Page images
PDF
EPUB

"

comme d'abus de toute la procédure de leur arche vêque. A la vérité il n'y en eut jamais de moins régulière ni de plus insoutenable. Il interdisait les sacrements à des filles dont il reconnaissait lui-même que la foi et les mœurs étaient très-pures; il leur enlevait leur abbesse et leurs principales mères, introduisait dans leur maison des religieuses étrangères, sans parler du scandale que causait cette troupe d'archers et d'officiers séculiers dont il se faisait accompagner, comme s'il se fût agi de détruire quelque maison diffamée par les plus grands désordres et par les plus énormes excès; tout cela sans aucun examen juridique, sans plainte et sans réquisition de son official, et sans avoir prononcé aucune sentence; et le crime pour lequel il les traitait si durement était de n'avoir pas la créance humaine que des propositions étaient dans un livre qu'elles n'avaient point lu et qu'elles n'étaient point capables de lire, et qu'il n'avait vraisemblablement jamais lu lui-même. Elles dressèrent donc dès le lendemain de l'enlèvement de leurs mères un procès-verbal fort exact de tout ce qui s'était passé dans cette action. Elles en avaient déja dressé un autre de la visite où M. l'archevêque leur avait interdit les sacrements. Elles signèrent ensuite une procuration pour obtenir en leur nom un relief d'appel comme d'abus. Elles l'obtinrent en effet, et le firent signifier à M. l'archevêque, qui fut assigné à comparaître au parlement. Il ne fut pas dif

ficile à ce prélat, comme on peut penser, d'évoquer toute cette affaire au conseil, où il les fit assigner elles-mêmes. Mais comment auraient-elles pu se défendre? II y avait des ordres très-sévères pour leur interdire toute communication avec les personnes du dehors, et on mit même à la bastille un très-honnête homme qui depuis plusieurs années prenait soin, par pure charité, de leurs affaires temporelles. Ainsi il ne leur restait d'autre parti que celui de souffrir et de prier Dieu. Il arriva néanmoins que, sans leur participation, quelques copies de leurs procès-verbaux tombèrent entre les mains de quelques personnes, et bientôt furent rendues publiques ce fut une très-sensible mortification pour M. l'archevêque. En effet, rien ne lui pouvait être plus désagréable que de voir ainsi révéler tout ce qui s'était passé en ces occasions. Comme il n'y eut jamais d'homme moins maître de lui quand il était une fois en colère, et que d'ailleurs il n'avait pas cru devoir être beaucoup sur ses gardes en traitant avec de pauvres religieuses qui étaient à sa merci, et qu'il pouvait pour ainsi dire écraser d'un mot, il lui était échappé dans ces deux visites beaucoup de paroles très-basses et très-peu convenables à la dignité d'un archevêque, et même trèspuériles dont il ne s'était pas souvenu une heure après, tellement qu'il fut fort surpris et en même temps fort honteux de se voir dans ces procès-verbaux jouant pour ainsi dire le personnage d'une

petite femmelette, pendant que les religieuses, toujours maîtresses d'elles-mêmes, lui parlaient avec une force et une dignité toute édifiante. Il fit partout des plaintes amères contre ces deux actes, qu'il traitait de libelles pleins de mensonge, et en parla au roi avec un ressentiment qui fit contre ces filles, dans l'esprit de sa majesté, une profonde impression qui n'est pas encore effacée. Il se flatta néanmoins qu'elles n'auraient jamais la hardiesse de lui soutenir en face les faits avancés dans ces pièces, et il ne douta pas qu'il ne leur en fît faire une rétractation authentique. Il les fit venir à la grille, et leur tint tous les discours qu'il jugea les plus capables de les effrayer; mais pour toute réponse elles se jetèrent toutes à ses pieds, et, avec une fermeté accompagnée d'une humilité profonde, lui dirent qu'il ne leur était pas possible de reconnaître pour fausses des choses qu'elles avaient vues de leurs yeux et entendues de leurs oreilles. Cette réponse peu attendue lui causa une telle émotion, qu'il lui prit un saignement de nez ou plutôt une espèce d'hémorragie si grande, qu'en très-peu de temps il remplit de sang jusqu'à trois serviettes qu'on lui passa l'une sur l'autre. Les religieuses de leur côté étaient plus mortes que vives, et même il y en eut une, nommée sœur Jeanne de la Croix, qui mourut presque subitement de l'agitation que cette affaire lui avait causée. Elles ne furent pas longtemps sans recevoir de nouvelles marques du ressentiment de

si

1

M. l'archevêque, et dès l'après-dîner du jour dont nous parlons il fit ôter le voile aux novices qui restaient dans la maison, et les fit mettre à la porte. Il destitua toutes les officières qui avaient été nommées par l'abbesse, et mit de son autorité dans les charges toutes celles qui avaient commencé à se laisser gagner par M. Chamillard, et fit encore enlever cinq ou six religieuses qu'il croyait les plus capables de fortifier les autres.

De toutes les afflictions qu'eurent alors les religieuses, il n'y en eut point qui leur causa un plus grand déchirement de cœur que celle de se voir abandonnées par cinq ou six de leurs soeurs, qui commencèrent, comme je viens de dire, à se séparer du reste de la communauté, et à rompre cette heureuse union que Dieu y entretenait depuis tant d'années. Elles furent surtout étonnées au dernier point de la défection de la sœur Flavie. Cette fille, qui autrefois avait été religieuse dans un autre couvent, avait desiré avec une extrême ardeur d'entrer à Port-Royal, et y avait été reçue avec une fort grande charité. Comme elle était d'un esprit trèsinsinuant, et qu'elle témoignait un fort grand zèle pour la régularité, elle avait trouvé moyen de se rendre très-considérable dans la maison. Il n'y en avait point qui parût plus opposée à la signature, jusques-là qu'elle ne pouvait souffrir qu'on se soumît pour le droit sans faire quelque restriction qui marquât qu'on ne voulait point donner atteinte à

la

grace efficace. Là-dessus elle citait les écrits que nous avons dit que M. Pascal avait faits pour combattre le sentiment de M. Arnauld, et elle citait même de prétendues révélations où elle assurait que l'évêque d'Ypres lui était apparu. Ce zèle si immodéré, et ces révélations auxquelles on n'ajoutait pas beaucoup de foi, commencèrent à ouvrir les yeux aux mères, qui, reconnaissant beaucoup de légéreté dans cet esprit, l'éloignèrent peu à peu de leur confiance. Ce fut pour elle une injure qui lui parut insupportable; et, voyant qu'elle n'avait plus la même considération dans la maison, elle songea à se rendre considérable à M. Chamillard. Non-seulement elle prit le parti de signer, mais elle se joignit même à ce docteur et à la mère Eugénie, pour leur aider à persécuter ses sœurs dont elle se rendit l'accusatrice, donnant des mémoires contre elles, et leur reprochant entre autres certaines dévotions qui étaient très-innocentes dans le fond, et à la plupart desquelles elle-même avait donné lieu. Nous verrons dans la suite l'usage que les ennemis des religieuses voulurent faire de ces mémoires, et la confusion dont ils furent couverts, aussi bien que la sœur Flavie.

Revenons maintenant aux religieuses qui avaient été enlevées. Dans le moment de l'enlèvement, M. d'Andilly, qui était dans l'église, s'approcha de la mère Agnès qui pouvait à peine marcher, et lui fit ses adieux. Il vit aussi ses trois filles, les sœurs

« PreviousContinue »