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Mais partout où Bossuet voit une âme ferme et intrépide, un grand caractère et la hauteur du génie, il s'arrête avec complaisance devant ces monuments honorables de la dignité humaine, et semble se consoler à leur aspect du malheur d'avoir à parler de tant de crimes ou de foiblesses.

Nous devons faire remarquer que dans le manuscrit original de ces thèmes de monseigneur le Dauphin, le récit de la Saint-Barthélemy se trouve entièrement écrit de la main de Bossuet; il avoit voulu se réserver à lui-même la pénible tâche de retracer cette exécrable tragédie dans toute son horreur. Jamais on n'a répandu des couleurs plus sombres et plus effrayantes sur cette nuit épouvantable, où l'on vit un roi et les chefs les plus distingués d'une nation généreuse tremper leurs mains dans le sang, donner à un peuple enivré de fureur le signal d'un massacre général, et repaître leurs regards du spectacle des cadavres amoncelés sous les fenêtres du palais des rois. Jamais on n'a peint avec plus de vérité un roi foible et furieux, ne reculant d'abord à l'aspect du crime que pour s'y enfoncer avec plus de férocité. Personne n'a condamné avec une plus profonde indignation la mémoire de cette reine, qui n'eut d'habileté que pour tout bouleverser et tout détruire, et qui se jouoit avec des assassinats comme avec les apprêts d'une fète; et lorsqu'on voit ensuite Bossuet terminer cet horrible récit par ces seules lignes : « La >> manière dont Charles IX mourut fut étrange. Il eut >> des convulsions qui causoient de l'horreur, et les >> pores s'étant ouverts par des mouvements si violents, » le sang lui sortoit de toutes parts. On ne manqua » pas de remarquer que c'étoit avec justice qu'on voyoit »nager dans son propre sang un prince qui avoit si » cruellement répandu celui de ses sujets. Telle fut la fin » de Charles IX, à l'âge de vingt-quatre ans. » On sent qu'il a voulu, par ce terrible exemple, apprendre aux rois que la vengeance du ciel n'attend pas toujours les temps de la justice éternelle.

La différence des opinions religieuses n'apporte jamais aucune prévention dans les jugements de Bossuet, et il sait même pardonner de grandes fautes, lorsqu'elles sont couvertes par des vertus ou de grandes qualités.

Notre intention n'est pas cependant de présenter cet Abrégé de l'Histoire de France comme un livre classique en cette partie. Il ne pouvoit guère convenir qu'à un prince appelé à régner. L'instituteur ne s'étoit attaché qu'à peindre les qualités, les vices et les défauts des rois et de quelques personnages fameux qui ont influé sur de grands événements; mais il y a omis beaucoup de détails importants qu'il se proposoit de faire entrer dans son ouvrage sur les lois, les mœurs et les coutumes des François comparées à celles des autres peuples de l'Europe.

On pourroit s'étonner que Bossuet ait fait entrer tant de détails militaires dans un abrégé aussi court, s'il n'étoit facile de juger qu'il étoit intimement persuadé qu'un roi, et surtout un roi de France, doit chercher à se distinguer par les qualités militaires. Le caractère de la nation françoise est essentiellement militaire, et ce préjugé, aussi ancien que la nation, met le talent de la guerre au premier rang de l'estime publique. C'est sans doute par cette considération que Bossuet et Fénélon lui-même ont voulu que les rois conduisissent leurs propres armées. Les rois qui savent commander les armées sont aussi ceux qui savent le mieux se faire respecter de leurs ennemis et de leurs sujets.

Souvent l'instituteur profitoit de quelque événement récent dont toutes les imaginations étoient fortement frappées, et en faisoit le sujet d'une composition pour son élève.

C'est ainsi que nous trouvons parmi nos manuscrits la Relation de la campagne du Rhin en 1672, mise en latin par monseigneur le Dauphin *. On sait quel en

*La copie qui est parmi nos manuscrits peut passer pour originale. On y remarque un mot et quelques coups de crayon de la main de Bossuet.

thousiasme le passage du Rhin excita dans un temps où le nom seul de Louis XIV exerçoit une sorte de pres'tige sur tous les esprits. La belle fiction de Boileau et l'arc de triomphe de la porte Saint-Denis sont restés pour la gloire des lettres et des arts, des monuments plus durables du passage du Rhin, que les succès rapides qui marquèrent cette époque brillante du règne de Louis XIV. Il étoit sans doute difficile de choisir un sujet de composition plus intéressant pour le jeune fils d'un roi environné de tant d'éclat. Quel intérêt la présence même des hommes qui étoient alors le sujet de tous les entretiens, ne devoit-elle pas ajouter au récit de ces exploits récents que l'enchantement des imaginations élevoit au-dessus des exploits les plus fameux de l'antiquité. Combien un pareil travail devoit toucher le cœur d'un fils respectueux, et élever l'âme d'un prince à qui la France imposoit l'obligation de succéder à tant de gloire?

On pourroit croire par les dernières lignes qui terminent cette composition, que le jeune Dauphin avoit su se pénétrer de tous les sentiments que Bossuet avoit voulu faire entrer dans son âme *.

«En écrivant le récit des actions du Roi dans cette » mémorable campagne, j'ai cédé au besoin que mon » cœur éprouvoit de célébrer sa gloire. Puissé-je, hé>> ritier de ses vertus, me montrer digne de marcher » sur ses traces! Puissé-je, avec les années, me montrer » digne d'un tel père! »

X.- De la rhétorique et de la logique.

La plupart des instituteurs séparent l'étude de la rhétorique de celle de la logique. Bossuet les fit marcher de front, en ne les considérant que comme des parties d'un même tout. Il montroit la liaison nécessaire

* Atque hæc de rebus LUDOVICI regis delibare animus fuit, ut ejus » præclarè gestis à me commemoratis animatus, quandoque patriam » virtutem imitari, tantoque me parente, cùm per ætatem licebit, dignum præstare queam. »

qu'ont entre elles la logique et l'éloquence, en les présentant sous l'image de la force et de la grâce réunies. C'est ainsi qu'un corps parfaitement constitué, et orné de toutes les grâces que la jeunesse et la beauté ajoutent aux autres dons de la nature, laisse cependant apercevoir sous des formes élégantes et sous des couleurs aimables, la force, le jeu et le mouvement qui animent ce parfait ensemble. Bossuet faisoit l'application la plus heureuse de cette comparaison, en proposant un raisonnement qu'il n'annonçoit d'abord que sous la forme sèche et nuc d'un syllogisme avec ses prémisses et sa conséquence, et dont il couvroit ensuite la sécheresse en ornant d'idées ingénieuses et d'images agréables toutes les parties de ce même raisonnement, sans lui rien ôter de sa force, et en laissant subsister dans l'esprit la même conviction.

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« La logique et la morale, disoit Bossuet, servent à » cultiver les deux principales opérations de l'esprit >> humain, qui sont la faculté d'entendre et celle de vou» loir. Pour la logique, nous l'avons tirée de Platon et » d'Aristote, non pour la faire servir à de vaines dis>> putes de mots, mais pour former le jugement par un >> raisonnement solide, nous arrêtant principalement à » cette partie de la logique qui sert à trouver les argu»ments probables, parce que ce sont ceux que l'on >> emploie dans les affaires.... Nous avons expliqué >> comment, en liant ces arguments probables les uns >> aux autres, tout foibles qu'ils sont chacun à part, >> ils deviennent invincibles par cette liaison.

XI. De la morale.

» Pour la doctrine des mœurs, nous l'avons puisée » dans sa véritable source, dans l'Ecriture et dans les >> maximes de l'Evangile; nous n'avons pas cependant » négligé d'expliquer la morale d'Aristote, et cette >> doctrine admirable de Socrate, vraiment sublime Lettre de Bossuet Innocent à XI. OEuvres de Bossuet, t. v.

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» pour son temps, qui peut servir à donner de la foi >> aux incrédules, et à faire rougir les hommes cor>> rompus.

» Mais nous remarquions en même temps ce que la >> philosophie chrétienne y condamne, ce qu'elle y » ajoute, ce qu'elle y approuve, avec quelle autorité >> elle en confirme les saines maximes, et combien elle >> lui est supérieure, en sorte que la philosophie de >> Socrate, toute grave qu'elle paroît comparée à la sa» gesse de l'Evangile, n'est que l'enfance de la morale. »

Cependant Bossuet crut devoir extraire lui-même des écrits de Platon et de Xénophon sur la morale, plusieurs maximes importantes, et il emprunta d'Aristote ses Définitions des vertus et des vices; il les réunit aux sentences qu'il avoit puisées dans les livres sacrés, et il en forma une espèce de code de morale approprié à tous les hommes.

XII. De la philosophie.

« Quant à la philosophie, nous nous sommes atta» chés à celles de ses maximes qui portent avec elles un » caractère certain de vérité, et qui peuvent être utiles » à la conduite de la vie humaine. Quant aux systèmes >> et aux opinions philosophiques qui sont abandonnés >> aux vaines disputes des hommes, nous nous sommes >> bornés à les rapporter sous la forme d'un récit his>> torique; nous avons pensé qu'il convenoit à la dignité » du jeune prince de connoître les opinions diverses et » opposées qui ont occupé beaucoup de grands esprits, » et d'en protéger également les défenseurs, sans par>> tager leur enthousiasme ou leurs préjugés. Celui qui » est appelé à commander, doit apprendre à juger et non » à disputer.

» Mais, après avoir considéré que la philosophie con» siste surtout à rappeler l'esprit à soi-même pour s'é>> lever ensuite jusqu'à Dieu, nous avons d'abord cher>> ché à nous connoître nous-mêmes. Cette étude pré>> liminaire, en nous présentant moins de difficulté,

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