §. 261.

Le droit réciproque qu'avaient et l'armée et la ville de Paris de pourvoir à leur sûreté par une convention, est établi par ·le1 même auteur, au §. 264, où il dit: « Les particuliers, gens de guerre, ou autres qui se trouvent en présence de l'ennemi, sont par cette nécessité, remis à leur propre conduite. Its peuvent faire, quant à leurs personnes, ce que ferait un commandant par rapport à lui-même et à sa troupe..... Car lorsqu'un sujet ne peut ni recevoir les ordres de son souverain, ni jouir de sa protection, il rentre dans ses droits naturels, et doit pourvoir à sa sûreté par tous les moyens justes et honnêtes..... Le bien de l'état demande que la foi soit gardée, et que les sujets aient cè moyen de sauver leur vie, ou de recouvrer leur liberté ».

Ainsi l'armée et la ville de Paris, d'une part; et MM. les généraux alliés, pour toute l'alliance, d'autre part; ont eu le droit de stipuler et d'accorder toutes les clauses de la convention de Paris.

Dira-t-on que cette convention a été faite avec des rebelles ? · Mais ce n'en sera pas moins un traité, une foi jurée, une convention obligatoire. Ecoutons ce que dit Watel à ce sujet. « Le plus sûr moyen d'apaiser les séditions, et en même temps le plus juste, c'est de donner satisfaction aux peuples; et s'ils se sont soulevés sans sujet, ce qui n'arrive peut-être jamais, il faut bien encore " comme nous venons de le dire, accorder une amnistie au grand nombre. Dès que l'amnistie est publiée et acceptée, tout le passé doit être mis en oubli, personne ne peut être recherché pour ce qui s'est fait à l'occasion des troubles. Et en général, le Prince, religieux observateur de sa parole, doit garder fidèlement tout ce qu'il a promis aux rebelles mêmes, j'entends à ceux de ses sujets qui se sont révoltés, sans raison ou sans nécessité. Si ses promesses ne sont pas inviolables, il n'y aura plus de sûreté pour les rebelles à traiter avec lui; dès qu'ils auront tiré l'épée, il faudra qu'ils en jettent le fourreau, comme l'a dit un ancien : le Prince manquera le plus doux et le plus salutaire moyen d'apaiser la ré

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