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réflexion peuvent seules nous rendre inattentifs à ce miracle de tous les jours et de tous les moments.

Bossuet indique en passant une des questions qui entrèrent, longtemps après, dans la controverse si vive et si animée qu'il eut avec Fénélon, et on le trouve toujours fidèle à ses principes.

« On met en question, dit-il, s'il peut y avoir en >> cette vie un pur acte d'intelligence dégagé de toute » image sensible, et il n'est pas incroyable que cela puisse » étre durant certains moments dans les esprits élevés à » une haute contemplation, et exercés depuis longtemps à » se mettre au-dessus des sens; mais cet état est fort » rare, et on ne doit parler que de ce qui est ordinaire à » l'entendement. »

Il est peu de moralistes qui aient indiqué des moyens plus raisonnables pour combattre, ou du moins pour éluder la violence des passions.

>>

« 11 est, dit Bossuet, un moyen de calmer, de mo» dérer, ou même de prévenir les passions dans leur principe, et ce moyen est l'attention bien gouvernée. » On a toujours observé que le remède le plus na>> turel des passions, c'est de détourner l'esprit, autant » qu'on peut, des objets qu'elles lui présentent, en » s'attachant à d'autres objets.

» Il est souvent plus facile de s'arrêter dans la pas»sion, en passant à autre chose, qu'en s'opposant di>> rectement à son cours.

>> Une passion violente a souvent servi de frein ou » de remède aux autres. C'est ainsi qu'on est quelque>> fois enlevé à l'amour par l'ambition ou la passion de >> la guerre.

>> Il est quelquefois utile de s'abandonner à des pas>>sions innocentes, pour échapper à des passions cri>> minelles. Les charmes d'une conversation douce et >> raisonnable peuvent faire une diversion agréable aux >> passions violentes. Mais si rien n'émeut plus les pas»sions que les discours et actions des hommes pas»sionnés, il faut aussi que la tranquillité que laisse au

» tour de nous une conversation raisonnable, ne soit ni » trop fade ni trop sensible; car il faut un peu de cet » animé qui s'accorde avec le mouvement de l'imagina» tion. »

Bossuet observe encore qu'il est toujours plus facile de prévenir les passions que d'en triompher en les combattant de front. Il n'est plus temps d'opposer des raisons à une passion émue; car, en raisonnant sur sa passión, même pour l'attaquer, on en rappelle l'objet, on en imprime plus fortement les traces, et on irrite plutôt les esprits qu'on ne les calme.

Admirable application de la physiologie à la morale, qui constitue la seule et véritable philosophie.

Il fait encore une observation qui étonne d'abord, mais dont la réflexion démontre la profonde justesse :

« Nous connoissons beaucoup plus de choses de >> notre âme que de notre corps, puisqu'il se fait dans >> notre corps tant de mouvements que nous ignorons, » et que nous n'avons aucun sentiment que notre esprit » n'aperçoive. »>

XVI. De la connoissance de Dieu.

Bossuet arrive enfin au véritable objet qu'il s'est proposé, celui de faire connoître Dieu, par la connoissance que l'homme à de lui-même.

Ici la profondeur et la fécondité de son génie se manifestent dans la force et dans la variété des preuves qui se pressent sous sa plume, et quand on pense qu'il s'attache à ne présenter que celles qui dérivent uniquement de son sujet, c'est-à-dire de la seule notion de l'homme, on sent qu'un homme tel que Bossuet est lui-même un des plus magnifiques témoignages de la Divinité.

Fidèle au plan qu'il s'est tracé, il écarte toutes les preuves que la révélation, la philosophie, le spectacle de l'univers et le consentement unanime des peuples pouvoient lui offrir. Il ne met en action qu'un seul homme, et cet homme montre un Dieu.

«La parfaite harmonie qui existe entre l'âme et le » corps humain n'a pu être établie et dirigée que par >> une cause intelligente.

>> Cette première cause, cet auteur suprême de la »> nature pouvoit donner à l'homme l'immortalité, il » a pu aussi la lui refuser. »>

Cependant, en créant l'homme mortel, Dieu a préparé à l'homme tous les moyens de veiller à sa conservation pendant le terme qu'il a fixé à son passage sur la terre.

<«< Mais, quoique chaque homme meure, l'univers » n'y perd rien, puisque dans les mêmes principes qui » conservent l'homme durant tant d'années, il se trouve >> encore de quoi en produire d'autres jusqu'à l'infini. » Ce qui nourrit l'homme le rend fécond et rend l'es» pèce immortelle. Un seul homme, un seul animal, » une seule plante suffit pour peupler toute la terre. Le >> dessein de Dieu est si suivi, qu'une infinité de géné>> rations ne sont que l'effet d'un seul mouvement con» tinué sur les mêmes règles, en conformité du mou»vement que la nature a reçu dès le commencement. >>

Que serviroit à l'âme d'avoir un corps si sagement construit, si elle n'étoit avertie de ses besoins et de la diversité des objets par les sensations et les passions?

<< Mais elle ne profiteroit pas de ces avertissements >> şans un principe secret de raisonnement, qui lui fait » comprendre les rapports des choses, et juger de ce >> qu'elles lui font éprouver. >>

Ce même principe de raisonnement la fait sortir de son corps pour étendre ses regards sur le reste de la nature, et comprendre l'enchaînement des parties qui composent un si grand tout.

A ces connoissances devoit être jointe une volonté maîtresse d'elle-même, et capable d'user selon la raison des organes, des sentiments et des connoissances même.

« On voit donc que ce corps est un instrument fabri» qué et soumis à notre volonté par une puissance qui

» est hors de nous, et toutes les fois que nous nous en >> servons, soit pour parler ou pour respirer, ou pour >> nous mouvoir en quelque façon que ce soit, nous de» vrions toujours sentir Dieu présent. »

Et quelle est cette cause? Elle ne peut être que Dieu. Bossuet le démontre par l'existence de ces vérités éternelles dont chaque homme a le témoignage et la conviction, et qui ne peuvent exister qu'en Dieu.

Parmi ces vérités éternelles que tout le monde conçoit, une des plus certaines est celle-ci : « Qu'il y a » quelque chose qui existe d'elle-même, et qui est par con»séquent éternelle et immuable.

» QU'IL Y AIT UN SEUL MOMENT ou rien ne soit, ÉTER

» NELLEMENT RIEN NE SERA. »

Bossuet, par une suite de raisonnements empruntés de la seule philosophie, et dont les principes et les conséquences s'enchaînent avec l'ordre et toute la force que comportent les vérités philosophiques, finit par conduire l'homme jusqu'aux limites où l'intelligence humaine est forcée elle-même de s'arrêter.

Là, il ouvre tout-à-coup à ses yeux le livre des révélations, et le laisse entre les bras de la religion.

XVII. De l'âme des bêtes.

Il n'y a pas jusqu'à la question de la différence entre l'homme et la bête, que Bossuet n'ait cru devoir discuter dans ce traité de philosophie.

Il commence par établir quelques notions claires et précises qui suffisent pour montrer la frivolité des sophismes qu'on a hasardés sur cette question.

Il semble même que Bossuet ait eu le pressentiment de l'excès d'extravagance qui porteroit quelques hommes, par un genre d'amour-propre bien extraordinaire, à se dégrader eux-mêmes.

« La ressemblance' des actions des bêtes aux actions >> humaines, trompe les hommes. Ils veulent, à quelque » prix que ce soit, que les animaux raisonnent; et tout Eloge de Dodart.

>> ce qu'ils peuvent accorder à la nature humaine, c'est » d'avoir peut-être un peu plus de raisonnement.

» Encore y en a-t-il qui trouvent que ce que nous » avons de plus ne sert qu'à nous inquiéter et qu'à » nous rendre plus malicieux. Ils s'estimeroient plus » heureux et plus tranquilles, s'ils étoient comme les >> bêtes.

>> Ces raisonnements plaisent par leur singularité. On » aime à raffiner sur cette matière; et c'est un jeu à » l'homme de plaider contre lui-même la cause des » bêtes. Il ressemble alors à un homme de grande nais» sance, qui, ayant des penchants vils et ignobles, ne veut point se souvenir de sa dignité, de peur d'être obligé de » vivre dans les exercices qu'elle demande.

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>> Tous les raisonnements, dit Bossuet, qu'on fait en >> faveur des animaux se réduisent à deux.

>>> Les animaux font toutes choses convenablement aussi » bien que l'homme donc ils raisonnent comme >> l'homme.

>> Les animaux sont semblables aux hommes à l'ex» térieur, tant dans leurs organes que dans la plupart » de leurs actions: donc ils agissent par le même prin>> cipe intérieur, et ils ont du raisonnement.

» Mais une simple observation suffit pour faire sentir » le défaut du premier de ces deux raisonnements.

>> C'est autre chose de faire tout convenablement ; autre >> chose de connoître la convenance : l'un convient non>> seulement aux animaux, mais à tout ce qui est dans » l'univers; l'autre est le véritable effet du raisonne>> ment et de l'intelligence.

» Dès que le monde est fait par raison, tout doit s'y >> faire convenablement, car le propre d'une cause in» telligente est de mettre de l'ordre et de la convenance » dans tous ses ouvrages.

>> On a beau exalter l'adresse de l'hirondelle, qui se » fait un nid si propre, et des abeilles, qui ajustent avec >> tant de symétrie leurs petites cases : les grains d'une » grenade ne sont pas ajustés moins proprement, et

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