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nement du Roi, mon Auguste Maître, croit par conséquent de toute urgence d'établir dès à présent entre leurs mouvements militaires l'entente la plus stricte et la coopération la plus efficace. Si une action en commun et sur le même théâtre de guerre leur est interdite par les distances dans le commencement, il faudra chercher à y suppléer par la simultanéité des coups qu'on portera. Ainsi attaquée, l'Autriche devra d'abord partager ses forces: elle ne pourra jamais se servir des mêmes réserves, tantôt contre l'une, tantôt contre l'autre partie. Enfin, les coups portés se feront sentir, non-seulement sur le champ de bataille, mais au loin.

En premier lieu, le gouvernement du Roi est persuadé que le commencement des hostilités en Allemagne sera suivi immédiatement de la déclaration de guerre italienne. La Prusse connait trop les sentiments de loyauté qui animent le gouvernement du roi Victor-Emmanuel pour en douter. Mais cette solidarité et simultanéité d'action, devront, selon les vues du gouvernement prussien, se continuer et se reproduire dans tout le cours de la campagne; en bons alliés, les deux puissances devront vouer à leurs opérations respectives un intérêt constant et réciproque. Cette tendance sera approuvée et partagée, comme la Prusse aime à le supposer, de la part du gouvernement italien.

Le système de guerre pour la campagne prochaine, que la Prusse propose à l'Italie, est celui d'une guerre à fond. Si au commencement le sort des armes leur était propice, les deux alliés ne s'arrêteraient point aux obstacles intermédiaires : ils chercheront plutôt à pousser leur adversaire dans ses derniers retranchements et jusqu'à ses dernières ressources. Ils ne se contenteraient pas, après une victoire, d'occuper tel territoire qu'une paix favorable pourra leur faire garder. Au contraire, et sans égard pour la configuration territoriale future, ils tâcheront avant tout de rendre la victoire définitive, complète et ́ irrévocable. Une telle défaite infligée à l'adversaire par leurs efforts réunis, leur donnerait, à chacun dans sa sphèrə, un ascendant moral et politique infiniment supérieur au gain matériel qui devrait également en résulter.

Ainsi, la Prusse ne devrait pas songer aux obstacles que la nature ou l'art oppose depuis Lintz jusqu'à Cracovie: elle poussera résolûment vers Vienne les succès qu'elle pourra obtenir.

Quant aux opérations analogues des forces italiennes, on ne s'occuperait pas à faire le siége du Quadrilatère: on préférerait de le traverser ou de le tourner pour battre l'armée ennemie en rase campagne. Il y a peu de doute que, vu surtout les proportions numériques, l'armée italienne se trouvera en peu de temps en possession du pays vénétien, Venise, Vérone et Mantoue exceptées, et dont les garnisons, il est

vrai, devraient être paralysées par des corps d'observation d'une force considérable.

Les généraux italiens seront indubitablement les meilleurs juges des opérations dont il s'agit. Cependant, pour aller à l'unisson avec la Prusse, il faudra que l'Italie ne se contente pas de pénétrer aux frontières septentrionales de la Vénétie: il faut qu'elle se fraye le chemin vers le Danube, qu'elle se rencontre avec la Prusse au centre même de la monarchie impériale, en un mot qu'elle marche sur Vienne. Pour s'assurer la possession durable de la Vénétie, il faut d'abord avoir frappé au cœur la puissance autrichienne.

Quelles seraient les conséquences, si l'Italie voulait restreindre son action militaire à Udine ou à Bellune, pour s'occuper ensuite du siége des places fortes? Elle arrêterait inévitablement la guerre entière. Car elle permettrait à l'armée autrichienne de se retirer tranquillement vers le nord pour renforcer les armées impériales contre la Prusse. A l'aide peut-être de la Bavière, ces forces réunies pourraient arrêter l'offensive prussienne et la réduire à une défensive obligée. Frustré ainsi des résultats de ses précédents succès, on concluera peut-être une paix, laquelle, tant pour la Prusse que pour l'Italie, ne répondrait nullement aux idées primitives ni aux immenses sacrifices qu'on s'était imposés.

Pour éloigner cette triste éventualité, qui tôt ou tard contraindrait les alliés à recommencer leur œuvre, la Prusse ne croit pouvoir insister assez vivement sur la nécessité de pousser l'offensive des deux côtés jusqu'aux dernières limites, c'est-à-dire sous les murs de la capitale.

En attendant pour un moment la possibilité contraire, et en envisageant en particulier la position de la Prusse, la coopération de l'Italie lui aurait fait plus de mal que sa neutralité absolue. La neutralité aurait du moins retenu dans le Quadrilatère et paralysé au profit de la Prusse toute une armée autrichienne : la coopération victorieuse, mais mal comprise et arrêtée dans sa carrière, refoulerait cette même armée contre la Prusse, et cette dernière aurait moins de chances avec que sans son alliance italienne.

Mais le gouvernement du Roi, mon Auguste Maître, se repose avec la plus entière confiance sur la loyauté de son allié pour écarter toute possibilité d'une pareille éventualité.

Toutefois, sous le rapport stratégique, la marche sur Vienne de l'armée italienne pourrait paraître dangereuse : l'échelle d'opérations semblerait trop longue, les ressources trop loin. Mais, à mesure qu'on s'approche de l'armée prussienne, le danger diminue, et la victoire finale devient de plus en plus probable.

D'ailleurs, il existe une agence infaillible pour assurer aux deux

armées une coopération efficace sur un terrain commun: ce terrain, c'est la Hongrie.

Le gouvernement prussien a fait étudier dernièrement avec soin la question hongroise: il a acquis la conviction que ce pays, soutenu également par l'Italie et par la Prusse, leur servira à son tour comme chainon de ralliement et comme appui stratégique. Qu'on dirige, par exemple, sur la côte orientale de l'Adriatique une forte expédition qui n'affaiblirait en rien l'armée principale, parce qu'on la prendrait pour la plupart dans les rangs des volontaires, en la mettant sous les ordres du général Garibaldi. D'après tous les renseignements parvenus au gouvernement prussien, elle trouverait parmi les Slaves et les Hongrois une réception des plus cordiales: elle couvrirait le flanc de l'armée s'avançant sur Vienne et lui ouvrirait la coopération et toutes les ressources de ces vastes contrées. Par contre, les régiments hongrois et croates dans l'armée autrichienne refuseront bientôt de se battre contre des armées qui ont été reçues en amies par leurs propres pays.

Du nord et des confins de la Silésie prussienne, un corps volant, composé autant que possible d'éléments nationaux, pourrait pénétrer en Hongrie et y joindrait les troupes italiennes et les forces nationales, qui n'auraient pas tardé à se former. L'Autriche perdrait à mesure que nous gagnerions; et les coups, qui alors lui seraient portés, ne frapperaient plus ses extrémités, mais son cœur.

C'est par toutes ces raisons que le gouvernement prussien attache une si haute valeur à l'affaire hongroise et à l'action combinée sur ce terrain avec l'Italie son alliée. Je propose au cabinet florentin de pourvoir en commun aux frais nécessaires pour préparer l'accueil des expéditions indiquées et de leur assurer la coopération de ces pays.

Voilà l'idée générale du plan de campagne que le Soussigné, selon les instructions de son gouvernement, a l'honneur de soumettre au cabinet italien. Plus il s'applique aux intérêts généraux, plus il assure le rapprochement des deux armées vers une action commune, et plus le gouvernement du Soussigné se flatte qu'il trouvera auprès du gouvernement italien un accueil sympathique, et qu'il contribuera puissamment au succès de cette grande entreprise.

En priant S. Exc. M. le général de La Marmora de vouloir l'honorer au plus tôt possible de sa réponse, le Soussigné s'empresse de lui renouveler l'assurance de sa plus haute considération..

Signé: USEDOM.

LE LIVRE BLEU SERBE

CORRESPONDANCE

DU

MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA PRINCIPAUTÉ DE SERBIE

RELATIVE A

LA QUESTION DU DANUBE

PORTÉE DEVANT LA CONFÉRENCE DE LONDRES

1871

No 1

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. ZUKITCH,
CHARGÉ D'AFFAIRES DE SERBIE, A BUKHAREST

Belgrade, le 20 décembre 1870/1er janvier 1871.

Nous tenons de source certaine que la Conférence de Londres s'occupera aussi de la question de la navigation du Danube.

Le gouvernement de la Régence princière pense qu'il serait utile que la Serbie et la Roumanie envoyassent à Londres des agents pour exposer et défendre les intérêts de nos deux pays.

Demandez au gouvernement roumain s'il partage notre opinion, et répondez-moi par télégramme.

No 2

M. ZUKITCH AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Télégramme.

Bukharest, le 31 décembre 1870/12 janvier 1871.

Le gouvernement roumain partage l'opinion du gouvernement princier sur la nécessité d'envoyer des agents à Londres pour représenter nos intérêts. En conséquence, il a ordonné à son agent à Paris de se rendre à Londres pour agir de concert, en tout, avec notre envoyé.

No 3

M. MIJATOVITCH, ENVOYÉ DU GOUVERNEMENT A LONDRES,
AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Londres, le 10/22 janvier 1871.

Les puissances sont disposées à maintenir la commission européenne du Danube et à confier à l'Autriche-Hongrie le soin de dégager les Portes de Fer à ses frais, en l'autorisant à percevoir une taxe sur les navires.

On demande notre opinion.

N° 4

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH,

A LONDRES

Belgrade, le 16/28 janvier 1871.

Nous avons reçu vos lettres nos 1 et 2, ainsi que votre télégramme du 10.

En ce qui concerne la commission européenne du Danube, nous ne sommes pas d'avis de son maintien. Du reste, cette question dépasse notre compétence.

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