Page images
PDF
EPUB

que

violés. On donna pour commissaires à M. Arnauld ses ennemis déclarés, et l'on n'eut égard ni à ses récusations ni à ses défenses. On lui refusa même de venir en personne dire ses raisons. Quoique par les statuts les moines ne dussent pas se trouver dans les assemblées au nombre de plus de huit, il s'y en trouva toujours plus de quarante. Et pour empêcher ceux du parti de M. Arnauld de dire tout ce qu'ils avaient préparé pour sa défense, le temps que chadocteur devait dire son avis fut limité à une demi-heure. On mit pour cela sur la table une clepsydre, c'est-à-dire, une horloge de sable, qui était la mesure de ce temps: invention non moins odieuse en de pareilles occasions, que honteuse dans son origine, et qui, au rapport du cardinal Palavicin, ayant été proposée au concile de Trente par quelques gens, fut rejetée avec détestation par tout le concile. Enfin, dans le dessein d'ôter entièrement la liberté des suffrages, le chancelier Séguier, malgré son grand âge et ses incommodités, eut ordre d'assister à toutes ces assemblées. Près de quatrevingts des plus célèbres docteurs, voyant une procédure si irrégulière, résolurent de s'absenter, et aimèrent mieux sortir de la faculté que de souscrire à la censure. M. de Launoy même, si fameux par sa grande érudition, quoiqu'il fit profession publique d'être, sur la grace, d'autre sentiment que saint Augustin, sortit aussi comme les autres, et écrivit contre la censure une lettre où il se plaignait

avec beaucoup de force du renversement de tous les priviléges de la faculté.

Le jour que cette censure fut signée (en février 1656) parut aux jésuites un grand jour pour leur compagnie. Non-seulement ils s'imaginaient triompher par-là de M. Arnauld et de tous les docteurs attachés à la grace efficace; mais ils croyaient triompher de la sorbonne même, et s'être vengés de toutes les censures dont elle avait flétri les Garasse, les Santarel, les Bauni et plusieurs autres de leurs pères, puisqu'ils l'avaient obligée de censurer, en censurant M. Arnauld, deux pères de l'église, dont sa seconde proposition était tirée, et de se faire à ellemême une plaie incurable par la nécessité où ils la mirent de retrancher de son corps ses plus illustres membres. D'ailleurs, ils donnaient aussi par-là une grande idée de leur pouvoir et du crédit qu'ils avaient à la cour. Ils confirmaient le roi et la reinemère dans toutes les préventions qu'ils leur avaient inspirées contre leurs adversaires.

Mais ils songèrent à tirer des fruits plus solides de leur victoire. Ils obtinrent un ordre pour casser ces petits établissements que j'ai dit qu'on avait faits pour l'instruction de la jeunesse, et qu'ils appelaient des écoles de jansénisme. Le lieutenant-civil alla à Port-Royal des Champs pour en faire sortir les écoliers et les précepteurs, avec tous les solitaires qui s'y étaient retirés. M. Arnauld fut obligé de se cacher, et il y avait même déja un ordre signé pour

ôter aux religieuses des deux maisons leurs novices. et leurs pensionnaires. En un mot, Port-Royal était dans la consternation, et les jésuites au comble de leur joie, lorsque le miracle de la sainte épine arriva.

[ocr errors]

On a donné au public plusieurs relations de ce miracle: entre autres feu M. l'évêque de Tournay, non moins illustre par sa piété et par sa doctrine, que par sa naissance, l'a raconté fort au long dans un livre qu'il a composé contre les athées, et s'en est servi comme d'une preuve éclatante de la vérité de la religion. Mais on pourrait s'en servir aussi comme d'une preuve étonnante de l'indifférence de la plupart des hommes de ce siècle sur la religion, puisqu'une merveille si extraordinaire, et qui fit alors tant d'éclat, est presque entièrement effacée de leur souvenir : c'est ce qui m'oblige à en rapporter ici jusqu'aux plus petites circonstances; d'autant plus qu'elles contribueront à faire mieux connaître tout ensemble, et la grandeur du miracle, et l'esprit et la sainteté du monastère où il est arrivé.

[ocr errors]

1 Ce livre de M. Choiseul a pour titre : Mémoires sur la Religion, imprimés chez Billaine en 1680. « L'innocence de l'enfant, ‹la sincérité, la suffisance et le nombre des témoins, dit cet il« lustre prélat, pag. 83, m'assurent tellement de la vérité de ce miracle, que non-seulement ce serait en moi une opiniâtreté, «mais une extravagance et une espèce de folie d'en douter.... J'en<< tendis dire à Dalencé, pag. 82, en présence d'un grand prince, *que cette guérison si prompte ne lui paraissait pas un moindre « miracle que la résurrection d'un mort, parce que les remèdes « les plus efficaces du monde n'auraient pu rien opérer en si peu «de temps, etc. »

Il y avait à Port-Royal de Paris une jeune pensionnaire de dix à onze ans, nommée mademoiselle Perrier, fille de M. Perrier, conseiller à la cour des aides de Clermont, et nièce de M. Pascal. Elle était affligée, depuis trois ans et demi, d'une fistule lacrymale au coin de l'œil gauche. Cette fistule, qui était fort grosse au dehors, avait fait un fort grand ravage en dedans. Elle avait entièrement carié l'os du nez et percé le palais; en telle sorte que la matière qui en sortait à tout moment lui coulait le long des joues et par les narines, et lui tombait même dans la gorge. Son œil s'était considérablement арpetissé ; et toutes les parties voisines étaient tellement abreuvées et altérées par la fluxion, qu'on ne pouvait lui toucher ce côté de la tête sans lui faire beaucoup de douleur. On ne pouvait la regarder sans une espèce d'horreur ; et la matière qui sortait de cet ulcère était d'une puanteur si insupportable, que, de l'avis même des chirurgiens, on avait été obligé de la séparer des autres pensionnaires, et de la mettre dans une chambre avec une de ses compagnes beaucoup plus âgée qu'elle, en qui'on trouva assez de charité pour vouloir bien lui tenir compagnie. On l'avait fait voir à tout ce qu'il y avait d'oculistes, de chirurgiens, et même d'opérateurs plus fameux. Mais les remèdes ne faisant qu'irriter le mal, comme on craignait que l'ulcère ne s'étendît enfin sur tout le visage, trois des plus habiles chirurgiens de Paris, Cressé, Guillard et Dalencé,

furent d'avis d'y appliquer au plus tôt le feu. Leur avis fut envoyé à M. Perrier, qui se mit aussitôt en chemin pour être présent à l'opération, et on attendait de jour à autre qu'il arrivât.

Cela se passa dans le temps que l'orage dont j'ai parlé était tout prêt d'éclater contre le monastère de Port-Royal. Les religieuses y étaient dans de continuelles prières; et l'abbesse d'alors, qui était cette même Marie des Anges qui l'avait été de Maubuisson, l'abbesse, dis-je, était dans une espèce de retraite où elle ne faisait autre chose jour et nuit que -lever les mains au ciel, ne lui restant plus aucune espérance de secours de la part des hommes. mo

Dans ce même temps il y avait à Paris un ecclésiastique de condition et de piété, nommé M. de la Potterie, qui, entre plusieurs saintes reliques qu'il avait recueillies avec grand soin, prétendait avoir une des épines de la couronne de Notre-Seigneur. Plusieurs couvents avaient eu une sainte curiosité de voir cette relique. Il l'avait prêtée entre autres aux carmélites du faubourg Saint-Jacques, qui l'avaient portée en procession dans leur maison. Les religieuses de Port-Royal, touchées de la même dévotion, avaient aussi demandé à la voir, et elle leur fut portée le vingt-quatrième de mars 1656, qui se trouvait alors le vendredi de la troisième semaine de carême, jour auquel l'église chante à l'introït de la messe ces paroles tirées du pseaume LXXXV: Fac mecum signum in bonum, etc. « Seigneur, faites

« PreviousContinue »