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Angélique de Saint-Jean, Marie-Thérèse et Marie de Sainte-Claire, qui sortirent l'une après l'autre. Elles se jetèrent à ses pieds et lui demandèrent sa bénédiction, qu'il leur donna avec la tendresse d'un bon père, et la constance d'un chrétien plein de foi ; il les aida à monter en carrosse. L'archevêque voulut lui en faire un crime auprès du roi, l'accusant d'avoir voulu exciter une sédition; mais la reine-mère assura que M. d'Andilly n'en était pas capable. En dispersant ainsi ces religieuses il espérait les affaiblir, en les tenant dans une dure captivité, privées de tout conseil et de toute communication.

Pendant qu'on tourmentait ainsi les religieuses de Port-Royal de Paris pour la signature, on fut trois mois entiers sans rien dire à celles des champs, quoiqu'elles eussent déclaré par divers actes qu'elles étaient dans les mêmes sentiments que leurs sœurs, et qu'elles eussent même appelé comme d'abus de tout le traitement qu'on avait fait à leurs mères. Quelques personnes crurent que l'archevêque les ménageait à cause du cardinal de Retz, dont la nièce était supérieure de ce monastère. Mais il y a plus d'apparence que comme elles n'avaient point eu de part aux procès-verbaux, ce prélat, à qui tout le reste était indifférent, ne se pressait pas de leur faire de la peine. A la fin cependant il leur fit signifier une sentence par laquelle il les déclarait désobéissantes, et comme telles les privait des sacrements et de toute voix active et passive dans les

élections. Sur cette sentence elles se crurent obli
gées de lui présenter une requête pour le supplier
de vouloir leur expliquer en quoi consistait la dé-
sobéissance qu'il leur reprochait et qu'il punissait
si sévérement. Car, si en exigeant la signature il
exigeait la créance antérieure du fait, elles le
priaient de se souvenir qu'il leur avait fait entendre
lui-même, qu'elles feraient un fort grand crime de
signer ce fait sans le croire; et il était à souhaiter
pour elles
que toute l'église sût que la seule raison
pour laquelle on leur interdisait les sacrements,
c'était pour avoir obéi à leur archevêque en ne vou
lant pas faire un mensonge. Si au contraire, comme
il l'avait déclaré depuis peu à plusieurs personnes,
et comme il l'avait dit même expressément dans
sa lettre à l'évêque d'Angers, il ne demandait par
la signature que le silence et le respect sur le fait,
elles étaient toutes prêtes de signer en ce sens,
pourvu qu'il eût la bonté de leur marquer qu'il n'a-
vait point d'autre intention que celle-là.

Cette requête était fort embarrassante pour l'archevêque, qui dans le fond ne tenait pas toujours un langage bien uniforme sur la signature, disant aux uns qu'il en fallait croire la décision du pape ; et aux autres, qu'il savait bien que l'église n'avait jamais exigé la décision des faits non révélés. Il y eut même quelques-unes des religieuses de Paris, qui ne s'engagèrent à signer que parce qu'il leur déclara qu'il leur permettait de demeurer dans lettr

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doute, et qu'il ne leur demandait leur souscription que comme une marque de la déférence et du respect qu'elles avaient pour l'autorité de leur supérieur. L'archevêque dans cet embarras crut devoir prendre le parti de ne point répondre à cette requête, et il fit semblant qu'il ne l'avait point reçue. Mais les religieuses des champs n'en demeurèrent pas là; et ne pouvant supporter sans une extrême peine d'être privées des sacrements, surtout à la fête de Noël qui était proche, elles lui écrivirent lettres sur lettres pour le conjurer de les mettre en état de lui obéir. Enfin il leur écrivit; mais, au lieu de leur donner l'explication qu'elles lui demandaient, il se contenta de leur reprocher en termes généraux leur orgueil et leur opiniâtreté, les traitant de demi-savantes qui avaient l'insolence de demander à leur archevêque des explications sur des choses si faciles à entendre, et qu'elles entendaient aussi bien que lui. Mais cette réponse ne le tira point encore d'affaire: elles lui présentèrent une seconde requête plus pressante que la première, le conjurant au nom de Jésus-Christ de ne les point séparer des sacrements, sans leur expliquer le crime pour lequel on les en séparait. Ces requêtes firent grand bruit; et l'archevêque, qui vit que la requête et la demande des religieuses paraissaient raisonnables à tout le monde, conçut bien qu'il ne lui était pas permis de demeurer plus longtemps dans le silence. Il écrivit donc aux religieuses, qu'il

était juste de les satisfaire sur les difficultés qu'elles lui proposaient, et qu'il y satisferait dès que les grandes affaires des religieuses de Paris lui en donneraient le loisir. Mais cet éclaircissement ne vint point, non plus que les réponses qu'il avait promis de faire à l'évêque d'Aleth et à d'autres prélats qui lui avaient écrit sur la même affaire; et cependant les religieuses des champs demeurèrent séparées des sacrements, aussi bien que leurs sœurs de Paris.

L'archevêque sentait bien par toutes les raisons que l'on objectait tous les jours contre son mandement, et par la nécessité où il était de se contredire lui-même en mille rencontres, que la foi humaine n'était pas si claire qu'il s'était imaginé, et il eut le déplaisir de la voir en peu de temps aussi décriée que la foi divine de M. de Marca son prédécesseur. Pas un évêque en France ne s'avisa de la demander, ou pour mieux dire, il n'y avait guère le diocèse de Paris où l'on fût inquiété pour le formulaire. Le père Annat crut enfin que tout le mal venait de ce qu'on ne voulait point reconnaître l'autorité des assemblées qui en avaient ordonné la souscription, et jugea qu'il fallait s'adresser au pape pour lui demander qu'il confirmât le formulaire, ou qu'il en fît un qui contînt les mêmes choses.

que

Le roi fit donc prier le pape par son ambassadeur, qu'il lui plût d'envoyer un formulaire qui contînt le fait et le droit comme celui de l'assem

blée, et d'obliger tous les ecclésiastiques du royaume tant séculiers que réguliers, même les religieuses et les maîtres d'école, de le signer sous les peines que les canons ordonnent contre les hérétiques. Nous avons déja dit que le pape n'avait jamais approuvé que les évêques s'ingérassent de signer des formules de foi ni d'en exiger la souscription, et que dans tous les brefs qu'il avait écrits aux assemblées du clergé pour les louer du grand zèle qu'elles apportaient à faire exécuter sa constitution et celle de son prédécesseur, il s'était bien gardé de leur -dire un mot de leur formulaire. Ce fut donc pour lui un fort grand sujet de joie, que regardant comme inutile cet ouvrage qui avait occupé tant d'assemblées, on eût enfin recours à l'autorité du saint siége. La cour de Rome ne pouvait surtout se lasser d'admirer qu'après tout l'éclat qu'on venait de faire en France contre l'infaillibilité du pape, même dans les choses de foi, après qu'on avait fait enregistrer dans tous les parlements et dans toutes les universités les articles de la sorbonne sur cette matière, on en vînt à supplier le pape d'établir cette même infaillibilité dans les faits non révélés, et d'obliger toute la France à reconnaître cette doctrine sous peine d'hérésie. Le pape envoya le formulaire tel qu'on le lui demandait, c'est-à-dire, tout semblable à celui des évêques, excepté que pour en rendre la signature plus authentique, il y ajouta un serment par lequel ceux qui signaient

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