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Mes recommandations au cher M. Félix ; et je vous supplie, quand même je l'aurais oublié dans quelqu'une de mes lettres, de supposer toujours que je vous ai parlé de lui, parce que mon cœur l'a fait si ma main ne l'a pas écrit.

A BOIL E A U.

A Paris, le 25 juillet.

JE commençais à m'ennuyer beaucoup de ne point recevoir de vos nouvelles, et je ne savais même que répondre à quantité de gens qui m'en demandaient. Le roi, il y a trois jours, me demanda à son dîner comment allait votre extinction de voix : je lui dis que vous étiez à Bourbon. Monsieur prit aussitôt la parole, et me fit là-dessus force questions, aussi bien que Madame, et vous fîtes l'entretien de plus de la moitié du dîner. Je me trouvai le lendemain sur le chemin de M. de Louvois, qui me parla aussi de vous, mais avec beaucoup de bonté, et me disant en propres mots qu'il était très-fâché que cela durât si longtemps. Je ne vous dis rien de mille autres qui me parlent tous les jours de vous; et quoique j'espère que vous retrouverez bientôt votre voix toute entière, vous n'en aurez jamais assez pour suffire à tous les remercîments que vous aurez à faire. Je me suis laissé débaucher suivre le roi à Maintenon: c'est un voyage de quatre

par

M. Félix pour

pour

jours. M. de Termes nous mène dans son carrosse ; et j'ai aussi débauché M. Hessein faire le quatrième il se plaint toujours beaucoup de ses vapeurs, et je vois bien qu'il espère se soulager par quelque dispute de longue haleine; mais je ne suis guère en état de lui donner contentement, me trouvant assez incommodé de ma gorge dès que j'ai parlé un peu de suite. Ce qui m'embarrasse, c'est que M. Fagon et plusieurs autres médecins trèshabiles m'avaient ordonné de boire beaucoup d'eau de Sainte-Reine, et des tisanes de chicorée ; et j'ai trouvé chez M. Nicole un médecin qui me paraît fort sensé, qui m'a dit qu'il connaissait mon mal à fond; qu'il en avait déja guéri plusieurs, et que je ne guérirais jamais tant que je boirais ni eau ni le seul moyen de sortir d'affaire était de ne boire que pour la seule nécessité, et tout au plus pour détremper les aliments dans l'estomac. Il a appuyé cela de quelques raisonnements qui m'ont paru assez solides; ce qui est arrivé de là, c'est que je n'exécute ni son ordonnance ni celle de M. Fagon: je ne me noie plus d'eau comme je faisais, je bois à ma soif, et vous jugez bien que par le temps qu'il fait on a toujours soif; c'est-à-dire franchement que je me suis remis dans mon train de vie ordinaire, et je m'en trouve assez bien. Le même médecin m'a assuré que si les eaux de Bourbon ne vous guérissaient pas, il vous guérirait infailliblement. Il m'a cité l'exemple d'un chantre de Notre-Dame, à qui

tisane; que

un rhume avait fait perdre entièrement la voix depuis six mois, et il était près de se retirer. Ce médecin l'entreprit, et, avec une tisane d'une herbe qu'on appelle, je crois, erysimum, le tira d'affaire, en telle sorte que non-seulement il parle, mais il chante, et a la voix aussi forte qu'il l'ait jamais eue. J'ai conté la chose aux médecins de la cour : ils avouent que cette plante d'erysimum est très-bonne pour la poitrine; mais ils disent qu'ils ne croyaient pas qu'elle eût la vertu que dit mon médecin. C'est le même qui a deviné le mal de M. Nicole : il s'appelle M. Morin, et il est à mademoiselle de Guise. M. Fagon en fait un fort grand cas. J'espère que vous n'aurez pas besoin de lui, mais toujours cela est bon à savoir; et si le malheur voulait que vos eaux ne fissent pas tout l'effet que vous souhaitez, voilà encore une assez bonne consolation que je vous donne. Je ne vous manderai pour cette fois d'autres nouvelles que celles qui regardent votre santé et la mienne.

DE BOILEAU.

A Bourbon, le 29 juillet.

Si la perte de ma voix ne m'avait fort guéri de la vanité, j'aurais été très-sensible à tout ce que vous m'avez mandé de l'honneur que m'a fait le plus grand prince de la terre, en vous demandant des

nouvelles de ma santé. Mais l'impuissance où ma maladie me met de répondre par mon travail à toutes les bontés qu'il me témoigne, me fait un sujet de chagrin de ce qui devrait faire toute ma joie. Les eaux jusqu'ici m'ont fait un fort grand bien, suivant toutes les règles, puisque je les rends de reste, et qu'elles m'ont pour ainsi dire tout fait sortir du corps, excepté la maladie pour laquelle je les prends. M. Bourdier, mon médecin, soutient pourtant que j'ai la voix plus forte que quand je suis arrivé; et M. Baudierre, mon apothicaire, qui est encore meilleur juge que lui puisqu'il est sourd, prétend aussi la même chose; mais pour moi je suis persuadé qu'ils me flattent, ou plutôt qu'ils se flattent eux-mêmes. Quoi qu'il en soit j'irai jusqu'au bout, et je ne donnerai point occasion à M. Fagon et à M. Félix de dire que je me suis impatienté. Au pis-aller nous essaierons cet hiver l'erysimum : mon médecin et mon apothicaire, à qui j'ai montré l'endroit de votre lettre où vous parlez de cette plante, ont témoigné tous deux en faire grand cas; mais M. Bourdier prétend qu'elle ne peut rendre la voix qu'à des gens qui ont le gosier attaqué, et non pas à un homme comme moi, qui a tous les muscles embarrassés. Peut-être que si j'avais le gosier malade prétendrait-il que l'erysimum ne saurait guérir que ceux qui ont la poitrine attaquée. Le bon de l'affaire est qu'il persiste toujours dans la pensée que les eaux de Bourbon me rendront bientôt la

voix ; si cela arrive, ce sera à moi, mon cher monsieur, à vous consoler, puisque, de la manière dont vous me parlez de votre mal de gorge, je doute qu'il puisse être guéri sitôt, surtout si yous vous engagez en de longs voyages avec M. Hessein. Mais, laissezmoi faire, si la voix me revient, j'espère de vous soulager dans les disputes que vous aurez avec lui, sauf à la perdre encore une seconde fois pour vous rendre cet office. Je vous prie pourtant de lui faire bien des amitiés de ma part, et de lui faire entendre que ses contradictions me seront toujours beaucoup plus agréables que les complaisances et les applaudissements fades des amateurs du bel-esprit. Il s'est trouvé ici parmi les capucins un de ces amateurs, qui a fait des vers à ma louange. J'admire ce que c'est que des hommes. Vanitas et omnia vanitas. Cette sentence ne m'a jamais paru si vraie qu'en fréquentant ces bons et crasseux pères. Je suis bien fâché que vous ne soyiez point encore établi à Auteuil, où, Ipsi te fontes, ipsa hæc arbusta vocabant, c'est-à-dire, où mes deux puits et mes abricotiers vous appellent.

Vous faites très-bien d'aller à Maintenon avec une compagnie aussi agréable que celle dont vous me parlez, puisque vous y trouverez votre utilité et votre plaisir. Omne tulit punctum, etc.

Je n'ai pu deviner la critique que vous peut faire M. l'abbé Tallemant sur l'épitaphe. N'est-ce point qu'il prétend que ces termes, il fut nommé, sem

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