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On pouvoit tout au plus présumer que les partisans exagérés des prétentions ultramontaines n'étoient pas entièrement satisfaits de la sage réserve et de l'exactitude scrupuleuse avec laquelle Bossuet avoit exposé ce que la foi nous ordonne de croire sur la primauté et l'autorité du chef établi de Dieu pour conduire tout le troupeau dans ses voies.

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Mais il étoit digne de la haute sagesse et du profond jugement de Bossuet, « de mettre l'autorité du saint Siége dans les choses dont on est d'accord dans toutes >> les églises catholiques. La chaire de saint Pierre n'a » pas besoin de disputes. Ce que tous les catholiques y >> reconnoissent sans contestation, suffit à maintenir la >> puissance qui lui est donnée pour édifier, et non pour » détruire1. »

Il est certain que Bossuet désiroit vivement 2 « que » son ouvrage passât naturellement par toutes les approbations jusqu'à celle du Pape même, qui devoit » confirmer toutes les autres. >>

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S'il s'affligea du délai que mit le Pape à exprimer son sentiment personnel, il s'en affligea moins pour sa propre gloire que pour l'intérêt mème du saint Siége. Il croyoit avec raison l'avoir bien mieux servi en montrant le successeur de saint Pierre avec cette autorité douce et paternelle que Jésus-Christ lui a donnée sous l'emblème du pasteur, pour maintenir l'unité dans toutes les parties de l'Eglise catholique, que s'il l'eût environné d'un faux éclat et de prérogatives exorbitantes, qui n'auroient servi qu'à justifier les folles déclamations de ses ennemis, et peut-être même à alarmer les princes de la catholicité.

Mais une circonstance particulière amena cet heureux résultat, qui a imprimé à l'Exposition de Bossuet tous les caractères d'autorité, et l'a placé au rang de ces ouvrages consacrés par une approbation universelle, où l'on trouvera, dans tous les temps et dans tous les lieux, principes de la doctrine commune à tous les catholiques. 'Avertissement de l'édition de 1679, Tom. VII.— 2 Ibid.

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On demandoit de tous côtés à Bossuet une traduction latine de l'Exposition. Il étoit convenable en effet qu'un ouvrage de doctrine adopté par tant de nations qui parloient une langue différente, ne fût pas exposé à être altéré par des traductions inexactes, et reçût l'empreinte ineffaçable de cette langue universelle qui sert encore de lien à toutes les nations civilisées.

Ce fut le célèbre abbé Fleury que Bossuet chargea de traduire l'Exposition en latin. Il suivit lui-même cette traduction avec la sollicitude la plus scrupuleuse, et il s'attacha surtout à ce qu'elle rendit fidèlement et mot pour mot le texte original. Il mettoit le plus grand prix à ôter aux protestants tout prétexte de supposer des adoucissements ou des changements quelconques.

XV.-Innocent XI approuve le livre de l'Exposition.

Bossuet fit présenter au Pape un exemplaire de cette traduction latine par l'abbé de Saint-Luc, qui se trouvoit alors à Rome. Innocent XI chargea l'abbé de SaintLuc de faire connoître à l'auteur combien il en étoit satisfait. Bossuet se crut obligé d'adresser directement au Pape ses remercîments par une lettre du 22 novembre 1678, et il reçut en réponse un bref du 4 janvier 16791, qui renfermoit une approbation si expresse de son livre, » que personne ne pouvoit plus douter qu'il ne contînt la » pure doctrine de l'Eglise et du saint Siége.

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Le Pape disoit dans ce bref : « Votre livre de l'Expo>>sition de la foi catholique, qui nous a été présenté de» puis peu, contient une doctrine et est composé avec un » méthode et une sagesse qui le rendent propre à instruire » nettement et brièvement les lecteurs, et à tirer des plus » opiniâtres un aveu sincère des vérités de la foi.»

Dans un second bref du 12 juillet de la même année (1679), le Pape répondant à une lettre de Bossuet, du 7 juin précédent, dans laquelle il lui avoit exprimé tous ses sentiments d'attachement, de respect et de dévouement pour le saint Siége, lui montre toute 1 Avertissement de l'édition de 1679. Tom. VII.

sa satisfaction d'avoir reconnu dans sa lettre « l'ancien esprit et les sentiments des saints évêques de l'Eglise >> gallicane. >>

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Bossuet fit imprimer sous ses yeux, en 1679, une nouvelle édition de l'Exposition, et il plaça à la tête un Avertissement qui a toujours été regardé comme un chef-d'œuvre de raisonnement et de dialectique; on y trouve la réfutation des deux ouvrages de la Bastide et de Noguier, et toutes les approbations solennelles que l'ouvrage avoit reçues dans toutes les églises catholiques, approbations couronnées si glorieusement par celle du Pape lui-même dans son bref du 4 janvier 1679 *.

Jamais aucun ouvrage dogmatique n'avoit été inspiré par un sentiment plus noble que celui qui anima Bossuet lorsqu'il écrivit le livre de l'Exposition. Sa seule pensée, son seul désir avoit été de réunir toutes les communions et toutes les sectes que le schisme de Luther et de Calvin avoit séparées de l'Eglise romaine, et dont la plupart ne professoient mème plus la doctrine. qui avoit servi de prétexte à leur séparation. Jamais on n'avoit tracé, pour atteindre une fin si salutaire, une voie plus digne de la sainteté du christianisme, ni plus convenable à la raison humaine.

On ne peut calculer le nombre des protestants que ce seul livre ramena à la religion de leurs pères. Bossuet dut sans doute être flatté de tant d'approbations honorables que lui avoit accordées tout ce que l'Eglise comptoit alors de plus recommandable et de plus im

*

Après la révocation de l'édit de Nantes, on mit l'Exposition de Bossuet entre les mains de tous les nouveaux convertis. C'est ce qui détermina Bossuet à donner, en 1686, une sixième édition, dans laquelle il joignit aux approbations précédentes celle de l'assemblée de 1682, et le second bref d'Innocent XI, du 12 juillet 1679. C'est la dernière que Bossuet ait revue lui-même, et il la laissa dans l'état où depuis elle a toujours paru. Toutes les éditions imprimées dans la suite jusqu'à la douzième, que Bossuet vit encore paroître avant sa mort, ne furent que des réimpressions de la sixième édition. On ne comprend pas dans ces douze éditions celles de Lyon, de Toulouse, ni celles de tous les pays étrangers, qui parurent du vivant même de Bossuet.

posant. Mais ce qui dut le plus toucher le cœur d'un évêque tel que Bossuet, fut ce concours immense de protestants de tous les rangs et de toutes les parties de l'Europe, qui, désabusés par son Exposition, venoient recevoir ses dernières instructions, et abjurer à ses pieds les préjugés et les erreurs de leur naissance *.

XVI et XVII.

:

Bossuet est reçu à l'académie françoise. - Son discours de réception.

L'académie françoise s'étoit déjà empressée de recevoir Bossuet dans son sein; deux places seulement étoient devenues vacantes depuis qu'il avoit été nommé précepteur de monseigneur le dauphin. La mort de M. de Péréfixe, archevêque de Paris, avoit fait vaquer la première des motifs de convenance lui donnèrent pour successeur à l'académie M. de Harlay, qui venoit de lui succéder à l'archevêché de Paris. D'ailleurs, M. de Harlay avoit des talents et des qualités qui auroient suffi pour déterminer le choix de l'académie, indépendamment de toute autre considération; et Bossuet se seroit affligé lui-même de devoir à la mort de M. de Péréfixe, qui lui avoit montré une affection si constante et si paternelle, le titre de son successeur à l'académie.

**

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La mort d'un abbé Duchâtelet qui paroît avoir été un personnage assez obscur, fit vaquer une seconde place, et l'académie mit un tel empressement à conquérir Bossuet, que, dans son discours de réception, il crut devoir la remercier' « d'avoir abrégé en sa faveur >> ses formes et ses délais ordinaires; il semble même se

* On trouvera aux Pièces justificatives du livre troisième, no 4, le détail des singulières accusations que les ministres protestants intentèrent à Bossuet contre la première édition de son livre de l'Exposition. Mais, quelque intéressants que puissent être ces détails, nous avons cru devoir les renvoyer aux Pièces justificatives. Ils auroient suspendu trop longtemps la suite de son histoire.

**Il étoit de la même famille que Haï Duchâtelet, maitre des requètes sous Louis XIII, qui figura si indécemment dans le procès du maréchal de Marillac, et que le cardinal de Richelieu avoit assez affectionné. Discours de Bossuet à l'académie françoise. OEuvr. de Bossuet, tom. XII.

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plaindre d'avoir été privé par cette bonté particulière >> des secours qu'il auroit pu espérer de la méditation » et du temps, pour parler dignement de sa reconnois

»sance. »

Bossuet fut reçu à l'académie le 8 juin 1671; on sait que la forme de ce genre de discours ne comporte guère ces grands mouvements d'éloquence qu'on semble toujours attendre de Bossuet, et à cette époque l'usage les avoit circonscrits dans le retour périodique de quelques formules de respect et de reconnoissance pour les premiers protecteurs de l'académie *. Cependant on reconnoit Bossuet à quelques traits qui lui échappentcomme malgré lui, et qui ont en même temps le mérite de la diction, de la noblesse et de la convenance.

<«< La gloire de la France, dit Bossuet, est d'ètre docte >> et conquérante, en ajoutant l'empire des lettres à » l'avantage glorieux qu'elle a toujours conservé de >> commander par les armes; et comme les actions hé» roïques animent les grands écrivains, les grands écri» vains vont remuer par le désir de la gloire ce qu'il y a » de plus vif dans les grandes âmes, qui ne sont jamais » plus capables de ces généreux efforts par lesquels l'homme » est élevé au-dessus de ses propres forces, que lorsqu'elles » sont touchées de cette belle espérance de laisser à leurs » descendants, à leurs maisons, à l'état, des exemples » toujours vivants de leur vertu et des monuments éter»nels de leurs mémorables entreprises. L'éloquence seule » peut imprimer à ces monuments éternels ce caractère de » perfection que le temps et la postérité respectent; mais

On peut remarquer que Bossuet ne parle en aucune manière de son prédécesseur, et n'en prononce pas même le nom. L'usage n'avoit pas encore consacré cette espèce de devoir funèbre. On peut remarquer aussi, en parcourant le recueil des Discours de réception à l'académie, que M. Huet, reçu à l'académie le 13 août 1674 à la place de M. de Gomberville, est le premier qui se crut obligé de donner des regrets el des éloges à la mémoire de son prédécesseur; il se borna à les exprimer en deux ou trois lignes. Fléchier, qui répondit à M. Huet en quɛlité de directeur, s'étendit un peu plus sur le panégyrique de M. de Gomberville.

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