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qu'il avait reçue du prince Gortschakoff dans laquelle le chancelier Russe, après avoir rappelé les différentes modifications qui ont été apportées aux stipulations du Traité de Paris, conclut par l'annonce de l'intention de S. M. l'Empereur de Russie de dénoncer la Convention spéciale entre la Russie et la Turquie qui limite le nombre des forces navales que chaque Puissance peut maintenir dans la mer Noire.

M. Visconti Venosta n'a pas caché au baron d'Uxkull l'impression pénible et la surprise que lui a causées cette communication.

Il a dit au baron d'Uxkull que la seule réponse qu'il pouvait lui faire pour le moment était, que fidèle à la politique traditionnelle de l'Italie dans les affaires d'Orient, le Gouvernement Italien doit rechercher la solution de cette complication inattendue de concert avec les autres Puissances signataires du Traité de Paris.

M. Visconti Venosta, que j'ai vu après son entrevue avec le baron d'Uxkull, m'a exprimé son impatience d'être renseigné aussi promptement que possible sur les vues du Gouvernement de la Reine.

Le Baron d'Uxkull est retourné hier chez M. Visconti Venosta, dans l'attente que celui-ci aurait eu le temps de se mettre en rapport avec d'autres Gouvernements et serait en position de lui donner une réponse plus positive sur les intentions du Gouvernement Italien.

M. Visconti Venosta m'a informé aujourd'hui qu'il avait borné sa réponse aux mêmes termes dont il s'était servi lors de la précédente entrevue. Il a dit au ministre de Russie, que dans son sentiment il devait à la Puissance principalement intéressée, la Turquie, de ne pas en dire d'avantage, avant d'avoir été informé des vues du Gouvernement Ottoman.

M. Visconti Venosta me dit qu'il avait ajouté que si les autres Puissances venaient à s'entendre sur l'opportunité de modifier quelquesunes des stipulations du Traité de Paris, le Gouvernement Italien ne refuserait pas son concours, étant bien entendu que le principal objet du Traité : l'intégrité, la stabilité et l'indépendance de l'Empire Turc, serait maintenu.

Il disait cela au Ministre de Russie pour lui prouver que le Gouvernement était toujours animé des sentiments conciliants, et aussi parce que, si d'autres Gouvernements étaient d'avis que des changements pourraient-être consentis au Traité, il ne lui paraissait pas qu'il appartint à l'Italie de mettre à elle seule obstacle à de semblables arrangements. S. Ex. priait le baron d'Uxkull de bien comprendre qu'il réservait, jusqu'à ce qu'il fut en possession des opinions des autres Gouvernements, la réponse définitive du cabinet de Florence à la communication du prince Gortschakoff.

Je puis dire aussi que c'est le désir de M. Visconti Venosta de régler la politique du Gouvernement Italien dans cette grave conjoncture sur celle qu'adopteront le gouvernement de la Reine et l'Autriche.

J'ai etc.

Signé A. PAGET.

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LE COMTE DE BEUST AU COMTE CHOTEK, A SAINT-
PÉTERSBOURG.

Vienne, le 16 Novembre 1870.

M. le Comte, l'envoyé de Russie m'a remis il y a quelques jours copie d'une dépêche dont vous trouvez également une copie ci-annexée.

Je me suis empressé de la placer sous les yeux de l'Empereur et Roi notre auguste Maître, et c'est d'ordre de S. M. que je vous charge de porter les observations suivantes à la connaissance de M. le Prince Gortschakoff.

Voici ce que porte l'Article XIV du Traité conclu à Paris, le 30 mars 1856:

«LL. MM. l'Empereur de toutes les Russies et le Sultan, ayant conclu une Convention à l'effet de déterminer la force et le nombre des bâtiments légers, nécessaires au service de leurs côtes, qu'elles se réservent d'entretenir dans la Mer Noire, cette Convention est annexée au présent Traité, et aura même force et valeur que si elle en faisait partie intégrante. Elle ne pourra être ni annulée ni modifiée sans l'assentiment des Puissances signataires du présent Traité.>>

Le dernier paragraphe de cet Article par ses termes positifs acquiert une valeur particulière en ajoutant expressément et exceptionnellement une stipulation qui, de tout temps, a été regardée comme sous-entendue dans chaque transaction internationale.

Nous ne saurions donc concevoir ni admettre un doute sur la force absolue de cet engagement réciproque lors même que l'une ou l'autre des Parties Contractantes se croirait dans le cas de faire valoir les considérations les mieux fondées contre le maintien de telle ou telle disposition d'un Traité qu'on est convenu de déclarer d'avance ne pouvoir jamais être ni annulé ni modifié sans l'assentiment de toutes les Puissances qui l'ont signé.

C'est uniquement pour ne pas manquer aux égards dus au Cabinet de Saint-Pétersbourg que sans nous arrêter à ce simple renvoi qui résume toute notre pensée sur l'ouverture qu'il vient de nous faire, que

nous entrons dans un examen des arguments sur lesquels repose cette communication.

La dépêche de M. le Chancelier de Russie commence par relever une certaine inégalité ou iniquité dont les dispositions du Traité seraient entâchées en ce qu'elles limitaient les moyens de défense de la Russie dans la Mer Noire, tandis qu'elles permettaient à la Turquie d'entretenir des forces navales illimitées dans l'Archipel et les Détroits.

Il ne nous appartient pas de discuter ni l'origine ni la valeur d'un arrangement qui n'a pas été passé entre la Russie et nous, mais qui est commun à toutes les grandes Puissances. Nous nous permettrons seulement de faire observer à M. le Prince Gortschakoff que réflexion pareille peut empêcher la signature d'un Traité, et qu'après la signature elle peut servir de base d'une demande de modification, mais que jamais elle ne peut autoriser une solution arbitraire. Nous dirons plus. Les raisons que le Gouvernement de Russie met en avant pour justifier un acte unilatéral, loin d'en atténuer la portée, ne font qu'ajouter à la gravité des considérations qui s'y rattachent. La maxime qu'il lui plaît d'adopter compromet non-seulement tous les Traités existants, mais encore ceux à venir. Elle peut contribuer à les rendre faciles, elle ne servira pas à les rendre solides.

Cependant le Cabinet de Saint-Pétersbourg rappelle des dérogations auxquelles le Traité de 1856 n'aurait pas échappé.

Il est question de révolutions qui s'étaient accomplies dans les Principautés Danubiennes, et qui, contrairement à l'esprit et à la lettre du Traité et de ses annexes, avaient conduit à l'union des Principautés et à l'appel d'un Prince étranger.

Qu'il nous soit permis de faire ressortir un point qui nous semble capital.

Les Principautés de Moldavie et de Valachie n'étaient point Partie Contractante du Traité de 1856. Elles se trouvent sous la suzeraineté de la Porte Ottomane. Etait-ce bien celle-ci qui était responsable des changements survenus dans ces pays, et qui aux yeux du Gouvernement Impérial de Russie constituent une infraction aux Traités? Estce bien elle qui a demandé qu'on les sanctionnât, et n'est-ce pas elle qui aujourd'hui doit accepter une infraction évidemment préjudiciable à ses droits et à ses intérêts?

Reste l'entrée de quelques bâtiments de guerre étrangers dans la Mer Noire. Ces faits nous sont inconnus, à moins qu'il ne s'agisse des bâtiments de guerre désarmés qui servaient d'escorte à des Souverains. Ces apparitions, le Cabinet de Saint-Pétersbourg ne l'ignore pas, avaient certes un caractère bien inoffensif. Rien d'ailleurs n'em

pêchait le Gouvernement de Russie de porter plainte du moment où elles lui paraissaient incompatibles avec les dispositions du Traité. Le Gouvernement de S. M. I. et R. Apostolique n'a donc pu apprendre qu'avec un pénible regret la détermination que nous annonce la dépêche de M. le Prince Gortschakoff, et par laquelle le Gouvernement Impérial de Russie assume sur lui une grave responsabilité. Il lui est impossible de ne pas en témoigner sa profonde surprise, et d'appeler la sérieuse attention du Cabinet Impérial sur les conséquences d'un procédé qui non-seulement porte atteinte à un acte international signé par toutes les grandes Puissances, mais qui se produit encore au milieu de circonstances ou plus que jamais l'Europe a besoin des garanties qu'offre à son repos et à son avenir la foi des Traités.

Vous donnerez lecture de la présente dépêche à M. le Prince Gortschakoff, et vous lui en laisserez copie.

Recevez, etc.

Signé : BEUST.

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LE COMTE DE BEUST AU COMTE DE CHOTEK, A SAINT

PETERSBOURG.

Vienne, le 16 novembre 1870.

M. le comte, après voir communiqué la circulaire du 19/31 octobre dernier à laquelle ma dépêche précédente de ce jour sert de réplique, M. l'envoyé de Russie m'a donné lecture de quelques passages d'une autre dépêche de son Cabinet, relative à la même affaire, mais portant un caractère plus confidentiel.

Dans cette pièce, M. le prince Gortschakoff, faisant appel à nos sentiments d'amitié pour la cour de Russie, exprime l'espoir de nous trouver d'autant plus disposés à juger avec faveur sa détermination de s'affranchir des stipulations réglant la neutralisation de la mer Noire que le gouvernement I. et R. avait lui-même, dès le mois de janvier 1867, pris l'intiative d'une proposition dont l'effet eût été de dégager la Russie des restrictions que lui imposaient ces mêmes stipulations.

J'ai répondu à M. Novikoff que, sans nul doute, nous avions toujours témoigné le plus vif désir de consolider nos bons rapports avec la cour de Saint-Pétersbourg, et que l'initiative rappelée par le prince Gortschakoff avait été l'expression la plus éclatante peut-être de ce bon vouloir de notre part; mais que je ne pouvais me défendre d'un

sentiment de regret en reportant mes souvenirs sur la démarche dont il s'agit, et en me retraçant l'accueil plus que froid qu'elle avait rencontré auprès de ceux-là même qui eussent dû s'y montrer les plus sensibles. M. le chancelier ne peut avoir oublié qu'au lieu d'éveiller dans son esprit un écho sympathique, elle ne provoqua de sa part que des critiques et des reproches que nous ne nous attendions certes pas à voir se produire de ce côté. Le prédécesseur de votre Excellence ne put que nous mander alors que le Chef du Cabinet russe trouvait notre manière d'agir précipitée; que, dans son opinion, elle avait suscité sans nécessité la méfiance du gouvernement Français, et que l'idée, mise en avant par nous, d'une Conférence pour le réglement des questions à résoudre en Orient lui semblait peu propre à assurer un résultat satisfaisant. A coup sûr, cette manière de répondre à une avance aussi loyale que bienveillante était faite pour exciter notre surprise. La Russie pouvait contester l'opportunité de notre proposition, à laquelle l'adhésion de la France et de l'Angleterre avait fait défaut; mais la pensée qui l'avait inspirée, pensée toute bienveillante pour la Russie et favorable à ses voeux, n'en constituait pas moins une preuve manifeste de nos bonnes dispositions qui méritait d'être mieux accueillie.

J'ai signalé, en outre, à M. l'envoyé de Russie la différence essentielle qui existe entre la combinaison suggérée par nous en 1867 et la déclaration que son gouvernement vient d'émettre. Aux ermes de notre projet, les entraves apportées à la liberté d'action de la Russie dans l'Euxin devaient être écartées dans les formes déterminées par le Traité même et non par un simple acte unilatéral. De ce que nous avions recommandé l'abrogation égale, prononcée par l'unanimité des Cours signataires, il ne s'ensuivait nullement que nous dussions approuver une annulation arbitrairement ou isolément signifiée par la partie obligée. L'article 14 du Traité du 30 mars 1856 porte en toutes lettres que la Convention conclue le même jour entre les deux Etats riverains de la mer Noire ne pourra être ni annulée ni modifiée sans l'assentiment des Puissances garantes, et je ne comprendrais donc pas que le gouvernement russe, en suivant aujourd'hui, pour le libérer des charges de cette Convention, un mode de procéder diamétralement opposé à la clause que je viens de citer, pût nous taxer d'inconséquence, lorsque c'est précisément l'application de cette clause qui formait la base de notre programme.

Enfin, ai-je fait observer à M. Novikoff, la marche proposée à cette époque par le cabinet I. et R. n'était aucunement de nature à entraîner les dangereuses conséquences qu'il y a lieu de redouter de l'acte récent du cabinet de Saint-Pétersbourg. En obtenant, de l'aveu

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