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des auberges et des coquetiers; si les comédiens y viennent, que son église sera déserte. Les grands augustins ont aussi été au roi, et le père Lembrochons, provincial, a porté la parole; mais on prétend les comédiens ont dit à sa majesté, que que ces mêmes augustins qui ne veulent point les avoir pour voisins, sont fort assidus spectateurs de la comédie, et qu'il ont même voulu vendre à la troupe des maisons qui leur appartiennent dans la rue d'Anjou, pour y bâtir un théâtre, et que le marché serait déja conclu si le lieu eût été plus commode. M. de Louvois a ordonné à M. de la Chapelle de lui envoyer le plan du lieu où ils veulent bâtir dans la rue de Savoie. Ainsi on attend ce que M. de Louvois décidera. Cependant l'alarme est grande dans le quartier; tous les bourgeois, qui sont gens de palais, trouvant fort étrange qu'on vienne leur embarrasser leurs rues. M. Billard surtout, qui se trouvera vis-à-vis de la porte du parterre, crie fort haut; et quand on lui a voulu dire qu'il en aurait plus de commodité pour s'aller divertir quelquefois, il a répondu fort tragiquement, Je ne veux point me divertir. Adieu, monsieur, je fais moimême ce que je puis pour vous divertir, quoique j'aie le cœur fort triste depuis la lettre que vous avez écrite à madame votre sœur. Si vous croyez que je puisse vous être bon à quelque chose à Bourbon, n'en faites point de façon, mandez-le moi, je volerai pour vous aller voir.

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MON médecin a jugé à propos de me laisser reposer deux jours; et j'ai pris ce temps pour venir voir Moulins, où j'arrivai hier au matin, et d'où je m'en dois retourner aujourd'hui au soir. C'est une ville très-marchande et très-peuplée, et qui n'est pas indigne d'avoir un trésorier de France comme vous. Un M. de Chamblain, ami de M. l'abbé de Sales, qui y est venu avec moi, m'y donna hier à souper fort magnifiquement. Il se dit grand ami de M. de Poignant, et connaît fort votre nom, aussi bien que tout le monde de cette ville, qui s'honore fort d'avoir un magistrat de votre force, et qui lui est si peu à charge'. Je vous ai envoyé par le dernier ordinaire une très-longue déduction de ma maladie, que M. Bourdier mon médecin a écrite à M. Fagon; ainsi vous en devez être instruit à l'heure qu'il est parfaitement. Je vous dirai pourtant que dans cette relation il ne parle point de la lassitude de jambes et du peu d'appétit, si bien que tout le profit que j'ai fait jusqu'ici à boire des eaux, selon lui, consiste en un éclaircissement de teint, , que hâle du voyage m'avait jauni plutôt que la maladie : car vous savez bien qu'en partant de Paris je n'a1 Parce qu'il n'y allait jamais.

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vais pas le visage trop mauvais, et je ne vois pas qu'à Moulins, où je suis, on me félicite fort présentement de mon embonpoint. Si j'ai écrit une lettre si triste à ma sœur, cela ne vient point de ce que je me sente beaucoup plus mal qu'à Paris, puisqu'à vous dire le vrai, tout le bien et tout le mal mis ensemble, je suis environ au même état que quand je partis; mais dans le chagrin de ne point guérir, on a quelquefois des moments où la mélancolie redouble, et je lui ai écrit dans un de ces moments. Peut-être dans une autre lettre verra-t-elle que je ris. Le chagrin est comme une fièvre, qui a ses redoublements et ses suspensions.

La mort de M. de Saint-Laurent est tout-à-fait édifiante : il me paraît qu'il a fini avec toute l'audace d'un philosophe, et toute l'humilité d'un chrétien. Je suis persuadé qu'il y a des saints canonisés, qui n'étaient pas plus saints que lui on le verra un jour, selon toutes les apparences, dans les litanies. Mon embarras est seulement comment on l'appellera, et si on lui dira simplement Saint-Laurent, ou saint Saint-Laurent. Je n'admire pas seulement M. de Chartres, mais je l'aime, j'en suis fou. Je ne sais pas ce qu'il sera dans la suite; mais je sais bien que l'enfance d'Alexandre ni de Constantin n'ont jamais promis de si grandes choses que la sienne, et on pourrait beaucoup plus justement faire de lui les prophéties que Virgile, à mon avis, a faites assez à la légère du fils de Pollion.

Dans le temps que je vous écris ceci, M. Amiot vient d'entrer dans ma chambre : il a précipité, dit-il, son retour à Bourbon pour me venir rendre service. Il m'a dit qu'il avait vu, avant que de partir, M. Fagon, et qu'ils persistaient l'un et l'autre dans la pensée du demi - bain, quoi qu'en puissent dire MM. Bourdier et Baudière : c'est une affaire qui se décidera demain à Bourbon. A vous dire le vrai, mon cher monsieur, c'est quelque chose d'assez fàcheux que de se voir ainsi le jouet d'une science très-conjecturale, et où l'un dit blanc, et l'autre noir: car les deux derniers ne soutiennent pas seulement que le bain n'est pas bon à mon mal; mais ils prétendent qu'il y va de la vie, et citent sur cela des exemples funestes. Mais enfin me voilà livré à la médecine, et il n'est plus temps de reculer. Ainsi ce que je demande à Dieu, ce n'est pas qu'il me rende la voix, mais qu'il me donne la vertu et la piété de M. de Saint-Laurent, ou de M. Nicole, ou même la vôtre, puisqu'avec cela on se moque des périls. S'il y a quelque malheur dont on se puisse réjouir, c'est à mon avis, de celui des comédiens : si on continue à les traiter comme on fait, il faudra qu'ils s'aillent établir entre la Villette et la porte Saint-Martin: encore ne sais-je s'ils n'auront point sur les bras le curé de Saint-Laurent. Je vous ai une obligation infinie du soin que vous prenez d'entretenir un misérable comme moi. L'offre que vous me faites de venir à Bourbon est tout-à-fait héroï

que et obligeante; mais il n'est pas nécessaire que vous veniez vous enterrer inutilement dans le plus vilain lieu du monde ; et le chagrin que vous auriez infailliblement de vous y voir, ne ferait qu'augmenter celui que j'ai d'y être. Vous m'êtes plus nécessaire à Paris qu'ici, et j'aime encore mieux ne vous point voir, que de vous voir triste et affligé. Adieu, mon cher monsieur. Mes recommandations à M. Félix, à M. de Termes, et à tous nos autres amis.

A BOILEAU.

Paris, le 13 août.

Je ne vous écrirai aujourd'hui que deux mots : car, outre qu'il est extrêmement tard, je reviens chez moi pénétré de frayeur et de déplaisir. Je sors de chez le pauvre M. Hessein, que j'ai laissé à l'extrémité. Je doute qu'à moins d'un miracle je le retrouve demain en vie. Je vous conterai sa maladie une autre fois, et je ne vous parlerai maintenant que de ce qui vous regarde. Vous êtes un peu cruel à mon égard, de me laisser si longtemps dans l'horrible inquiétude où vous avez bien dû juger que votre lettre à madame votre sœur me pouvait jeter. J'ai vu M. Fagon, qui, sur le récit que je lui ai fait de ce qui est dans cette lettre, a jugé qu'il fallait quitter sur le champ vos eaux. Il dit que leur effet naturel est d'ouvrir l'appétit, bien loin de l'ôter, Il

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