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volter en conscience contre son légitime prince; que quand même il en serait injustement opprimé, il doit souffrir l'oppression, et n'en demander justice qu'à Dieu, qui seul a droit de faire rendre compte aux rois de leurs actions : c'est ce qui a toujours été enseigné à Port-Royal, et c'est ce que M. Arnauld a fortement maintenu dans ses livres, et particulièrement dans son Apologie pour les Catholiques, où il a traité la question à fond. Mais non-seulement MM. de Port-Royal ont soutenu cette doctrine, ils l'ont pratiquée à la rigueur : c'est une chose connue d'une infinité de gens, que pendant les guerres de Paris, lorsque les plus fameux directeurs de conscience donnaient indifféremment l'absolution à tous les gens engagés dans les deux partis, les ecclésiastiques de Port-Royal tinrent toujours ferme à la refuser à ceux qui étaient dans le parti contraire à celui du roi. On sait les rudes pénitences qu'ils ont imposées au prince de Conti et à la duchesse de Longueville, pour avoir eu part aux troubles dont nous parlons, et les sommes immenses qu'il en a coûté à ce prince pour réparer, autant qu'il était possible, les désordres dont il avait pu être cause pendant ces malheureux temps. Les jésuites ont eu peut-être plus d'une occasion de procurer à l'Eglise de pareils exemples; mais, ou ils n'étaient pas persuadés des mêmes maximes qu'on suivait là-dessus à Port-Royal, ou ils n'ont pas eu la même vigueur pour les faire pratiquer.

Quelle apparence donc que le cardinal de Retz ait pu faire entrer dans une faction contre le roi des gens remplis de ces maximes, et prévenus de ce grand principe de saint Paul et de saint Augustin, qu'il n'est pas permis de faire même un petit mal. afin qu'il en arrive un grand bien? On veut pourtant bien avouer que, lorsqu'il fut archevêque après la mort de son oncle, les religieuses de Port-Royal le reconnurent pour leur légitime pasteur, et firent des prières pour sa délivrance. Elles s'adressèrent aussi à lui pour les affaires spirituelles de leur monastère, du moment qu'elles surent qu'il était en liberté. On ne nie pas même qu'ayant su l'extrême nécessité où il était après qu'il eut disparu de Rome, elles et leurs amis ne lui aient prêté quelque argent pour subsister, ne s'imaginant pas qu'il fût défendu ni à des ecclésiastiques ni à des religieuses d'empêcher leur archevêque de mourir de faim. C'est de là aussi que leurs ennemis prirent occasion de les noircir dans l'esprit du cardinal Mazarin, en persuadant à ce ministre qu'il n'avait point de plus grands ennemis que les jansénistes; que le cardinal de Retz n'était parti de Rome que pour se venir jeter entre leurs bras ; qu'il était même caché à Port-Royal; que c'était là que se faisaient tous les manifestes qu'on publiait pour sa défense; qu'ils lui avaient déja fait trouver tout l'argent nécessaire pour une guerre civile, et qu'il ne désespérait pas, par leur moyen, de se rétablir à force ouverte dans son siége. On a

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bien vu dans la suite l'impertinence de ces calomnies. Mais, pour en faire mieux voir le ridicule, il est bon d'expliquer ici ce que c'était que M. Arnauld, qu'on faisait l'auteur et le chef de toute la cabale.

pour

Tout le monde sait que c'était un génie admirable les lettres, et sans bornes dans l'étendue de ses connaissances: mais tout le monde ne sait pas, ce qui est pourtant très-véritable, que cet homme si merveilleux était aussi l'homme le plus simple, le plus incapable de finesse et de dissimulation, et le moins propre en un mot à former ni à conduire un parti; qu'il n'avait en vue que la vérité, et qu'il ne gardait sur cela aucunes mesures, prêt à contredire ses amis lorsqu'ils avaient tort, et à défendre ses ennemis s'il lui paraissait qu'ils eussent raison; qu'au reste jamais théologien n'eut des opinions si saines

et si

pures sur la soumission qu'on doit au roi et aux puissances; que non-seulement il était persuadé, comme nous l'avons déja dit, qu'un sujet, pour quelque occasion que ce soit, ne peut point s'élever contre son prince, mais qu'il ne croyait pas même que dans la persécution il pût murmurer.

Toute la conduite de sa vie a bien fait voir qu'il était dans ces sentiments. En effet, pendant plus de quarante ans qu'on a abusé, pour le perdre, du nom et de l'autorité du roi, a-t-il manqué une occasion de faire éclater et son amour pour sa personne, et son admiration pour les grandes qualités qu'il re

pays

connaissait en lui? Obligé de se retirer dans les étrangers pour se soustraire à la haine implacable de ses ennemis, à peine y fut-il arrivé, qu'il publia son Apologie pour les Catholiques; et l'on sait qu'une partie de ce livre est employée à justifier la conduite du roi à l'égard des huguenots, et à justifier les jésuites mêmes. M. le marquis de Grana, ayant su qu'il était caché dans Bruxelles, le fit assurer de sa protection; mais il témoigna en même temps un fort grand desir de voir ce docteur dont la réputation avait rempli toute l'Europe. M. Arnauld ne refusa point sa protection; mais il le fit prier de le laisser dans son obscurité, et de ne point l'obliger à voir un gouverneur des Pays-Bas espagnols, pendant que l'Espagne était en guerre avec la France; et M. de Grana fut assez galant homme pour approuver la délicatesse de son scrupule.

Lorsque le prince d'Orange se fut rendu maître de l'Angleterre, les jésuites, qu'on regardait partout comme les principales causes des malheurs du roi Jacques, ne furent pas, à ce qu'on prétend, les derniers à vouloir se rendre favorable le nouveau roi. Mais M. Arnauld, qui avait tant d'intérêt à ne pas s'attirer son indignation, ne put retenir son zèle, Il prit la plume, et écrivit avec tant de force pour défendre les droits du roi Jacques, et pour exhorter tous les princes catholiques à imiter la générosité avec laquelle le roi l'avait recueilli en France, que le prince d'Orange exigea de tous ses alliés, et

surtout des Espagnols, de chasser ce docteur de toutes les terres de leur domination. Ce fut alors qu'il se trouva dans la plus grande extrémité où il se fût trouvé de sa vie, la France lui étant fermée par les jésuites, et tous les autres pays par les ennemis de la France.

On a su de quelques amis qui ne le quittèrent point dans cette extrémité, qu'un de leurs plus grands embarras était d'empêcher que, dans tous les lieux où il cherchait à se cacher, son trop grand zèle pour le roi ne le fît découvrir. Il était si persuadé que ce prince ne pouvait manquer dans la conduite de ses entreprises, que sur cela il entreprenait tout le monde; jusques-là que, sur la fin de ses jours, étant sujet à tomber dans un assoupissement que l'on croyait dangereux pour sa vie, ces mêmes amis ne savaient point de meilleur moyen pour l'en tirer, que de lui crier, ou que les Français avaient été battus, ou que le roi avait levé le siége de quelque place; et il reprenait toute sa vivacité naturelle pour disputer contre eux, et leur soutenir que la nouvelle ne pouvait pas être vraie. Il n'y a qu'à lire son testament, où il déclare à Dieu le fond de son cœur : on y verra avec quelle tendresse, bien loin d'imputer au roi toutes les traverses que lui ou ses amis ont essuyées, il plaide pour ainsi dire devant Dieu la cause de ce prince, et justifie la pureté de

ses intentions.

Oserai-je parler ici des épreuves extraordinaires

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