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» offroit en même temps à nos recherches le but le » plus utile et le plus noble; car, pour devenir un vrai >> philosophe, l'homme n'a besoin que de s'étudier lui» mème, et, sans s'égarer dans les recherches inutiles » et pénibles de ce que les autres ont dit et pensé, il » n'a qu'à se chercher et s'interroger lui-même, et il » trouvera celui qui lui a donné la faculté d'être, de >> connoître et de vouloir. »

XIII.-Traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même.

C'est d'après cette idée que Bossuet composa son admirable traité de la Connoissance de Dieu et de soimême *.

Cet ouvrage, dont le seul défaut peut-être est d'excéder les bornes de l'intelligence d'un enfant à qui la nature n'avoit accordé ni une grande vivacité d'imagination, ni cette ardeur de s'instruire qui supplée quelquefois à des dispositions plus heureuses, est un des ouvrages les plus dignes de la méditation des hommes qui ont la conscience de leur raison et le sentiment de leur dignité. On auroit même le droit de penser que ce seul ouvrage pourroit dispenser de l'étude difficile, et souvent inutile, de tant de questions métaphysiques qui offrent si peu de résultats certains.

Dans le traité de la Connoissance de Dieu et de soimême, Bossuet semble avoir atteint et posé les bornes de l'entendement humain; et semblable à ces voyageurs audacieux, qui, parvenus aux limites de la terre, se sont arrêtés à la vue d'un abîme sans bornes, il a vu et dit tout ce qu'il est donné aux hommes, voyageurs aussi sur la terre, de voir et d'entendre. Jamais aucun philosophe ancien et moderne n'a professé sur ce digne sujet des méditations de l'homme une doctrine plus

Nous devons encore faire remarquer que Bossuet ne daigna pas seulement faire imprimer cet ouvrage, l'un des plus beaux monuments philosophiques du génie d'un grand homme. Il n'a été imprimé qu'après la mort de son auteur. Il parut pour la première fois en 1722, sous le titre d'Introduction à la philosophie, ou Traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même.

simple dans son exposé, mieux démontrée dans ses preuves, plus satisfaisante dans ses résultats, plus consolante dans ses espérances. Chose remarquable! Bossuet, toujours si éloquent et si magnifique lorsqu'il veut parler à l'âme et à l'imagination, n'emploie que les expressions les plus simples et les plus accessibles à l'intelligence lorsqu'il veut parler à la raison. Il savoit que la clarté ne dépend pas seulement de l'ordre des idées, mais qu'elle dépend surtout du choix de l'expression. Malebranche avoit eu besoin de séduire l'imagination par le coloris brillant de son style, parce qu'il créoit un système. Bossuet n'a eu besoin que de s'exprimer avec clarté, parce qu'il ne vouloit montrer que la vérité.

En lisant le traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même avec toute l'attention qu'exigeoit de notre part la qualité d'historien de la vie et des ouvrages de Bossuet, nous n'avons pu nous défendre d'une réflexion affligeante.

Le dix-huitième siècle a vu l'Angleterre, la France et l'Allemagne produire de nombreux écrivains qui ont montré le plus déplorable acharnement pour ébranler tous les fondements de l'ordre naturel, religieux, moral et politique, et on pourroit peut-être affirmer avec confiance qu'aucun d'eux n'avoit ni lu ni médité cet ouvrage de Bossuet. On ne peut en effet expliquer sans cette supposition comment ils ont pu sérieusement présenter tant de systèmes extravagants, qu'il avoit frappés d'avance de la plus juste censure et du plus profond mépris. La plupart d'entre eux n'ont pas même eu le

On l'attribua à Fénélon, parce qu'il fut imprimé sur une copie qui se trouva parmi ses papiers, et que Bossuet lui avoit confiée pour l'instruction de monseigneur le duc de Bourgogne. Mais on en publia une édition plus correcte en 4744, sur le manuscrit original de Bossuet, et c'est cette édition qu'on a suivie dans l'édition des OEuvres de Bossuet, en 1745, tom. x, et dans l'édition de Chalandre, tom. v. 11 ne l'avoit composé que pour monseigneur le Dauphin; et cru apparemment inutile de le rendre public, dans un temps où les grandes verités qu'il y a établies n'étoient ni contredites ni combattues.

don de l'imagination, ils n'ont fait qu'abuser d'un principe de Locke en lui donnant une interprétation que Locke désavoue dans tous ses écrits. « Séduits 1 par une » fausse application de la maxime qui place dans les ex>> pressions sensibles la première occasion de nos con>> noissances, et prétendant réduire l'homme à de » simples sensations, ils n'ont pas su, ou ils n'ont pas >> voulu distinguer la sensation proprement dite, de la -» perception, qui seule donne un caractère intellectuel à » l'impression sensible. Ils ont résisté à l'expérience de tous » les jours et de tous les moments, en dédaignant de >> tenir compte de ce qui appartient à l'activité propre » de l'esprit humain. »

Sous le nom de nature, Bossuet entend une sagesse profonde qui développe avec ordre et selon de justes règles tous les mouvements que nous voyons. Il y a tant d'art dans la nature, que l'art même ne consiste qu'à la bien entendre et à l'imiter. Plus on entre dans ses secrets, plus on la trouve pleine de proportions cachées, qui font tout aller par ordre et sont la marque certaine d'un ouvrage bien entendu et d'un artifice profond.

Mais de tous les ouvrages de la nature, celui où le dessein est le plus suivi, c'est l'homme.

L'homme, disoit Platon, est une âme se servant de son corps; et de cette seule définition il concluoit la différence du corps et de l'âme.

Mais quoique le corps soit un instrument de l'âme, l'âme et le corps ne font ensemble qu'un tout naturel, et il y a entre ces deux parties une parfaite et nécessaire correspondance.

L'âme est non-seulement intellectuelle, elle est aussi sensitive. Ainsi, dans toutes les opérations animales, il y a quelque chose de l'âme et du corps; et avec de l'attention, on peut discerner, dans chacune de ses opérations, ce qui appartient à l'âme de ce qui appartient au corps.

Rapport de la troisième classe de l'Institut, 1809, article Philosophie,

Les opérations sensitives de l'âme sont appelées sensations. Les sensations se font dans notre âme à la présence de certains corps qu'on appelle objets.

Le plaisir et la douleur accompagnent les opérations des sens.

Il ne faut pas confondre le plaisir et la douleur avec la joie et la tristesse, quoiqu'elles se suivent et qu'on les confonde souvent.

Le plaisir et la douleur naissent à la présence effective d'un corps qui touche et affecte les organes; il n'en est pas ainsi de la joie et de la tristesse, qui peuvent être excitées en l'absence des objets sensibles par la seule imagination, ou par la réflexion de l'esprit.

C'est par cette raison qu'on place le plaisir et la douleur avec les sensations, et qu'on met la joie et la tristesse avec les passions.

Les sensations sont différentes entre elles, puisqu'elles appartiennent à des sens différents; mais il existe dans l'âme une faculté de les réunir.

L'imagination d'un objet est toujours plus foible que la sensation.

De la réunion des sensations et de l'imagination naissent dans l'âme des mouvements qu'on appelle passions. Tels sont l'amour, la haine, le désir, l'aversion, la joie, la tristesse, l'audace, la crainte, l'espérance, le déses poir, la colère.

Mais c'est dans ces opérations intellectuelles que l'âme doit être surtout considérée.

Il y a deux sortes d'opérations intellectuelles, celles de l'entendement et celles de la volonté.

Entendre, c'est connoître le vrai et le faux, et discerner l'un de l'autre.

Par cette définition, on connoît la nature de l'entendement, et sa différence d'avec les sens.

«Les sens donnent lieu à la connoissance de la vé>> rité; mais ce n'est pas par eux précisément qu'on la >> connoît. »

Les illusions qui naissent souvent des sens montrent

et que

c'est par

assez qu'ils ont besoin d'être redressés, une autre faculté qu'on connoît la vérité, et qu'on discerne la fausseté, et cette faculté est l'entendement.

Ce que l'on dit des illusions qui naissent quelquefois des sens doit être également appliqué à l'imagination. L'imagination ne nous apporte autre chose que des images affoiblies de la sensation, et tout ce que l'imagination ajoute à la sensation n'est qu'une pure illusion qui a besoin d'être corrigée.

Mais il y a des actes de l'entendement qui suivent de si près les sensations, qu'on les confond avec elles, si on n'y apporte pas une exacte attention.

Il arrive encore plus souvent de confondre l'imagination avec l'intelligence..

L'entendement ou l'intelligenee connoît la nature des choses; l'imagination ne fait qu'en retracer l'image.

Quoique ces deux actes imaginer et entendre soient très-distincts, ils se mêlent toujours ensemble. L'entendement ne définit point le triangle ou le cercle, que l'imagination ne se figure un triangle ou un cercle. Il se mêle des images sensibles dans la considération des closes les plus spirituelles.

L'imagination, selon qu'on en use, peut nuire ou servir à l'intelligence.

Le bon usage de l'imagination est de s'en servir seulement pour rendre l'esprit attentif.

Le mauvais usage de l'imagination est de la laisser décider, ce qui arrive principalement à ceux qui ne croient rien de véritable que ce qui est imaginable et sensible.

<< Aussi, dit Bossuet, l'expérience fait-elle voir qu'une » imaginatian trop vive étouffe le raisonnement et le ju»gement. De là sort la différence entre les gens d'ima» gination, et les gens d'esprit ou d'entendement. »

On peut être curieux de connoître le sens précis que Bossuet attachoit à ces mots esprit, jugement, imagination, mémoire, dont on fait un usage si fréquent et si abusif dans la société, expressions équivoques qui ex

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