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la vertu de Bossuet. A peine ce jeune élève fut-il placé sous sa direction et confié à sa surveillance, qu'il entrevit la gloire à laquelle il étoit réservé. Il voulut diriger lui-même sa conduite et ses études; et, sous un tel maître, Bossuet fit des progrès si rapides, qu'il effaça bientôt tous ses jeunes rivaux.

Pendant son cours même de philosophie, Bossuet acquit une connoissance approfondie de la langue grecque; il y apporta autant de suite que d'ardeur; il lut tous les historiens grecs et latins, et il se familiarisa avec le style des poètes de Rome et d'Athènes : il s'étoit si bien approprié leurs expressions et leurs pensées, que, dans un âge très-avancé, il en récitoit souvent de longs fragments, quoiqu'il ne les eût pas relus depuis un grand nombre d'années. Mais ce n'étoit pas seulement les récits des historiens et l'harmonie des vers qui s'étoient imprimés dans sa mémoire. On voyoit que son âme et son imagination étoient remplies de l'esprit de l'antiquité, lorsqu'il retraçoit dans ses entretiens ses doux et heureux souvenirs de sa jeunesse. Tous ses contemporains se rappeloient le plaisir qu'ils trouvoient à l'entendre parler de la sublimité d'Homère et de la douceur de Virgile. Quel bonheur en effet d'avoir pu entendre Bossuet parler d'Homère! quels hommes que Bossuet et Homère, séparés par tant de siècles, et rapprochés par une si étonnante conformité de génie!

Mais toutes ces magnifiques créations des hommes disparoissoient à ses yeux et à sa pensée, lorsqu'il revenoit à l'étude des livres sacrés. Le grand-maître de Navarre ne cessoit de lui inculquer qu'il devoit en faire le fondement de toutes ses études, et Bossuet y étoit ramené par un sentiment plus impérieux encore que les avis de son instituteur.

Ce qui frappoit le plus ses condisciples étoit peut-être moins la supériorité de ses talents, que le spectacle singulier que leur offroit Bossuet, aussi ardent pour tous les divertissements permis à la jeunesse, que pro

fondément appliqué aux plus sérieuses études, lorsqu'il y étoit rappelé par son goût et par le devoir.

Le collége de Navarre étoit alors le plus florissant de l'université de Paris; la jeunesse la plus illustre de la cour et de la magistrature y étoit élevée. Bossuet eut l'avantage de compter, parmi ses compagnons d'études, des amis qui lui restèrent fidèlement attachés, et qui devinrent des témoins irrécusables de l'innocence et de la pureté de ses mœurs dès sa première jeunesse.

Il n'a laissé apercevoir dans aucun temps de sa vie du goût pour l'étude des mathématiques. Il est vrai que Bossuet, dont la passion dominante fut l'étude de la religion à laquelle il avoit consacré toutes les facultés de son âme, regardoit cette science comme vaine et inutile pour des ecclésiastiques, qui devoient s'attacher de préférence à acquérir des connoissances plus conformes aux obligations de leur ministère; mais il n'en estimoit pas moins tous ceux qui cultivoient les mathématiques, lorsque leur goût naturel les y portoit, lorsque leur profession leur prescrivoit le devoir de les étudier, et surtout lorsqu'elles avoient des résultats utiles pour l'intérêt général de la société. Il se plaisoit même, lorsque l'occasion s'en présentoit, à entendre les mathématiciens les plus célèbres de son temps développer les savantes théories qui les conduisoient à la solution des problèmes les plus difficiles. « Je ne suis >> pas de ceux qui font grand cas des connoissances hu>> maines (c'est Bossuet qui s'exprime ainsi *), et je » confesse néanmoins que je ne puis contempler sans >> admiration ces merveilleuses découvertes qu'a faites » la science pour pénétrer la nature, ni tant de belles » inventions que l'art a trouvées pour l'accorder à notre » usage. L'homme a presque changé la face du monde... >>> Il est monté jusqu'aux cieux; pour marcher plus sû>>rement, il a appris aux astres à le guider dans ses » voyages; pour mesurer plus également sa vie, il a

Sermon du vendredi de la Ive semaine de carême, tom. III. p. 392. (Edition Chalandre de 1846, graud in-8°. )

» obligé le soleil à rendre compte, pour ainsi dire, de >> tous ses pas... »

Quelle est la conséquence que Bossuet tire de ces grandes découvertes? La voici :

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<<< Pensez maintenant, mes Frères, comment auroit » pu prendre un tel ascendant une créature si foible. » si elle n'avoit en son esprit une force supérieure à >> toute la nature visible, un souffle immortel de l'es>> prit de Dieu, un rayon de sa force, un trait de sa >> ressemblance? Non, non il ne se peut autrement. » IX.- Bossuet soutient sa première thèse de philosophie. 1643. En 1645, à la fin de sa première année de philosophie, Bossuet fut chargé, au nom de la maison de Navarre, de soutenir une thèse dédiée à M. Cospéan, évêque de Lisieux.

Les talents de ce prélat pour la chaire l'avoient successivement porté à l'évêché d'Aire, à celui de Nantes, et enfin à celui de Lisieux.

Le cardinal de Richelieu, qui s'attacha pendant tout son ministère à donner à la France des évêques recommandables par la science et la piété, et à qui l'on ne peut pas contester la gloire d'avoir préparé ce beau siècle où l'Eglise gallicane jeta un si grand éclat, s'étoit plu à récompenser dans M. Cospéan les vertus d'un évêque et les talents d'un orateur qui commençoit à faire entendre les premiers accents de l'éloquence de la chaire. C'étoit Richelieu qui l'avoit placé sur le siége de Lisieux, et qui l'avoit, pour ainsi dire, fixé à la cour. Sa vertu le rassuroit contre le crédit qu'il pouvoit y obtenir. Louis XIII voulut mourir entre ses bras. Anne d'Autriche, devenue régente, l'avoit choisi pour son prédicateur ordinaire. Il dirigeoit les personnes les plus pieuses, et les plus distinguées de la cour, et il unissoit le goût et l'amour des lettres aux exercices du ministère ecclésiastique.

Dans son élévation, M. Cospéan n'oublia point qu'il en étoit redevable aux études qu'il avoit faites dans

l'université de Paris; il en étoit regardé comme le principal appui. L'université, jalouse de cultiver la bienveillance d'un prélat qui pouvoit lui ètre si utile, voulut soutenir l'opinion avantageuse qu'il avoit du zèle des maîtres et des progrès des disciples. Elle jeta les yeux, comme nous venons de le dire, sur le jeune Bossuet, qui achevoit alors la première année de son cours de philosophie, et qui n'avoit encore que seize ans. Bossuet justifia le choix de l'université : il montra des dispositions et des talents qui frappèrent M. Cospéan et tous les évêques qui assistoient à cet acte, où il paroissoit pour la première fois devant le public. Deux autres de ses condisciples soutinrent la même thèse les jours suivants, et méritèrent d'être distingués après Bossuet même. L'université en conçut un juste orgueil: elle étoit alors en procès avec les jésuites; et, fière du succès qui avoit couronné ses élèves, elle osa, par des écrits publics, défier les jésuites de montrer dans leurs disciples des talents aussi brillants que ceux qu'elle venoit de produire. Heureuse rivalité, dont la religion, l'Eglise et la république des lettres auroient recueilli les plus grands avantages, si elle se fut toujours renfermée dans les efforts d'une noble émulation, pour donner à la patrie des citoyens vertueux et éclairés, et à la religion des ministres dignes de la servir!

X.- Bossuet commence à se faire connoître à Paris et à la

cour.

La circonstance et la solennité de cet acte public, et le concours des prélats qui y avoient assisté, portèrent le nom de Bossuet à la cour. Ce nom n'y étoit pas inconnu. Il avoit un proche parent (François Bossuet, cousin-germain de son père*), secrétaire du conseil des finances, homme généralement estimé dans l'exercice des fonctions de sa place. Il étoit surtout accueilli chez madame du Plessis - Guénégaud, femme du secrétaire d'état, dont la maison étoit le rendez-vous de tout ce

*Il étoit fils d'André Bossuet, qui s'étoit établi à Auxonne en 1607.

que Paris et la cour offroient de plus distingué par le rang ou le mérite. La naissance de madame du PlessisGuénégaud*, la place de son mari, et ses liaisons avec le surintendant Fouquet, dont elle fut toujours l'amie la plus fidèle, et dont elle partagea dans la suite la disgrace, attiroient chez elle tout ce qui aspiroit à la fortune, à la faveur ou à la considération. C'étoit par elle que les gens de lettres arrivoient à la protection du surintendant, et elle fit un choix si heureux de ceux qu'elle jugeoit dignes de ses bienfaits, que ce ministre a dû, et doit encore une grande partie de l'intérêt que ses malheurs ont inspiré, aux écrits de Pélisson et à une élégie de La Fontaine.

Ce fut par François Bossuet, que son jeune parent fut présenté à madame du Plessis-Guénégaud, et introduit à l'hôtel de Nevers.

XI et XII. Du marquis de Feuquières. Bossuet prêche à l'âge de seize ans à l'hôtel de Rambouillet.

Bossuet trouva aussi un utile appui dans le marquis de Feuquières, alors gouverneur de Verdun, et mort depuis ambassadeur en Espagne. Son séjour et ses emplois militaires dans les Trois-Evêchés l'avoient mis à portée de connoître à Metz le père de Bossuet, et de prendre de la bienveillance pour son fils. Il devint même, sans l'avoir prévu, l'un des premiers auteurs de la réputation de Bossuet. Le marquis de Feuquières parloit souvent avec enthousiasme à madame et à mademoiselle de Rambouillet du talent extraordinaire et de la facilité prodigieuse de ce jeune ecclésiastique. II ne craignit même pas d'avancer que si on vouloit enfermer le jeune Bossuet seul et sans livres, dans une chambre, en lui laissant seulement quelques moments pour se recueillir, il se trouveroit prèt à prononcer un sermon sur tel sujet qu'on jugeroit à propos de lui donner. Le défi fut proposé sur-le-champ par madame et mademoiselle de Rambouillet, et accepté par

*Elle étoit fille du maréchal de Choiseul-du-Plessis-Praslin.

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