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Plusieurs considérations sollicitent l'indulgence dont nous avons besoin, et que nous réclamons.

XVIII.

Réflexions sur le traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même.

Le traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même est un des ouvrages de Bossuet le moins connu, et un de ceux qui méritent le plus de l'être. Ce n'est point ici un évêque et un théologien qui vient combattre des erreurs ou établir des points de doctrine. C'est un phi– losophe qui parle à tous les hommes éclairés de tous les siècles, de tous les pays, de toutes les religions; et il leur parle de tout ce qui doit le plus appeler l'attention et l'activité de l'esprit humain. Socrate, Aristote, Platon, Cicéron et Sénèque auroient accordé le même intérêt à cet ouvrage de Bossuet, que Descartes, Newton, Pascal, Arnauld, Leibnitz et Malebranche, si les uns et les autres en avoient eu connoissance.

Depuis la mort de Bossuet, toutes les vérités qu'il a établies ont été attaquées ou méconnues. Ils étoit donc nécessaire de montrer l'homme du dix-septième siècle en présence du dix-huitième. On ne croit pas que Bossuet ait rien à perdre à ce rapprochement.

Enfin, il est permis de penser que ceux qui ont voulu réduire les ouvrages de Bossuet à ses Oraisons funèbres et à son Discours sur l'Histoire universelle, n'ont affecté un silence si remarquable sur le traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même, que parce qu'il étoit plus facile de n'en pas parler que de le réfuter.

Le traité de la Connoissance de Dieu et de soi-même renfermoit plusieurs notions importantes sur la physique générale. Mais Bossuet écarta de cette étude tout ce qui ne tenoit qu'à des conjectures ou à des idées systématiques, dont une observation suffisante des effets et des phénomènes de la nature n'avoit point encore constaté la certitude. Il se borna à faire connoître à son élève ces différents systèmes sous la forme d'un récit historique, sans leur donner cette sorte d'autorité que le

temps et une longue suite d'observations peuvent seuls leur imprimer. Cependant on fit par ses ordres, devant monseigneur le Dauphin, toutes les expériences de physique qui étoient alors connues, et qui étoient les plus propres à lui donner quelque idée des essais et des efforts de l'industrie humaine dans l'invention des arts et dans la recherche des secrets de la nature.

XIX. Des mathématiques.

Bossuet emprunta pour les leçons de mathématiques le secours d'un excellent maître, François Blondel, moins connu peut-être par ses ouvrages de géométrie, que par le monument de la porte Saint-Denis, qui l'a placé au rang des grands architectes. Blondel apprit au jeune prince la partie des mathématiques dont l'usage pouvoit lui être le plus utile, celle qui concerne l'art de fortifier les places et de les attaquer, de construire des forts, de choisir les positions les plus favorables pour asseoir des camps, la science des mécaniques, l'équilibre des liqueurs et des corps solides, les Eléments d'Euclide et le système du monde.

De toutes les sciences, celle des mathématiques fut la senle1 dont Bossuet ne donna pas lui-même des leçons à son élève. Il fut son unique maître dans toutes les autres parties; et quelque habiles que fussent la plupart de ses coopérateurs, jamais il ne crut devoir s'en reposer sur eux de tout ce qui concernoit l'instruction du jeune prince.

XX.- De la jurisprudence.- Du traité du Libre arbitre.

Bossuet crut même devoir présenter à monseigneur le Dauphin quelques notions de la jurisprudence. On imaginera bien qu'il ne se proposa point de lui faire connoitre tous les détails de cette vaste science; mais il fut inspiré par une pensée aussi sage que profonde. Il voulut graver de bonne heure dans l'esprit de l'héritier du tròne un respect inviolable pour le droit sacré

Mts. de Ledieu,

de la propriété, en lui montrant que tout l'ordre social, toutes les institutions politiques et civiles, et le trône lui-même, reposent sur cette base fondamentale à laquelle on ne peut toucher sans tout renverser. L'évêque de Troyes (Bossuet), en publiant quelquesuns des ouvrages posthumes de son oncle, parmi lesquels se trouvoit le traité du Libre arbitre, annonça qu'il avoit été composé pour l'éducation de monseigneur le Dauphin. Mais il est peu vraisemblable qu'un ouvrage plein de la plus sublime théologie et de la plus haute philosophie ait été destiné à l'instruction d'un enfant de quinze ou seize ans. On pourroit tout au plus supposer qu'il le lui auroit fait connoître, si ce jeune prince lui eût montré dans la suite de sa vie le désir de s'éclairer sur cette question si difficile et si impénétrable à l'esprit humain.

XXI.- Du Discours sur l'Histoire universelle.

Bossuet, après avoir rendu compte au pape Innocent XI des travaux et des études de monseigneur le Dauphin, termine sa lettre par lui annoncer son Discours sur l'Histoire universelle.

« Maintenant que le cours de ses études est presque » achevé, nous avons cru devoir travailler principale>> ment à trois choses.

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» Premièrement, à une Histoire universelle qui eût >> deux parties, dont la première comprit depuis l'origine du monde jusqu'à la chute de l'ancien em>> pire romain, et au commencement de Charlemagne ; >> et la seconde, depuis ce nouvel empire établi par les >> François.

» Il y avoit déjà longtemps que nous l'avions com» posée, et mème que nous l'avions fait lire au prince; >> mais nous la repassons maintenant et nous avons » ajouté de nouvelles réflexions qui font entendre toute » la suite de la religion et les changements des em>> pires, avec leurs causes profondes, que nous repre» nons dès leur origine.

>> Dans cet ouvrage on voit paroître la religion tou» jours ferme et inébranlable depuis le commence» ment du monde ; le rapport des deux Testaments lui >> donne cette force, et l'Evangile, qu'on voit s'élever » sur les fondements de la loi, montre une solidité » qu'on reconnoît aisément être à toute épreuve. On » voit la vérité toujours victorieuse, les hérésies ren» versées, l'Eglise, fondée sur la pierre, les abattre » par le seul poids d'une autorité si bien établie, et » s'affermir avec le temps; pendant qu'on voit au con>> traire les empires les plus florissants non-seulement » s'affoiblir par la suite des années, mais encore se » défaire mutuellement, et tomber les uns sur les >> autres.

>> Nous montrons d'où vient d'un côté une si ferme >> consistance, et de l'autre un état toujours changeant >> et des ruines inévitables.

>> Cette dernière recherche nous engage à expliquer >> en peu de mots les lois et les coutumes des Egyp» tiens, des Assyriens et des Perses; celles des Grecs, » celles des Romains, et celles des temps suivants; ce » que chaque nation a eu dans les siennes qui ait été >> fatal aux autres et à elle-même, et les exemples » que leurs progrès ou leur décadence ont donnés aux >> siècles futurs.

>> Ainsi nous tirons deux fruits de l'histoire univer» selle.

» Le premier est de faire voir tout ensemble l'au>> torité et la sainteté de la religion par sa propre stabilité » et sa durée perpétuelle; le second est que, connois»sant ce qui a causé la ruine de chaque empire, nous >> pouvons sur leur exemple trouver les moyens de sou>> tenir les états, si fragiles de leur nature, sans toute>> fois oublier que ces soutiens mêmes sont sujets à la loi >> commune de la mortalité, qui est attachée aux choses >> humaines, et qu'il faut porter plus haut ses espé

»rances. >>>

XXII.- De la Politique sacrée.

« Par le second ouvrage, nous découvrons les se>> crets de la politique, les maximes du gouvernement, » et les sources du droit dans la doctrine et dans les

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exemples de l'Ecriture sainte. On y voit non-seule>>ment avec quelle piété il faut que les rois servent » Dieu ou le fléchissent après l'avoir offensé, avec quel >> zèle ils sont obligés de défendre la foi de l'Eglise, à >> maintenir ses droits et à choisir ses pasteurs, mais >> encore l'origine de la vie civile; comment les hommes >> ont commencé à former leur société; avec quelle >> adresse il faut manier les esprits; comment il faut >> former le dessein de conduire une guerre, ne l'entre>> prendre pas sans bon sujet; faire une paix, soutenir >> l'autorité, faire des lois et régler un état. Ce qui fait >> voir clairement que l'Ecriture sainte surpasse autant >> en prudence qu'en autorité tous les autres livres qui » donnent des préceptes pour la vie civile, et qu'on ne » voit en nul autre endroit des maximes aussi sûres le gouvernement.

pour

>> Le troisième ouvrage comprend les lois et les cou>> tumes particulières du royaume de France. En comparant ce royaume avec tous les autres, on met sous les yeux du prince tout l'état de la chrétienté et » même de toute l'Europe.

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>> Nous achèverons tous ces desseins autant que le >> temps et nos moyens pourront le permettre. >>

Ces dernières lignes annoncent que Bossuet avoit commencé à s'occuper de ce troisième ouvrage comme des deux premiers, et qu'il les faisoit concourir tous les trois au même but. Mais il n'en est resté aucune trace ni parmi ses manuscrits, ni parmi ceux de l'abbé Ledieu. On regrettera toujours de ne pas avoir un tableau de la France et de l'Europe comparées sous tous les rapports de la législation et des mœurs, tracé de la même main qui a peint les Egyptiens, les Grecs et les Romains, et qui a posé les fondements de la véritable

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