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exemple, emprunté des Eglogues ou des Géorgiques, venoit confirmer l'impression qu'il ressentoit et qu'il communiquoit à tous ceux qui l'entendoient parler de ce poëte inimitable. C'étoit surtout à Germigny, en se promenant sur les bords de la rivière qui en arrosoit les jardins, que Bossuet se plaisoit à rappeler ces peintures touchantes que Virgile a retracées tant de fois des plaisirs si purs et si vrais que l'on goûte à la campagne, à l'aspect de la nature et dans toute sa parure et sa richesse. C'est là qu'ayant le modèle et le tableau sous les yeux, il sembloit goûter avec encore plus de douceur tout le charme des vers de Virgile.

On ne sera pas sans doute surpris de la préférence qu'il lui accordoit sur Horace. « Il ne pouvoit approu» ver la licence d'Horace, qui, disoit-il, se donne pour » stoïcien, et se montre trop souvent cynique. Rarement il >> en citoit des vers, si ce n'étoit ceux où il peint les >> hommes, les âges de la vie, la diversité des carac» tères. Horace, ajoutoit Bossuet, laisse échapper les plus » beaux vers, lorsqu'il s'excuse de n'en savoir pas faire.

On aura peut-être de la peine à se persuader que Bossuet ait voulu reprendre lui-même ses études de grammaire, pour épargner à son élève ce que ses premiers éléments ont de plus pénible et de plus rebutant. Mais on a retrouvé parmi ses papiers « des notes » écrites de sa main sur la force et le jeu des conjonc» tions et des particules indéclinables, sur l'usage d'un » grand nombre de mots latins, pris en sens propre en >> des significations tout opposées par les meilleurs au>>teurs, dont il rapportoit les exemples en preuves. »

L'abbé Ledieu ajoute que Bossuet avoit composé luimème une grammaire latine pour monseigneur le Dauphin *.

* L'abbé Ledieu nous apprend encore que Bossuet avoit composé une fable dans le goût de Phèdre dont il avoit cherché à imiter la simplicité et la clarté, autant que des modernes peuvent se rapprocher de ces inimitables modèles; et que l'ayant montrée à quelquesuns de ses amis, sans leur dire qu'il en étoit l'auteur, ils avoient cru de bonne foi qu'elle appartenoit à quelqu'écrivain de l'antiquité.

Il possédoit si parfaitement la langue latine, que toutes les fois que l'on disputoit devant lui sur le sens de quelque mot, il mettoit fin à toutes les discussions, et tranchoit sur-le-champ la difficulté par des exemples et des autorités empruntés de Térence, de Virgile, d'Horace, de Phèdre dont il estimoit singulièrement la pureté de style tant il avoit présents à l'esprit tous les auteurs du siècle d'Auguste! Il avoit acheté exprès toutes les éditions appelées Variorum, pour se livrer à un examen suivi du style des écrivains de ce beau siècle; et on observa qu'il n'y avoit pas une seule page de ce recueil qui ne fût marquée de son crayon.

II. De la Lettre de Bossuet au pape Innocent XI sur l'éducation de monseigneur le Dauphin.

L'histoire des travaux de Bossuet pour l'éducation de monseigneur le Dauphin est facile à écrire; Bossuet l'a écrite lui-même ; il l'a consignée dans une lettre adressée au pape Innocent XI. Ce pontife avoit jugé qu'il importoit à la gloire de tous les princes, au bonheur des peuples et à l'intérêt de la religion, de conserver un monument durable du système d'instruction qu'un tel instituteur avoit adopté et suivi pour l'éducation du fils et de l'héritier d'un monarque qui étoit alors au plus haut degré de gloire et de prospérité. C'étoit en 1679, à l'époque de la paix de Nimègue, et au moment où l'éducation de monseigneur le Dauphin alloit finir. A la prière d'Innocent XI, Bossuet lui adressa cette lettre si intéressante, qu'on relit toujours avec une nouvelle admiration.

Elle est écrite en latin, et Bossuet l'intitula : De Institutione Ludovici Delphini, Ludovici xiv Filii, ad Innocentium XI, Pontificem maximum.

Mais un trait particulier du caractère de Bossuet, c'est que, satisfait d'avoir obéi au vœu du pontife, il n'imagina seulement pas de donner aucune publicité à un écrit qui est un de ses plus beaux titres de gloire, et qui est le plus magnifique plan de l'éducation d'un prince.

Cette lettre ne fut connue qu'après sa mort, et ce fut l'abbé Bossuet, son neveu, qui la fit imprimer en 1709, en publiant pour la première fois le célèbre ouvrage de son oncle, la Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte. Il fit plus; il en fit hommage à l'élève même de Bossuet, au Dauphin, qui vivoit encore, et qui auroit pu démentir la fidélité du récit de son éducation, si son instituteur n'en avoit pas été l'historien exact et sincère.

Nous avons d'ailleurs sous nos yeux, dans les manuscrits qui nous ont été confiés, les preuves irrécusables de la vérité de chaque fait, de chaque circonstance, et des plus petits détails rapportés dans cette lettre. Tous les extraits que nous avons de la main de Bossuet, et de celle de monseigneur le Dauphin, attestent l'étendue du plan que l'instituteur s'étoit proposé, l'application constante qu'il apporta à le suivre, et les recherches immenses auxquelles il s'étoit livré pour en accélérer l'exécution. Nous n'exagérons point en disant que les seuls extraits originaux formeroient la matière de plusieurs volumes.

« Aussitôt que Dieu eut donné un fils à Louis XIV, écrit » Bossuet à Innocent XI, il résolut de le former de >> bonne heure au travail et à la vertu, pour ne pas >> l'abandonner à la mollesse, où tombe nécessairement » un enfant qui n'entend parler que de jeux, et qu'on >> laisse trop longtemps languir parmi les caresses des » femmes et les amusements du premier âge. Il voulut » que, dès sa plus tendre jeunesse, et pour ainsi dire, » dès le berceau, il apprît premièrement la crainte de » Dieu, qui est l'appui de la vie humaine, et qui assure aux » rois mêmes leur puissance et leur majesté. Il voulut en» suite qu'il fût orné de toutes les sciences convenables » à un grand prince pour gouverner et maintenir un >> royaume tel que la France, et qu'il se familiarisât de >> bonne heure avec ses connoissances utiles et agréables >> qui contribuent à perfectionner l'esprit, à donner de la » politesse et à se concilier l'estime des hommes éclairés.

» En un mot, le vœu le plus cher de Louis XIV a été » d'ajouter à sa gloire celle de se voir survivre dans » un fils digne d'être proposé pour modèle à la jeu>> nesse, pour exemple à la nation, et pour protecteur » à tous les amis de la vertu, des sciences et des lettres. »

Pour se concilier l'attention du jeune prince et obtenir sa confiance, Bossuet s'attacha d'abord à l'intéresser, et à l'accoutumer à son langage et à ses manières, en évitant de lui présenter l'appareil prématuré d'un travail trop pénible et d'études trop sèches et trop décourageantes. Il se borna dans les premiers temps à l'entretenir de récits et d'histoires appropriées aux circonstances du moment, et à captiver son esprit par des fables ingénieuses qui excitoient et piquoient sa curiosité. Par cette espèce d'appât, qui séduit toujours les cnfants, il cherchoit à lui inspirer peu à peu le goût de la littérature et l'attrait de l'étude.

Il portoit son assiduité auprès de son élève, jusqu'à se trouver tous les soirs à son coucher, pour l'endormir par quelque récit agréable.

III. Etudes de monseigneur le Dauphin 1.

Il ne voulut se reposer sur personne du soin de surveiller les études du jeune prince. Il faisoit lui-même toutes les leçons et se chargeoit des plus petits détails de son éducation littéraire.

Il auroit pu sans doute s'en rapporter avec confiance à deux hommes tels que le savant Huet et M. de Cordemoi, dont l'un étoit sous-précepteur, et l'autre lecteur du jeune prince. Mais Bossuet crut qu'il étoit important d'accoutumer son élève à la même personne, aux mêmes manières, à la même méthode d'instruction.

IV. Sur la religion.

On doit bien penser que Bossuet s'appliqua surtout à graver profondément dans le cœur du Dauphin les senLettre de Bossuet à Innocent XI, OEuvres de Bossuet, tom. v.

pag. 2.

:

timents et l'amour de la religion; chaque jour l'instruction sur la religion précédoit toutes les autres études il avoit composé un Catéchisme, destiné uniquement à l'instruction chrétienne du jeune prince, et il y avoit joint des formules de prières qui convenoient d'une manière plus particulière à un prince appelé à régner. Il vouloit ainsi l'accoutumer à se placer sans cesse sous la main de Dieu, et à lui demander, dans toute la sincérité d'un cœur pur et vertueux, ces heureuses et utiles inspirations qui apprennent à concilier avec les principes invariables de la justice et de la morale chrétienne les maximes si incertaines de la politique et de la sagesse humaines.

L'étude du soir et du matin commençoit chaque jour par la lecture d'un chapitre de l'Ecriture sainte. « Le » prince demeuroit découvert tout le temps que duroit >> cette lecture, et apprenoit ainsi à l'écouter avec un >> respect religieux. Si pendant la lecture de l'Evangile >> le jeune prince paroissoit distrait ou préoccupé, son >> instituteur lui ôtoit aussitôt le livre des mains, pour >> l'avertir qu'on ne devoit écouter une pareille lecture » qu'avec le profond respect dû à Dieu qui l'avoit in» spiré, et aux vérités sacrées qui y sont contenues.

>> Dans l'explication des livres sacrés, Bossuet pré>> venoit son élève que ces livres renfermoient beau» coup de choses qui passoient son âge, et beaucoup >> mème qui passoient l'esprit humain; qu'elles y étoient >> placées pour humilier l'amour-propre des hommes » et exercer leur foi; mais que leur divin auteur a >> laissé dans l'Eglise qu'il a fondée un interprète né» cessaire et infaillible de toutes les vérités qui suf>> fisent à la règle des mœurs, à l'exercice de la foi, à » la pratique des vertus et l'accomplissement de tous >> les devoirs que Dieu exige de chaque homme. »

Bossuet rédigea pour monseigneur le Dauphin des instructions particulières sur la pénitence et sur la première communion. Elles lui parurent dans la suite à lui-même si utiles et si convenables pour tous les états

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