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clous à braquette pour ajuster ma chambre, j'envoyai le valet de mon oncle en ville, et lui dis de m'acheter deux ou trois cents de broquettes; il m'apporta incontinent trois bottes d'allumettes. Jugez s'il y a sujet d'enrager en de semblables malentendus. Cela irait à l'infini, si je voulais dire tous les inconvénients qui arrivent aux nouveau-venus en ce pays, comme moi.

Au reste, pour la situation d'Usez, vous saurez qu'elle est sur une montagne fort haute; et cette montagne n'est qu'un rocher continuel, si bien qu'en quelque temps qu'il fasse on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent sont toutes couvertes d'oliviers qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant; car j'y ai été attrapé moi-même. Je voulus en cueillir quelques-unes au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puisse avoir; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis! j'en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant ; et l'on m'a appris depuis, qu'il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange. L'huile qu'on en tire sert ici de beurre, et j'appréhendais bien ce changement; mais j'en ai goûté aujourd'hui dans les sauces, et, sans mentir, il n'y a rien de meilleur ; on sent bien moins l'huile, qu'on ne sentirait le meilleur beurre de France.

Mais c'est assez vous parler d'huile, et vous me pourrez reprocher, plus justement qu'on ne faisait à un ancien orateur, que mes ouvrages sentent trop l'huile.

Il faut vous entretenir d'autres choses, ou plutôt remettre cela à un autre voyage, pour ne vous pas ennuyer. Je ne me saurais empêcher de vous dire un mot des beautés de cette province. On m'en avait dit beaucoup de bien à Paris; mais, sans mentir, on ne m'en avait encore rien dit au prix de ce qui en est, et pour le nombre et pour l'excellence: il n'y a pas une villageoise, pas une savetière qui ne disputât de beauté avec les Fouillon et les Menneville. Si le pays, de soi, avait un peu de délicatesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendrait pour un vrai pays de Cythère. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde. Et pour ce qui est de leur personne,

Color verus, corpus solidum et succi plenum.

Mais, comme c'est la première chose dont on m'a dit de me donner de garde, je ne veux pas en parler davantage; aussi bien ce serait profaner une maison de bénéficier comme celle où je suis, que d'y faire de longs discours sur cette matière. Domus mea, domus orationis. C'est pourquoi vous devez vous attendre que je ne vous en parlerai plus du tout. On m'a dit, Soyez aveugle. Si je ne le pus

être tout-à-fait, il faut du moins que je sois muet. Car, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers', comme j'ai été loup avec vous et avec les autres loups vos compères. Adiousias.

■ Il était chez son oncle, chanoine de Sainte-Geneviève.

A M. VITART.

Usez, le 15 novembre 1661.

L y a aujourd'hui huit jours que je partis du PontSaint-Esprit, et que je vins à Usez, où je fus reçu de mon oncle avec toute sorte d'amitié. Il m'a donné une chambre auprès de lui, et il prétend que je le soulagerai un peu dans le grand nombre de ses affaires. Je vous assure qu'il en a beaucoup; non-seulement il fait toutes celles du diocèse, mais il a même l'administration de tous les revenus du chapitre, jusqu'à ce qu'il ait payé quatre-vingt-mille livres de dettes où le chapitre s'est engagé. Il s'y entend tout-à-fait, et il n'y a point de dom Côme' dans son affaire. Avec tout cet embarras, il a encore celui de faire bâtir. Il est fort fâché de ce que je n'ai point apporté de démissoire; il m'aurait déja mené à Avignon pour y prendre la tonsure; et la raison de cela, est que le bénéfice qui viendra à va

Moine dont il se plaint encore dans la suite, et qui le traversa daus la poursuite d'un bénéfice.

quer est à sa nomination. Si vous pouviez me faire avoir un démissoire, vous m'obligeriez infiniment. Il faudra l'envoyer demander à Soissons. Au reste nous ne laisserons pas d'aller à Avignon, car mon oncle veut m'acheter des livres, et il veut que j'étudie. Je ne demande pas mieux, et je vous assure que je n'ai pas encore eu la curiosité de voir la ville d'Usez, ni quelque personne que ce soit. Il est bien aise que j'apprenne un peu de théologie dans saint Thomas, et j'en suis tombé d'accord fort volontiers. Enfin je m'accorde le plus aisément du monde à tout ce qu'il veut. Il me témoigne toutes les tendresses possibles. Il me demande tous les jours mon ode de la paix, et non-seulement lui, mais tous les chanoines m'en demandent. J'avais négligé d'en apporter des exemplaires; si vous en avez encore, je vous prie d'en faire bien couper les marges et de me-les envoyer.

On me fait ici force caresses, à cause de mon oncle. Il n'y a pas un curé ni un maître d'école qui ne m'ait fait le compliment gaillard, auquel je ne saurais répondre que par des révérences, car je n'entends pas le français de ce pays-ci, et on n'y entend pas le mien ainsi je tire le pied fort humblement, et je dis, quand tout est fait, Adiousias. Je suis marri pourtant de ne les point entendre ; car si je continue à ne leur point répondre, j'aurai bientôt la réputation d'un incivil ou d'un homme nonlettré. Je suis perdu si cela est, car en ce pays les

civilités sont encore plus en usage qu'en Italie. Je suis épouvanté de voir tous les jours des villageois pieds nus ou ensabotés, (ce mot doit bien passer, puisque encapuchonné a passé), qui font des révérences comme s'ils avaient appris à danser toute leur vie : outre cela, ils causent des mieux ; et j'espère que l'air du pays me va raffiner de moitié, car je vous assure qu'on y est fin et délié. J'ai cru qu'il fallait vous instruire de tout ce qui se passe ici : une autre fois j'abuserai moins de votre loisir.

A M. LE VASSEUR.

Usez, le 24 novembre 166c.

Jɛ ne me plains pas encore de vous, car je crois

bien que c'est tout au plus si vous avez maintenant reçu ma première lettre. Mais je ne vous réponds pas que dans huit jours je ne commence à gronder, si je ne reçois point de vos nouvelles. Epargnez moi donc cette peine, je vous supplie, et épargnez-vous à vous-même de grosses injures, que je pourrais bien vous dire dans ma mauvaise humeur. Nam contemptus amor vires habet.

J'ai été à Nîmes, et il faut que je vous en entretienne. Le chemin d'ici à Nîmes est plus diabolique mille fois que celui des diables à Nevers, et la rue d'enfer, et tels autres chemins réprouvés ; mais la

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