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» l'éloquence est morte, toutes ses couleurs s'effacent, toutes » ses grâces s'évanouissent, si l'on ne s'applique avec soin » à fixer en quelque sorte les langues et à les rendre du» rables; comment peut-on confier des actions immortelles » à des langues toujours incertaines et toujours chan>> geantes? >>>

Bossuet propose des règles justes et raisonnables pour soumettre les caprices de l'usage à une espèce d'autorité fondée sur la confiance due aux grands modèles.

«L'usage, je le confesse, est appelé avec raison le » père des langues; le droit de les établir aussi bien que » de les régler n'a jamais été disputé à la multitude; >> mais si cette liberté ne veut pas être contrainte, elle >> souffre toutefois d'être dirigée, et l'académie fran>> çoise peut être regardée comme un conseil réglé et » perpétuel, dont le crédit établi sur l'approbation pu»blique, peut réprimer les bizarreries de l'usage, et » tempérer les déréglements de cet empire trop popu>> laire. >>>

On voit dans la suite de ce discours combien Bossuet, qui paroît toujours si supérieur aux recherches du style, avoit étudié le véritable génie de la langue françoise, et le caractère que l'éloquence doit avoir en quelque langue que ce soit.

«La langue françoise, dit Bossuet à l'académie, doit >> avoir la hardiesse qui convient à la liberté mêlée à la >> retenue, qui est l'effet du jugement et du choix. La >> licence doit être restreinte par les préceptes. Mais » toutefois vous prendrez garde qu'une trop scrupuleuse » régularité, qu'une délicatesse trop molle, n'éteignent le » feu des esprits, et n'affoiblissent la vigueur du style.

» C'est par vos soins et par vos écrits que la justesse >> est devenue le partage de notre langue. Elle ne peut » rien endurer ni d'affecté ni de bas. Sortie des jeux de » l'enfance et de l'ardeur d'une jeunesse emportée, formée » par l'expérience et réglée par le bon sens, elle semble » avoir atteint la perfection que donne la consistance.

>> Mais si vous voulez conserver au monde cette véri

» table éloquence, résistez à une critique importune, » qui tantôt flattant la paresse par une fausse apparence » de facilité, tantôt faisant la docte et la curieuse par de >> bizarres raffinements, ne laisseroit à la fin aucun lien » à l'art, nous feroit retomber dans la barbarie; faites paroître à sa place une critique sévère mais raison»nable, et travaillez à vous surpasser tous les jours » vous-mêmes, puisque telle est tout ensemble la grandeur » et la foiblesse de l'esprit humain, que nous ne pouvons » égaler nos propres idées : tant celui qui nous a formés » a pris soin de marquer son infinité ! »

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A ce dernier trait on reconnoît l'empreinte du cachet de Bossuet. En nous montrant l'infinité de Dieu dans l'impossibilité où sont les hommes d'égaler leurs propres idées, il découvre dans un principe de littérature un principe de la plus haute philosophie. Et en effet, quelque perfection qu'on ait pu donner aux langues les plus riches et les plus harmonieuses, on est souvent arrêté par l'impossibilité de traduire et d'exprimer tout ce que l'on conçoit et tout ce que l'on sent. Cette impuissance des idiomes inventés par les hommes, ou qui leur ont été transmis, nous avertit sans cesse qu'il existe au dedans de nous un principe d'intelligence indépendant de tous les organes naturels et supérieurs à leur action.

Bossuet remplit toute sa vie ses devoirs d'académicien avec la mème assiduité qu'il apportoit à tous les emplois et à toutes les fonctions qui lui furent confiés pendant le cours de sa longue carrière. L'abbé de Choisy rapporte dans l'Eloge qu'il prononça de ce grand homme, en présence de l'académie, que Bossuet « ne manquoit » jamais d'assister aux assemblées publiques : qu'il venoit » même souvent aux conférences particulières des acadé» miciens, et que tout savant qu'il étoit, il a dit plu→ » sieurs fois à ses confrères, qu'il trouvoit toujours parmi » eux le plaisir et l'instruction. »

Mais c'est surtout dans le système d'éducation que Bossuet créa pour le fils de Louis XIV, qu'on le trou

vera toujours fidèle à cette noble alliance de la religion, de la philosophie, de la morale, des sciences et des lettres.

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Louis XIV, en nommant Bossuet précepteur de son fils, avoit obéi à l'inspiration de son âme et de son jugement. Le vœu public avoit prévenu son choix, et l'élévation de Bossuet fut un véritable triomphe pour tous les amis de la religion et des lettres; elle devint le présage et le garant de la protection éclatante que le monarque promettoit aux nobles efforts du génie et de la vertu.

1

Santeuil, qui, en qualité de poëte 1, se croyoit en droit de lire dans l'avenir, avoit prédit le choix de Louis XIV, avant même qu'il fût déclaré ; et il consigna cette prédiction dans une pièce de vers qu'il adressa à Bossuet lui-même. Fier de s'être montré le prophète des destinées d'un grand homme, le poëte semble reprocher au prélat le modeste dédain avec lequel il s'étoit refusé à ses présages *.

Bossuet chercha toute sa vie à s'environner d'hommes

1 Vates.

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Ridebas nuper plaudentes inter amicos,

Præsagá dum mente augur mea musa canebat
Te fore Delphini, sic rege volente, magistrum,
Promissumque diu nunc fata reposcere nostra ;
Et, præsul, nil de te ausus præsumere quicquam,
Ridebas vana auguria et mendacia vatum,

Et tamen hanc sortem meritis ingentibus imples.

Santeuil publia cette pièce de vers en 1670, au moment même de la nomination de Bossuet; il la fit paroltre en 1698 avec quelques légers changements; Voyez les OEuvres de Santeuil, tome 1er, édition de 1729.

de mérite. Transporté à la cour, il devint pour les autres ce qu'on avoit été pour lui dans sa première obscurité, si un tel mot peut se placer à la suite du nom de Bossuet.

On compte parmi ses amis Pellisson, Renaudot, l'abbé Fleury, Cordemoi, La Bruyère, Malezieux, Valincourt, Saurin, Sauveur, Varignon, Winslou, Dodart, Tournefort, dont les noms ornent pour la plupart les plus belles pages des éloges de Fontenelle, et quelques autres moins célèbres, quoique non moins estimables, tels que l'abbé de Vares, l'abbé de Saint-Luc, et l'abbé de Broue, depuis évêque de Mirepoix.

On voit la plupart d'entre eux former à Bossuet une espèce de cour, au milieu même de la cour de Louis XIV, ils n'étoient pas tous attachés à l'éducation du Dauphin ; mais ils furent presque tous appelés par Bossuet pour y remplir des fonctions du même genre auprès de M. le duc du Maine et de M. le comte de Toulouse, fils de Louis XIV.

I.-Etudes de Bossuet pour l'éducation de monseigneur le Dauphin.

En se chargeant de l'éducation du fils de Louis XIV, Bossuet conçut un plan d'éducation digne d'un tel père, digne d'un tel instituteur, digne du siècle où il vivoit.

Pour s'y préparer, il se livra à une étude approfondie de l'antiquité grecque et latine. Poëtes, orateurs, philosophes, historiens, tous les monuments d'Athènes et de Rome repassèrent sous les yeux de Bossuet; il se pénétra de leur caractère, de leur manière et de leur style, et il est peut-être le seul qui ait donné à la langue françoise quelque chose de ce génie antique qu'il est si difficile de transporter dans les langues modernes.

Nous avons déjà parlé de son enthousiasme pour Homère. Il le plaçoit au-dessus de tous les poëtes et de tous les orateurs, et il ne prononçoit jamais son nom sans dire le divin Homère. La lecture de ses ouvrages étoit dans sa jeunesse la diversion la plus agréable aux

études graves et sérieuses qui remplissoient sa vie. Il étoit facile de reconnoître combien il en étoit pénétré par l'espèce de charme qu'il trouvoit à ramener souvent ses entretiens sur les beautés inépuisables de ce grand poëte. Bossuet savoit par cœur presque toute l'Iliade et l'Odyssée. Il en récitoit quelquefois de longs fragments avec la même facilité que les vers de Virgile et d'Horace, qui étoient restés gravés dans sa mémoire depuis sa première jeunesse. Bossuet, devenu évêque de Meaux, se trouvoit un jour à Germigny avec l'évêque d'Autun (Gabriel de Roquette); on parloit d'Homère, tout-àcoup, s'abandonnant à son enthousiasme ordinaire, ilrécita un des plus beaux morceaux de l'Iliade, avec cette chaleur que le génie et le feu du chantre d'Achille allumoient toujours dans son âme et dans son imagination. Bossuet observant l'espèce de surprise et d'admiration de l'évêque d'Autun, lui dit : Quelle merveille qu'après avoir enseigné tant d'années la grammaire et la rhétorique!... Et dans quel collége? demanda bonnement l'évêque d'Autun: A Saint-Germain et à Versailles, répondit Bossuet en souriant: et il lui conta à cette occasion avec une sorte de satisfaction, « que pen» dant l'éducation de monseigneur le Dauphin, il étoit si plein d'Homère qu'il en récitoit souvent des vers en >> dormant; que souvent même il s'éveilloit par la forte >> attention qu'il apportoit à les réciter, comme on » s'éveille au milieu d'un songe dont on est agréable» ment frappé. »

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Ce fut dans un de ces enchantements passionnés pour Homère, que son imagination fut si vivement touchée des malheurs d'Ulysse, qu'il fit encore tout endormi le vers suivant :

Τοῖς δυςύχουσιν ἄχθον πάντα καὶ νους.

Tout est à charge aux malheureux, même leur pensée. Virgile et Horace ne lui étoient pas moins familiers. Il n'alloit jamais à la campagne sans Virgile. Il ne cessoit de vanter la douce mélodie de ses vers, et un

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