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le marquis de Feuquières, qui envoya chercher Bos-suet au collége de Navarre. Il n'arriva que dans la soirée à l'hôtel de Rambouillet. Toutes les conditions annoncées furent remplies avec l'exactitude la plus minutieuse. Le jeune orateur étonna la nombreuse et brillante assemblée qui l'entendoit, et surpassa l'idée que le marquis de Feuquières avoit prétendu donner de son talent et de sa facilité. Il étoit onze heures du soir lorsque Bossuet prêcha ce singulier sermon. Tout le monde sait que Voiture dit qu'il n'avoit jamais ouï précher ni si tót, ni si tard. La singularité du fait en luimême, et ce mot, beaucoup trop cité, du bel-esprit le plus à la mode dans son temps, contribuèrent ainsi à étendre la réputation naissante de Bossuet.

Le bruit qu'avoit fait ce sermon, fit naître à M. Cospéan le désir de l'entendre prêcher de la même manière; il l'invita à se rendre chez lui, et là, en présence de deux autres prélats, amis de l'évêque de Lisieux, Bossuet prononça un discours qui excita l'admiration de cette assemblée si peu nombreuse, et par cette raison même plus redoutable pour le jeune orateur. L'auditoire étoit sans doute moins brillant que celui de l'hôtel de Rambouillet; mais il étoit composé de juges plus capables d'apprécier les dispositions et le mérite d'un orateur chrétien et d'un ministre de l'Evangile. M. Cospéan fut frappé de l'espèce de phénomène que lui offroit un jeune ecclésiastique qui n'avoit pas même encore achevé le cours de ses études. Ce ne fut point par des compliments exagérés, qui ne sont propres qu'à égarer l'amour-propre d'un jeune homme, qu'il lui montra son estime; ce fut par de sages conseils et d'utiles observations sur l'éloquence sacrée. Il l'exhorta surtout à ne point se laisser séduire par des succès prématurés, et à résister à la dangereuse tentation de monter dans les chaires de la capitale, avant de s'être nourri de bonnes et fortes études.

Il voulut en même temps lui prouver que ses conseils étoient inspirés par un intérêt paternel et par l'es

pérance des avantages que l'Eglise recueilleroit de son zèle et de ses talents. Il lui promit de le présenter à la reine, et de le faire prêcher devant elle, en particulier, le même sermon qu'il venoit d'entendre. Bossuet continua à cultiver l'amitié de ce prélat; et un jour qu'il prenoit congé de lui, M. Cospéan, se tournant vers une nombreuse assemblée, dont il étoit entouré, dit avec une espèce d'accent prophétique : Ce jeune homme que vous venez de voir sortir, sera une des plus grandes lumières de l'Eglise. Le célèbre abbé de Rancé, qui se trouvoit alors chez l'évêque de Lisieux, entendit ces paroles; il se plaisoit à les rappeler à tous ceux qui venoient le voir dans sa solitude de la Trappe, lorsque la prophétie se trouva accomplie, et que Bossuet fut véritablement devenu l'oracle de l'Eglise gallicane.

Mais M. Cospéan ne put contribuer à l'élévation de Bossuet que par ses vœux et ses espérances. La considération dont il jouissoit auprès de la reine donna de l'ombrage au cardinal Mazarin. Il eut ordre de se rendre dans son diocèse, où il mourut peu de temps après, à l'âge de soixante-seize ans.

Cependant Bossuet continuoit ses études de théologie au collége de Navarre. Le docteur Cornet s'attachoit tous les jours de plus en plus à son jeune élève. Dans la crainte de perdre un sujet que la maison de Sorbonne, émule de celle de Navarre, seroit peut-être tentée de lui disputer, il se proposa de l'attacher immédiatement à la société dont il étoit le chef. Il crut même devoir, en cette occasion, déroger aux lois et aux usages. Les règlements du collége de Navarre ne permettoient d'admettre à la société des bacheliers de cette maison, que ceux qui avoient déjà le titre de bachelier en théologie. Mais le grand-maître de Navarre fit pour Bossuet ce qu'on n'avoit encore fait pour personne. Il l'affilia à la société de Navarre, avant même qu'il fût bachelier.

XIII.- Bossuet soutient sa thèse de bachelier. 1648.

La manière dont il soutint peu de temps après sa thèse, justifia la distinction qui lui avoit été accordée. Elle eut un grand éclat par le mérite extraordinaire qu'annonçoit le jeune bachelier, et par le nom du prince à qui cette thèse fut dédiée le 25 janvier 1648. C'étoit le grand Condé, déjà fameux par les victoires de Rocroi, de Fribourg, de Nortlingue et de Dunkerque. Il voulut y assister lui-même, accompagné d'un nombreux cortége de courtisans et de militaires de tout rang, que la gloire, le crédit et la faveur enchaînoient à la suite d'un jeune héros qui sembloit alors tenir en ses mains les destinées de la France.

Quelque peu importante que fût en elle-même la circonstance qui mit pour la première fois Bossuet en présence du grand Condé, il en parloit toujours avec complaisance dans la suite de sa vie, comme ayant été la première cause de l'estime et de l'amitié que ce prince conserva pour lui jusqu'à son dernier soupir. Il lui adressa même en cette occasion une harangue qui reçut les plus vifs applaudissements, et qui flatta le noble orgueil d'un jeune prince passionné pour la gloire.

Au reste, le nom de Bossuet n'étoit point étranger au grand Condé. Ce prince, gouverneur de la province de Bourgogne, savoit que sa famille y jouissoit d'une grande considération; et le désir de donner un témoignage de bienveillance au parlement de Dijon, fut aussi l'un des motifs qui le porta à accepter la dédicace de cette thèse.

Il ne faut pas croire que la présence du grand Condé à une thèse de théologie ne fût qu'une vaine cérémonie qui ne pouvoit lui offrir aucun intérêt. La part singulière qu'il fut sur le point d'y prendre est un trait de caractère qui mérite d'autant plus d'être remarqué, qu'il sert à faire encore mieux connoître l'esprit général du siècle dont nous avons à parler.

XIV. Trait singulier du grand Condé.

Les succès de Bossuet avoient inspiré la plus vive émulation à tous ceux qui prétendoient lui contester un jour le premier rang. Le combat fut très-animé; il intéressa tellement le grand Condé ', qu'il « fut tenté, à ce » qu'il a dit lui-même plus d'une fois, d'attaquer un >> répondant si habile, et de lui disputer les lauriers » même de la théologie. » C'eût été un spectacle assez extraordinaire que de voir le grand Condé, déjà couvert de gloire, argumenter sur une thèse, au milieu de la faculté de théologie, contre Bossuet encore à peine connu *.

Cependant on sera peut-être moins étonné de voir le grand Condé prendre un intérêt si vif à une thèse de jeunes théologiens, lorsqu'on saura que ce prince avoit reçu une éducation forte, grave et nourrie d'études sérieuses; qu'élevé au collége des jésuites de Bourges, comme auroit pu l'être le fils d'un simple gentilhomme, sans autre distinction que celle d'une chaise un peu plus haute que celle de ses condisciples, il avoit été soumis de bonne heure à une discipline sévère; qu'il n'avoit d'autre prééminence parmi eux que celle qu'il devoit conquérir, en les surpassant par le travail et le talent, et qu'il ne pouvoit obtenir aucune grâce de son père, sans lui en présenter la demande dans une lettre écrite en latin, dans un style assez pur et assez élégant pour attester ses progrès et ses succès.

Eloge de Bossuet par l'abbé de Choisy.

*Ce trait peut paroître plus singulier qu'il ne l'est en effet. La thèse de bachelier traite, en grande partie, de questions purement philosophiques, telle que l'existence de Dieu et ses attributs, la nature de l'homme, la spiritualité et l'immortalité de l'àme........... Ces mêmes questions faisoient partie de la philosophie enseignée dans les écoles, et le grand Condé avoit très-bien fait sa philosophie. Mais le fait le plus extraordinaire en ce genre est celui qui s'étoit passé quelques années auparavant. En 1632, Gustave-Adolphe, très-zélé pour sa religion, ayant pris Munich, alla voir le magnifique collége des jésuites de cette ville, et se mit à disputer en latin avec le recteur. Il mit ensuite aux prises avec un autre jésuite le jeune Gassion, depuis maréchal de France, qui étoit alors colonel au service de Suède.

Un de ses descendants, dans ses Mémoires, publiés depuis quelques années, nous a conservé quelques fragments de ces lettres, écrites par le grand Condé, à l'âge de 15 ans. Les hommes les plus familiarisés avec le style épistolaire des écrivains de Rome, ne désavoueroient ni la grâce, ni l'élégante facilité qui s'y font remarquer.

Enfin, lorsqu'en lisant ces lettres du grand Condé encore enfant, on observe qu'on l'avoit soumis à étudier le cours complet des Institutes de Justinien *, peut-être cessera-t-on d'être surpris de le voir disputer sur une thèse qui appartenoit autant à la philosophie qu'à la théologie **.

XV.- Education générale au dix-septième siècle.

Si l'éducation du premier prince du sang embrassoit alors des études aussi graves, on doit penser qu'il devoit en être de mème, à beaucoup d'égards, de l'éducation de la jeune noblesse, surtout à Paris.

Lorsqu'on lit l'Histoire du collège de Navarre, par le docteur Launoy, on est frappé de la longue suite de princes, de grands et de seigneurs, qu'on y envoyoit recevoir la première teinture des sciences et des lettres, sans que l'éclat de leurs titres et l'élévation de leur rang pus

1 Essai sur la vie du grand Condé,

De cætero quod cupis, maximè te scire volo, ut finem hodiè Institutionibus Justinianis imposuerim feliciter. 21 novembre 1635. ** Bossuet, dans l'Oraison funèbre du grand Condé, dit de ce prince : «Son grand génie embrassoit tout, l'antique comme le moderne, » l'histoire, la philosophie, la théologie la plus sublime, et les arts » avec les sciences: il n'y avoit rien qu'il ne sùt. »

Le prince de Conti, frère du grand Condé, destiné par son père à l'état ecclésiastique, avoit reçu une éducation encore plus austère. Ce jeune prince, entraîné d'abord dans les égarements du monde et dans les intrigues de la Fronde, fut ramené à la religion et à la piété par M. Pavillon, évêque d'Alet. Ce fut alors qu'il composa plusieurs ouvrages, où l'on retrouve l'estimable sévérité des principes dans lesquels il avoit été élevé. On a de lui un traité de la Comédie et des Spectacles, selon la tradition de l'Eglise; Devoirs des Grands, avec un Testament; Devoirs des Gouverneurs des provinces, 3. vol. in-12. Il mourut en 1666, àgé seulement de trente-sept ans.

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