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d'efforts qu'ils ne fissent pour détruire dans le public la créance de ce miracle. Tantôt ils accusaient les religieuses de fourberie, prétendant qu'au lieu de la petite Perrier elles montraient une sœur qu'elle avait, et qui était aussi pensionnaire dans cette maison. Tantôt ils assuraient que ce n'avait été qu'une guérison imparfaite, et que le mal était revenu plus violent que jamais ; tantôt que la fluxion était tombée sur les parties nobles, et que la petite fille en était à l'extrémité. Je ne sais point positivement si M. Félix eut ordre de la cour de s'informer de ce qui en était; mais il paraît, par une seconde attestation signée de sa main, qu'il retourna encore à Port-Royal, et qu'il certifia de nouveau, et la vérité du miracle, et la parfaite santé où il avait trouvé

cette demoiselle.

Enfin il parut un écrit, et personne ne douta que ce ne fût du père Annat, avec ce titre ridicule : Le Rabat-Joie des Jansenistes, ou Observations sur le miracle qu'on dit être arrivé à Port-Royal,composé par un docteur de l'Eglise catholique. L'auteur faisait judicieusement d'avertir qu'il était catholique, n'y ayant personne qui, à la seule inspection de ce titre, et plus encore à la lecture du livre, ne l'eût pris pour un protestant très-envenimé contre l'Eglise. Il avait assez de peine à convenir de la vérité du miracle; mais enfin, voulant bien le supposer vrai, il en tirait la conséquence du monde la plus étrange, savoir; que Dieu voyant les religieuses infectées de

l'hérésie des cinq propositions, il avait opéré ce miracle dans leur maison, pour leur prouver que JésusChrist était mort pour tous les hommes. Il faisait làdessus un grand nombre de raisonnements tous plus extravagants les uns que les autres, par où il ôtait à la véritable religion l'une de ses plus grandes preuves, qui est celle des miracles. Pour conclusion il exhortait les fidèles à se bien donner de garde d'aller invoquer Dieu dans l'église de Port-Royal, de peur qu'en y cherchant la santé du corps, ils n'y trou◄ vassent la perte de leurs ames.

Mais il ne parut pas que ces exhortations eussent fait une grande impression sur le public. La foule croissait de jour en jour à Port-Royal, et Dieu même semblait prendre plaisir à autoriser la dévotion des peuples par la quantité de nouveaux miracles qui se firent en cette église. Non-seulement tout Paris avait recours à la sainte épine et aux prières des religieuses, mais de tous les endroits du royaume on leur demandait des linges qui eussent touché à cette relique; et ces linges, à ce qu'on raconte, opéraient plusieurs guérisons miraculeuses.

Vraisemblablement la piété de la reine-mère fut touchée de la protection visible de Dieu sur ces religieuses. Cette sage princesse commença à juger plus favorablement de leur innocence. On ne parla plus de leur ôter leurs novices ni leurs pensionnaires, et on leur laissa la liberté d'en recevoir tout autant qu'elles voudraient. M. Arnauld même re

commença à se montrer, ou pour mieux dire, s'alla replonger dans son désert avec M. d'Andilly son frère, ses deux neveux, et M. Nicole qui depuis deux ans ne le quittait plus, et qui était devenu le compagnon inséparable de ses travaux. Les autres solitaires y revinrent aussi peu à peu, et y recommencèrent leurs mêmes exercices de pénitence.

On songeait alors si peu à inquiéter les religieuses de Port-Royal, que le cardinal de Retz leur ayant accordé un autre supérieur en la place de M. du Saussay, qu'il avait destitué de tout emploi dans le diocèse de Paris, on ne leur fit aucune peine làdessus, quoique M. Singlin, qui était ce nouveau supérieur, ne fût pas fort au goût de la cour, ой les jésuites avaient pris un très-grand soin de le décrier. Il y avait déja plusieurs années qu'il était confesseur de la maison de Paris, et ses sermons y attiraient quantité de monde, bien moins par la politesse de langage que par les grandes et solides vérités qu'il prêchait. On les a depuis donnés au public sous le nom d'Instructions chrétiennes, et ce n'est pas un des livres les moins édifiants qui soient sortis de Port-Royal. Mais le talent où il excellait le plus c'était dans la conduite des ames. Son bon sens, joint à une piété et à une charité extraordinaires, imprimaient un tel respect, que, bien qu'il n'eût pas la même étendue de génie et de science. que M. Arnauld, non-seulement les religieuses, mais M. Arnauld lui-même, M. Pascal, M. le

Maître et tous ces autres beaux esprits si sublimes, avaient pour lui une docilité d'enfant, et se conduisaient en toutes choses par ses avis.

Dieu s'était servi de lui pour convertir et attirer à la piété plusieurs personnes de la première qualité; et, comme il les conduisait par des voies très-opposées à celles du siècle, il ne tarda guère à être accusé de maximes outrées sur la pénitence. M. de Gondi, qui s'était d'abord laissé surprendre à ses ennemis, lui avait interdit la chaire; mais, ayant bientôt reconnu son innocence, il le rétablit trois mois après, et vint lui-même grossir la foule de ses auditeurs. Il vécut toujours dans une pauvreté évangélique, jusques-là qu'après sa mort on ne lui trouva pas de quoi faire les frais pour l'enterrer, et qu'il fallut que les religieuses assistassent de leurs charités quelques-uns de ses plus proches parents qui étaient aussi pauvres que lui. Les jésuites néanmoins passèrent jusqu'à cet excès de fureur, que de lui reprocher dans plusieurs libelles de s'être enrichi aux dépens de ses pénitents, et de s'être approprié plus de huit cent mille francs sur les grandes restitutions qu'il avait fait faire à quelques-uns d'entre eux; et il n'y a pas eu plus de réparation des outrages faits au confesseur, que des faussetés avancées contre les religieuses. Le cardinal de Retz ne pouvait donc faire à ces filles un meilleur présent que de leur donner un supérieur de ce mérite, ni mieux marquer qu'il avait hérité de toute la bonne volonté de son prédécesseur.

Comme c'est cette bonne volonté dont on a fait le plus grand crime aux prétendus jansénistes, il est bon de dire ici jusqu'à quel point a été leur liaison avec ce cardinal. On ne prétend point le justifier de tous les défauts qu'une violente ambition entraîne d'ordinaire avec elle; mais tout le monde convient qu'il avait de très - excellentes qualités, entre autres une considération singulière pour les gens de mérite, et un fort grand desir de les avoir pour amis. Il regardait M. Arnauld comme un des premiers théologiens de son siècle, étant lui-même un théologien fort habile, et il lui a conservé jusqu'à la mort cette estime qu'il avait conçue pour lui dès qu'ils étaient ensemble sur les bancs : jusqueslà qu'après son retour en France il a mieux aimé se laisser rayer du nombre des docteurs de la faculté, que de souscrire à la censure dont nous venons de parler, et qui lui parut toujours l'ouvrage d'une cabale.

La vérité est pourtant que, tandis qu'il fut coadjuteur, c'est-à-dire, dans le temps qu'il était à la tête de la Fronde, MM. de Port-Royal eurent trèspeu de commerce avec lui, et qu'il ne s'amusait guère alors à leur communiquer ni les secrets de sa conscience ni les ressorts de sa politique. Et comment les leur aurait-il pu communiquer? Il n'ignorait pas, et personne dès-lors ne l'ignorait, que c'était la doctrine de Port-Royal, qu'un sujet, pour quelque occasion que ce soit, ne peut se ré

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