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éventuellement contre toute solution, directe ou indirecte, dè la question des Portes de Fer, autrement que par la commission riveraine.

Je veux croire que mon gouvernement n'aura pas besoin de recourir à cette réserve expresse de ses droits. Ce qui me confirme dans cette pensée, c'est en premier lieu la bienveillance de la Sublime-Porte envers la Serbie, et ensuite l'appréciation éclairée de Votre Excellence de la solidarité qui existe entre les intérêts de la Sublime-Porte et ceux de la Serbie. En outre, l'époque extraordinaire où nous vivons et qui fait sentir impérieusement aux nations la nécessité de pouvoir se fier à la sainteté de leurs droits nous donne l'espoir qu'il ne sera rien fait qui soit de nature à ébranler l'entière confiance que de tout temps le peuple serbe a placée dans l'auguste protecteur de la Serbie pour la conservation de ses droits, confiance qui lui a permis de consacrer jusqu'ici tous ses efforts au maintien de l'ordre intérieur, ainsi qu'au développement matériel et moral du pays.

Agréez, etc.

N° 23

M. MIJATOVITCH AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE DE LONDRES

Londres, le 10/22 février 1871.

Excellence, j'ai l'honneur de vous transmettre une copie du Mémoire contenant l'exposé des vues du gouvernement serbe dans la question des Portes de Fer, que j'ai eu l'honneur de remettre à S. Exc. Musurus-Pacha.

Le gouvernement serbe ne fait aucun doute que le représentant de la Sublime-Porte, appréciant comme il convient les rapports légaux qui existent entre la puissance suzeraine et la Principauté, voudra bien exposer et appuyer près de la Conférence les vues de la Serbie dans une question qui la touche de si près. Cependant, j'ai reçu l'ordre de faire connaître à Votre Excellence, ainsi qu'aux autres représentants des puissances garantes, les motifs qui ont porté le gouvernement serbe à réserver les droits qui ont été reconnus à la Principauté par les traités, et que la Constitution lui faisait un devoir de maintenir.

C'est pour obéir à cet ordre que je prends la liberté de transmettre la copie susmentionnée à Votre Excellence, me bornant à ajouter que, dans l'opinion du gouvernement princier, il y aurait urgence à ce que la commission riveraine se réunit de nouveau pour examiner et résoudre les importantes questions dont le traité de Paris lui a remis la décision.

Agréez, etc.

N° 24

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH

A LONDRES

Belgrade, 6/18 février 1871.

L'agent diplomatique de l'Autriche-Hongrie insiste pour que nous donnions notre adhésion au projet que le gouvernement impérial-royal a présenté à la Conférence.

Nous avons répondu que nous ne pouvions nous départir d'un droit acquis, mais que nous consentions à ce que la Conférence décidât qu'une taxe serait prélevée sur les navires, pourvu que la décision sur tous les autres points fût remise à la commission riveraine, en un mot que nous adhérions à la rédaction énoncée dans votre lettre no 7.

N° 25

M. MIJATOVITCH AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Télégramme.

Londres, le 6/18 février 1871.

J'ai remis le Mémoire contenant l'exposé des vues du gouvernement, avec la réserve formelle de notre droit.

Nous avons la chance de réussir. La Conférence a suspendu ses séances jusqu'à l'arrivée du délégué français (1).

(1) 7 février. Les séances ne furent reprises que le 13 mars, après l'arrivée à Londres • du plénipotentiaire français, duc de Broglie. Il y eut donc une interruption de plus d'un

muis.

N 26

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH

A LONDRES

Belgrade, 10/22 février 1871.

Monsieur, par mon télégramme du 6 courant, je vous ai informé de la démarche de l'agent diplomatique de l'Autriche-Hongrie auprès du gouvernement princier et de la réponse qui lui a été faite.

Je crois devoir aujourd'hui vous communiquer en détail, pour votre gouverne, la conversation que nous avons eue avec M. Kallay.

Et d'abord, je dois remarquer que M. Kallay s'était déjà entretenu à deux reprises avec le gouvernement au sujet de la question des Portes de Fer. Une première fois, quand il nous communiqua le texte du projet austro-hongrois, et, plus tard, lorsque, d'après l'ordre qu'il avait reçu par télégramme du comte de Beust, il vint pour expliquer les motifs que devaient nous porter, selon lui, à modifier nos résolutions premières, nous faire de nouvelles représentations pour nous engager à abandonner notre point de vue, car le comte ne doutait pas que notre opposition ne provint d'un malentendu avec M. Kallay.

Mais, avant d'entrer dans le détail de ce dernier entretien, je crois devoir joindre ici en traduction le texte du projet austro-hongrois tel qu'il nous a été communiqué en copie par M. Kallay.

Ce projet se compose des deux articles suivants :

« Art. 1er. Les conditions de la réunion annuelle de la commission riveraine établie par l'article 17 du traité de Paris du 30 mars 1856 seront fixées par une entente préalable entre les puissances riveraines, et en ce qui concerne toute modification à l'article 17 dudit traité, par une convention spéciale entre les puissances cosignataires.

«< Art. 2. Ayant égard aux intérêts du commerce, à l'urgence et à l'importance des travaux à exécuter pour faire disparaître les. obstacles et les dangers qui mettent entrave à la navigation du Danube dans les hautes et les basses Portes de Fer, S. M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie, s'arrangera avec ses coriverains de cette partie du fleuve, à l'égard des conditions techniques et financières d'une opération ayant pour objet d'écarter les obstacles ci-dessus mentionnés au moyen de travaux à entreprendre par le gouvernement impérial-royal.

« La règle établie par l'article 15 du traité de Paris, qu'il ne sera

exigé aucun péage uniquement pour le fait de naviguer sur le fleuve, est déclarée inapplicable aux travaux considérés comme nécessaires dans la partie susmentionnée de la rivière, entrepris à leurs propres frais par les Etats riverains.

« Le péage éventuellement exigé dans ce cas sera le même pour tous les pavillons. Son produit ne sera employé qu'à solder les intérêts et l'amortissement du capital employé auxdits travaux, et il cessera d'être exigé aussitôt que ce capital aura été entièrement remboursé. » J'aborde maintenant la relation de l'entretien que nous avons eu avec M. l'agent de l'Autriche-Hongrie.

M. Kallay s'est étonné de ce que le projet de son gouvernement eût été combattu à Londres par l'envoyé du gouvernement princier, et, après nous en avoir exposé de nouveau le contenu, il demandait qu'on vous envoyât l'ordre de vous départir de toute opposition ultérieure.

Sur l'observation qui lui fut faite que vous n'aviez fait que vous conformer aux instructions que le gouvernement vous avait envoyées dès qu'il avait eu connaissance de la proposition de l'Autriche-Hongrie, M. Kallay s'efforça de nous démontrer que cette proposition ne lésait aucun des droits de la Serbie; que, de plus, dans la rédaction proposée, on tient soigneusement compte de la nécessité de s'entendre pour les conditions techniques et financières avec les Principautés. Il ajoute que, ne trouvant aucun motif plausible à notre opposition, il ne pouvait l'attribuer qu'à un sentiment de défiance à l'égard des dispositions et des vues de son gouvernement.

Il fut répondu à M. Kallay que le gouvernement princier rejetait expressément cette interprétation donnée à ses agissements à Londres, qu'il n'était question ici ni de confiance ni de méfiance, qu'il s'agissait uniquement d'un droit territorial et d'un droit formel acquis à la Serbie par le traité de Paris de 1856.

Nous déclarâmes ensuite à M. Kallay que nous consentions à ce que la Conférence de Londres décidât que dans le cas où la navigation des deux Portes de Fer serait facilitée par quelques travaux techniques, un péage pourrait être provisoirement établi, mais que toutes les autres questions, comme par exemple : par qui seront exécutés les travaux? de quelle manière? quand? etc., seraient abandonnées à la décision de la commission riveraine, dont la Serbie fait partie en vertu du traité de Paris.

M. Kallay objecta qu'une affaire de cette importance, dans laquelle tous les Etats européens étaient intéressés, si elle était confiée à la commission riveraine, n'aboutirait à aucun résultat pratique. Il rappela comment, en 1856 et 1857, les jalousies politiques et les rivalités qui se manifestèrent au sein de la commission et qui étaient inhérentes

à sa composition même, rendirent ses travaux stériles, et il en conclut que les mêmes conflits paralyseraient dans l'avenir l'action de la commission, et que les travaux nécessaires au dégagement des Portes de Fer ne seraient pas exécutés.

Il fut répondu à cette objection qu'en effet, en 1858, la Porte avait élevé une contestation au sujet de la véritable situation des commissaires des Principautés (1) dans la commission riveraine; mais que ce n'avait pas été là l'unique ni même, à proprement parler, la principale cause que le travail de la commission n'eût pas eu un résultat pratique; que d'ailleurs, depuis ce temps, il s'est produit de nombreuses péripéties sur la scène politique, que les relations de fait sont devenues tout autres (2), et qu'il existe assez d'excellentes raisons de nature à dissiper toute incertitude quant à la position des commissaires des Principautés; qu'en tous cas, nous nous croyons fondés à espérer qu'aucun débat ne s'élèverait désormais sur ce point.

M. Kallay finit par nous déclarer que son gouvernement, qui eût été désireux de nous rallier à son opinion et de nous avoir pour auxiliaires, n'avait plus qu'à passer outre, et qu'il agirait seul, sans égard pour l'opposition du gouvernement princier, pour faire accepter son projet par la Conférence.

« Ce qui revient à dire, réplique un de MM. les Régents, que vous en appelez à la raison du plus fort. Soit. Mais, cependant, comme l'histoire de tous les temps et de tous les pays nous montre que ceux qui en appellent au droit du plus fort rencontrent tôt ou tard un plus fort qu'eux, la Serbie ne voudrait conseiller à personne de se prévaloir de la raison du plus fort pour attaquer le droit du plus faible..

Comme vous le voyez, Monsieur, nous maintenons en entier le programme que vous avez été chargé de défendre à Londres. Le gouver

(1) La commission riveraine était composée, comme nous l'avons vu, des quatre délégués de Wurtemberg, de la Bavière, de l'Autriche et de la Turquie, et des trois commissaires de la Valachie, de la Moldavie et de la Serbie. Cependant, lorsqu'il s'agit de signer l'acte élaboré en commun, l'instrument fut rédigé en quatre exemplaires seulement, le délégué ottoman déclarant que son gouvernement se réservait d'en communiquer des copies légales aux commissaires des trois Principautés. Invités, néanmoins, par le président de la commission, à apposer leur signature au bas de l'acte, ceux-ci refusèrent, par le motif qu'ils n'étaient autorisés à le faire que sauf ratification de leurs gouvernements, ratification qui, d'après la déclaration du délégué ottoman, ne devait point être échangée, ni même suppléée par aucune autre formalité, et ils se retirèrent de la Conférence.

(2) Ainsi la réunion de la Moldo-Valachie sous un prince étranger, l'hérédité accordée au prince Charles de Roumanie par le firman de 1866; en Serbie, l'évacuation des dernières forteresses par les Turcs, en 1867, l'avénement de Milan-Obsrenvovitz IV, en 1868; la promulgation de la constitution, en 1869.

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