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je doive demeurer ici quelques jours et abonder dans le sens du comte de Bismarck, accepter même ses propositions ad referendum, et peutêtre même conclure, en dernier lieu, le fameux traité d'amitié éternelle et d'alliance qu'il veut. De cette manière restent le temps et le moyen de tenter les autres combinaisons dont Votre Excellence m'a parlé, et la vipère aura piqué le charlatan.

Le président du conseil m'a présenté à Sa Majesté, qui a été bienveillante et m'a offert de visiter les établissements militaires prussiens, étant convenu avec le comte de Bismarck que ma présence ici se justi- • fierait par ce prétexte.

J'ai été présenté à M. Benedetti, qui a dit seulement que je faisais beaucoup de bruit, faisant allusion à la publicité qu'on a donnée à mon arrivée.

L'ambassadeur L.-L..., à qui j'ai été également présenté, m'a questionné directement sur la solidité du cabinet de Florence, et m'a demandé si j'étais venu avec une mission. Je lui ai répondu : « Avec celle de voir le matériel militaire et l'armée de la Prusse. » Il a ajouté: « Mais la Prusse a-t-elle fait des propositions à Florence? » J'ai répliqué que je l'ignorais tout à fait. Alors il m'a dit que chez nous on armait, mais que ce n'était pas prudent. J'ai nié les armements, et je lui ai demandé, à mon tour, si la Prusse était près de faire la guerre à l'Autriche. « Je ne connais pas encore l'état des choses », a-t-il répondu, « étant ici depuis peu; mais je ne crois pas. Que l'Italie se garde de s'engager avec la Prusse, parce qu'elle serait ensuite abandonnée au premier moment opportun. Telle est l'opinion de L.-L.

Signé: GOVONE.

N° 21

LE GÉNÉRAL DE LA MARMORA AU COMTE DE BARRAL, A BERLIN

Florence, le 16 mars 1866.

J'approuve entièrement réserve, que vous et général Govone avez

gardée.

Dites à Govone de rester à Berlin en observation.

Signé: LA MARMORA.

N 22

LE GÉNÉRAL GOVONE AU COMTE DE LA MARMORA

Berlin, le 17 mars 1865.

Le comte de Bismarck répète que la guerre immédiate pour les duchés de l'Elbe offrirait beaucoup d'inconvénients. L'Angleterre la désapprouve, tandis qu'elle ne pouvait faire d'objections sérieuses à une guerre pour la nationalité allemande. L'empereur Napoléon, de son côté, la juge peu convenable et nullement justifiable, au point de vue de délivrer une province de la domination étrangère, comme ce serait le cas, pour l'Italie, par la guerre de Veuise. A l'égard de l'Empereur, il a ajouté: « On peut croire qu'il désire une grosse guerre allemande, parce qu'à la tête d'une armée comine l'armée française il pourra toujours trouver sa part de profit (disait Bismarck); mais en dehors de cela, comme question de principe, il (l'Empereur) appuierait plutôt la grande guerre pour la nationalité allemande que la guerre pour les duchés de l'Elbe. >>

Toutes ces raisons, a conclu le comte de Bismarck, nous engagent à différer la guerre et à la préparer peu à peu. Mais, avant de nous engager dans la voie des préparatifs, nous désirons nous assurer l'appu de l'Italie.

No 23

Signé: GOVONE.

PROJET DE TRAITÉ

Art. 1er.- La Prusse prendra l'initiative de la réforme germanique conformément aux besoins des temps modernes. Si cette réforme peut altérer la bonne harmonie de la Confédération et mettre en conflit la Prusse et l'Autriche, dans ce cas, l'Italie, en ayant reçu communication, déclarera la guerre à l'Autriche et à ses alliés.

Art. 2. Les deux puissances engageront toutes les forces que la divine Providence a mises dans leurs mains, pour le triomphe de leur juste cause et de leurs droits, et aucune des deux parties ne déposera les

armes et ne signera aucune paix ni aucun armistice sans le consentement de l'autre.

Art. 3.-Ce consentement ne pourra être refusé quand l'Autriche aura évacué le royaume lombard-vénitien, et que, d'un autre côté, la Prusse aura entre les mains un territoire autrichien équivalent au royaume lombard-vénitien.

No 24

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 17 mars 1866.

Le comte de Bismarck a encore traité un autre point : il m'a dit que pour des raisons spéciales et personnelles le gouvernement prussien avait résolu d'envoyer à Florence, auprès du comte d'Usedom le général comte de Moltke, chef de l'état-major. Il ajouta que le Roi avait craint que je ne fusse étonné, et il dit même offensé, de cette mission, puisque j'avais été envoyé à Berlin pour traiter avec le cabinet prussien. Je lui répondis que je tenais ma mission du cabinet de Florence, et que tout ce que le cabinet de Berlin pouvait faire dans ses intérêts ne pouvait ni ne devait me déplaire. Qu'il y avait peut-être cet inconvé– nient que je me permettais de lui signaler, dans la nouvelle mission du général de Moltke, qu'elle pouvait attirer grandement l'attention publique, sur les négociations pendantes dont le secret était déjà fortement compromis.

Le comte de Bismarck répliqua que le général était désigné pour partir avant mon arrivée, qu'il se rendrait à Nice avec sa famille pour dissimuler sa mission, et que de là il se rendrait ensuite à Florence.

Il est inutile que je dise à Votre Excellence que la mission du général de Moltke ne peut qu'augmenter mes soupçons que le comte de Bismarck cherche à faire croire à l'Autriche, pour l'intimider, qu'il a des intelligences sérieuses avec l'Italie.

A dire vrai, tout le but de l'entretien du comte de Bismarck d'hier soir paraît avoir ce que je n'ébranlasse pas, dans l'esprit du Roi, sa croyance dans la probabilité d'une entente de la Prusse avec l'Italie, et que je laissasse entrevoir devant lui que le point de vue des deux parties est effectivement différent voulant nous engager par

une action immédiate, la Prusse n'étant engagée que pour une éventualité plus ou moins lointaine.

Le comte de Barral qui m'a conseillé avant ma visite au comte de Bismarck, et auquel j'ai communiqué ce qui était arrivé, m'a confirmé dans l'opinion que je partage : qu'il n'y avait à attendre ici rien de sérieux et de pratique des négociations pendantes en faveur de l'Italie.

Le comte de Bismarck m'a écrit, ce matin, un billet pour me faire savoir que le Roi est indisposé, et que le médecin lui a défendu de s'occuper d'affaires. Il me fera savoir quand il pourra être reçu un autre jour.

N° 25

Signé GOVONE.

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 18 mars 1866.

Hier, après le diner que le comte de Barral a donné à la légation d'Italie, et auquel j'assistais avec les principaux membres du corps diplomatique, S. Exc. le comte de Bismarck, président du conseil, m'a de nouveau entretenu de l'utilité réciproque d'un traité d'alliance entre l'Italie et la Prusse. Le comte de Bismarck m'a dit que les nouvelles qu'il avait reçues dans la journée lui prouvaient que la cour de Vienne n'avait encore conçu aucun soupçon sur les négociations avec l'Italie; il ajouta que si la Prusse n'avait pas encore brûlé ses vaisseaux, elle allait les brûler; que nous pouvions avoir pleine confiance dans le traité proposé, parce que S. M. le roi Guillaume était, sans aucun doute, le dernier souverain en Europe qui reculerait devant un engagement pris. Puis il ajouta : Il est évident que la question italienne est plus mûre que la question allemande : c'est pourquoi il serait peut-être convenable que les premiers coups pour mettre le feu aux poudres partissent de l'Italie; et ici il me parla de corps francs lancés dans la Vénétie. Je lui répondis que, dans ce moment, l'Italie n'était disposée à rien. de pareil; que l'opinion publique sensée et droite était entièrement occupée à compléter l'administration et les finances du pays, sachant bien que, cette tâche une fois accomplie, les autres questions politiques se résoudraient d'elles-mêmes; que l'opinion publique aurait sans doute accueilli favorablement une occasion propice et im

prévue de vider plus tôt la question de Venise, et que c'était à ce point de vue que Votre Excellence m'avait envoyé ici, ayant cru que la Prusse était disposée à la guerre; mais que l'Italie comprenait trop bien combien il convenait de ne rien précipiter, pour que le gouvernement trouvât prudent de prendre une initiative de la nature de celle qu'il nous proposait.

Alors le comte de Bismarck dit: mais vous pouvez attendre; ce ne sont pas les finances qui vous forcent à précipiter une solution, et vous pouvez vous unir à nous pour procéder ensemble dans six mois à l'exécution du programme que je vous ai développé. Je repris qu'on pouvait porter remède à l'état des finances.

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L'opinion que nous pourrions être amenés à précipiter une solution par suite de l'état de nos finances, n'était donc pas fondée. Mais attendre en nous engageant avec la Prusse seulement sur des éventualités éloigrées je croyais que le gouvernement de Florence s'y refuserait; parce que, pour rester fidèle aux traités, il pourrait arriver que l'Italie dût plus tard sacrifier d'autres intérêts. Que Votre Excellence pense, dis-je au comte de Bismarck, à la possibilité, par exemple, de nous trouver dans six mois en face de la question romaine, et elle comprendra la valeur de nos scrupules.

Dans la journée d'hier, j'ai vu l'ambassadeur de France, M. Benedetti, qui juge la situation de l'Allemagne et la tension entre l'Autriche et la Prusse au moins, sinon plus grave qu'à l'époque des conférences d'Olmütz en 1850. Lui aussi toutefois est d'avis que cette fois encore la Prusse n'osera affronter la guerre.

Signé : GOVONE.

No 26

LE COMTE DE BARRAL AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 19 mars 1866.

La médiation de l'Angleterre vient d'être proposée à la Prusse qui a refusé, en chargeant son envoyé à Londres de déclarer qu'elle devait l'adresser à l'Autriche, le véritable agresseur et le violateur du traité de Gastein.

En me faisant part tout à l'heure de cet incident, Bismarck, qui était

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