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et toutes les conditions, qu'étant devenu évèque de Meaux, il les fit imprimer pour l'usage des fidèles de son diocèse, sous le titre de Prières ecclésiastiques du diocèse de Meaux. Il eut seulement l'attention d'en retrancher tout ce qui ne pouvoit concerner que le prince à qui elles avoient été d'abord destinées.

Aussitôt que Bossuet jugea son élève capable d'attacher un sens aux expressions morales, « il ne cessa » de lui répéter les mots piété, bonté et justice, en lui » montrant les rapports que ces trois qualités ont entre >> elles, et toutes les conséquences qui en émanent dans » l'ordre de la religion et dans celui du gouvernement. >>

V. - Sur la grammaire.

« Il s'appliqua également à lui faire connoître la pro» priété des termes, et l'élégance de la diction dans » l'usage de la langue latine et de la langue françoise.

>> Par cette méthode qui exclut ce qu'une étude mi>>nutieuse de la grammaire présente ordinairement de >> trop rebutant pour les enfants, le jeune prince étoit >> parvenu à entendre facilement les auteurs latins. Cette >> disposition fut encore favorisée par l'habitude qu'on >> lui fit contracter d'apprendre par cœur les morceaux » les plus agréables des meilleurs écrivains dans les » deux langues, et surtout des poëtes. >>

Bossuet voulut aussi éviter un inconvénient trop commun dans toutes les éducations publiques et dans presque toutes les éducations particulières, celui de ne faire connoître les auteurs que par fragments ou morceaux détachés. « Il faisoit lire à monseigneur le » Dauphin chaque ouvrage en entier, de suite et comme >> tout d'une haleine, afin qu'il s'accoutumât peu à peu, » non à considérer chaque chose en particulier, mais à » découvrir le but, l'ensemble et l'enchainement de >> toutes les parties d'un ouvrage. »

VI. Sur les auteurs latins.

On doit comprendre facilement que Bossuet ne s'é

toit prescrit cette méthode que pour les ouvrages des anciens qui n'excédoient pas une certaine étendue, tels que Virgile, Horace et Térence; quelques oraisons et quelques traités philosophiques de Cicéron, et pour les historiens, César et Salluste.

On voit par la manière dont Bossuet s'exprime sur César, combien il admiroit le génie de cet homme extraordinaire, qui avoit tant de vices et de vertus, et qui n'avoit pas un défaut. Il le représente « comme un >> excellent maître pour faire de grandes choses et pour » les écrire, il le suit dans toutes ses marches, il le voit >>> choisir la position de ses camps, ranger ses troupes » en bataille, saisir d'un coup d'œil le plan d'une at>> taque, l'exécuter avec la rapidité de la foudre, louer >>> et châtier toujours à propos ses soldats, les exercer >> constamment au travail et à la discipline, les tenir >> toujours en haleine, enflammer leur courage par >> l'assurance de la victoire, conduire ses armées sans >> jamais porter la désolation dans les pays qu'elles par>> couroient, les soumettre au joug d'un ordre inva>> riable, s'assurer de la fidélité de ses alliés par la con>> fiance qu'il leur inspiroit en sa seule parole, changer >> ses plans d'attaque et de défense selon les temps et >> les lieux, et selon le génie des ennemis qu'il avoit » à combattre ; affecter quelquefois de la réserve et de >> la circonspection, mais déployer le plus souvent une » activité qui ne laissoit à l'ennemi surpris, ni le temps » de délibérer, ni celui de fuir; toujours humain et » généreux après la victoire, toujours inexorable pour >> ceux qui avoient trompé sa clémence; apporter dans » le gouvernement des peuples soumis une douceur et >> une modération qui leur faisoient aimer sa victoire » même, et lui garantissoient leur fidélité. »

A ce portrait si brillant de César succède, sous des couleurs plus douces et plus sensibles, celui de Térence. Il peint les avantages et les agréments « qu'on reçoit » des vives images de la vie humaine, qui passent de»vant les yeux en lisant Térence. » Dans ce tableau

trop fidèle de la société, et surtout des passions et des erreurs de la jeunesse, Bossuet faisoit remarquer à son jeune élève « les mœurs et le caractère de chaque âge >> et de chaque passion retracés par cet admirable >> peintre avec tous les traits convenables à chaque per>> sonnage, des sentiments toujours naturels, enfin » cette grâce et cette bienséance que demandent ces >> sortes d'ouvrages. »

Mais malgré sa prédilection pour Térence, Bossuet ne se montroit pas moins sévère à son égard en prémunissant le cœur et l'esprit du jeune Dauphin «< contre » la licence avec laquelle il s'est quelquefois exprimé, >> et cet abandon de sentiment qui n'est pas sans dan» ger par les impressions qu'il peut faire naître ou >> laisser. >>

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C'est à cette occasion que Bossuet croit devoir s'élever avec une juste sévérité contre des auteurs modernes qui, éclairés de toutes les lumières du christianisme, >> sont encore bien moins excusables que Térence de » n'avoir pas su se renfermer dans des bornes qu'il >> avoit au moins respectées, et n'ont pas rougi de » s'abandonner à une licence d'images et d'expressions qui doit nécessairement porter la plus funeste atteinte >> aux mœurs et aux bienséances. >>

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Nous ne pouvons offrir une preuve plus simple et plus certaine de l'attention que mit Bossuet à faire connoître au Dauphin les chefs-d'œuvre des auteurs latins, qu'en disant que nous avons sous nos yeux des versions, toutes écrites de la main du jeune prince, des plus beaux ouvrages oratoires de Cicéron, tels que ses Catilinaires, ses Oraisons pour Marcellus, et pour Ligarius; son Traité de la Vieillesse; et l'Histoire de la Guerre de Jugurtha, par Salluste.

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L'étude de la géographie ne fut qu'un jeu pour le maître et pour le disciple. Bossuet la lui montroit « en >> voyageant avec lui sur les cartes, lantôt en suivant le

>> courant des fleuves, tantôt rasant les côtes de la mer, » et allant terre à terre; puis tout d'un coup, cinglant >> en haute mer, on reconnoissoit les ports et les villes >> fameuses dans les temps anciens et modernes; on' » examinoit leurs monuments les plus célèbres, on » étudioit leurs mœurs, et on s'arrêtoit dans les pays >> les plus célèbres pour connoître les mœurs opposées » de tant de peuples divers. »

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Ces études préliminaires et indispensables conduisirent le jeune Dauphin à celle de l'histoire, que Bossuet appelle la maîtresse de la vie humaine et de la politique. Mais il ne crut pas devoir perdre des années courtes et précieuses à donner à son élève une connoissance approfondie et trop détaillée de toutes les parties de l'histoire ancienne. Il se contenta de les placer sous un point de vue général, selon le plan qu'il a si magnifiquement exécuté dans son Discours sur l'Histoire universelle.

Pour prévenir la confusion qu'auroit pu laisser dans son esprit cette succession rapide de rois, de peuples, de victoires, de défaites, de triomphes, de catastrophes, de naissances et de chutes des empires, Bossuet apporta une attention particulière à attacher au récit des événements les plus importants de l'histoire ancienne des tables correspondantes pour la chronologie et la géographie, qui ne peuvent et qui ne doivent jamais être séparées d'une étude quelconque de l'histoire. A la faveur de la table chronologique, le Dauphin retrouvoit l'époque précise des événements dont il venoit d'entendre le récit, et la table géographique retraçoit en même temps à ses yeux le théâtre où ces grandes scènes s'étoient passées. C'est ainsi qu'en se prêtant un mutuel appui, l'histoire, la chronologie et la géographie peuvent offrir pour les temps anciens le degré de clarté, de certitude et d'intérêt qui doit suffire à l'instruction du plus grand nombre des hommes, et surtout

aux princes, que des soins plus importants dispensent des recherches de l'érudition.

Il suivit à peu près le même plan pour l'histoire moderne générale depuis la chute de l'empire romain. On est étonné du travail immense auquel il ne craignit pas de se livrer lui-même, pour réduire sous la forme d'un précis clair et satisfaisant toutes les parties de l'histoire moderne sur lesquelles il jugeoit inutile à l'instruction de son élève de s'appesantir avec trop de détail *.

IX. Sur l'Histoire de France.

Mais la partie de l'histoire qui devint le principal objet des études du Dauphin, fut celle de l'empire qu'il étoit appelé à gouverner. En considérant tous les matériaux que Bossuet avoit réunis pour donner à cette partie de son instruction tous les développements dont elle étoit susceptible, on seroit tenté de croire que l'étude de l'histoire de France avoit été jusqu'alors sa seule étude.

Il faisoit lui-même des extraits des ouvrages imprimés ou manuscrits les plus importants. Lorsque ces ouvrages étoient généralement connus, il en confioit la rédaction aux personnes qu'il en jugeoit le plus capables; mais il leur traçoit le plan qu'elles devoient suivre, pour ne conserver dans leurs extraits que des objets dignes de fixer l'attention de son élève; il les soumettoit ensuite à sa révision, et il y attachoit des notes où il rappeloit les témoignages des autres historiens qui avoient traité les mêmes points d'histoire. Il confrontoit, pour ainsi dire, tous ces témoins, dont les récits sont destinés à fixer l'opinion de la postérité, il relevoit leurs contra

Nous avons sous les yeux de nombreux extraits faits par Bossuet lui-même, de l'Histoire de l'empereur Maurice, par Théophylacte; de l'Histoire mélée de Procope; de Jean Comnène, par Nicétas; d'Alexis Comnène, par Anne Comnène sa fille; de Jean Paléologue et de Jean Contucuzène, par Cantacuzène, et des empereurs Andronic, par le même Cantacuzène.

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