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politique sur la religion et les grandes leçons de l'histoire.

XXIII.- Réflexions sur le Discours sur l'Histoire universelle.

Sans doute un pareil regret n'est que trop légitime, et une telle perte est irréparable. Mais la gloire de Bossuet n'a rien à désirer ni à regretter. Le Discours sur l'Histoire universelle a placé pour toujours Bossuet au premier rang des plus grands génies, et sa Politique sacrée offre une conception qui ne pouvoit appartenir qu'à lui.

Lorsqu'il conçut la première pensée de son Discours sur l'Histoire universelle, il ne se proposa d'abord que de donner un abrégé de l'histoire ancienne, pour que monseigneur le Dauphin pût conserver plus facilement le souvenir de ce qu'il en avoit appris. Les réflexions qui devoient en être le résultat étoient réservées pour servir de préface à ce tableau historique. Mais Bossuet ayant fait lire cette préface à des amis éclairés qu'il étoit dans l'usage de consulter, ils l'engagèrent à donner plus d'étendue à ses réflexions. C'est ainsi que ce qui n'étoit dans le premier plan qu'un accessoire, devint dans l'exécution l'objet principal et important. La partie historique n'en est plus que l'introduction.

Ce sont en effet ces réflexions qui ont donné un si grand caractère au Discours sur l'Histoire universelle. Cent trente ans se sont écoulés depuis qu'il a paru, et l'admiration, loin de s'être épuisée, s'accroît chaque jour encore à la lecture de ce magnifique ouvrage.

Une grande leçon a été donnée au monde; et de grandes réputations, des systèmes séduisants, dont le danger et la témérité se cachoient sous le charme de la parole, n'ont pu résister à cette terrible expérience. Lois, mœurs, opinions habitudes, tout a été renversé et détruit. Tout a changé de face en Europe depuis que Bossuet a parlé, et Bossuet est resté debout au milieu de tant de ruines. Il semble même s'être agrandi dans l'imagination de tout ce que les autres ont perdu dans

l'opinion. Il avoit écrit l'histoire de la chute des empires qui l'ont précédé ; et en la lisant aujourd'hui, on croit lire le récit prophétique des temps qui l'ont suivi. Au milieu de tant de vicissitudes, au bruit de ce fracas effroyable d'empires et de trônes qui tombent les uns sur les autres, les sages restent immobiles et tranquilles ; ils se confient avec Bossuet en cette Providence, qui n'a promis l'éternité qu'à un seul empire, à la reli→ gion.

Le Discours sur l'Histoire universelle fut achevé en même temps que finit l'éducation de monseigneur le Dauphin, vers la fin de 1679. Ce fut l'époque à laquelle le mariage de ce jeune prince avec la princesse de Bavière fut arrêté,

Bossuet, nommé premier aumônier de madame la Dauphine, fut envoyé avec toute la maison de cette princesse pour la recevoir sur la frontière *.

On apprendra ici un fait bien extraordinaire. Pourrat-on jamais croire que ce fut dans le cours même de ce voyage, au milieu des fêtes brillantes que madame la Dauphine trouvoit sur tous les lieux de son passage, que Bossuet s'arrachoit aux distractions inséparables d'un pareil mouvement, pour se renfermer dans son cabinet, et mettre la dernière main à son Discours sur l'Histoire universelle ?

Et au moment même où Louis XIV imposoit des lois à toute l'Europe, et donnoit à sa maison et à son trône une puissance qu'il croyoit avoir affermie sur des fondements inébranlables, Bossuet, les yeux fixés sur les ruines éparses de Babylone, de Tyr, de Memphis et de

* Le bruit courut que madame de Maintenon, dame d'atours de la nouvelle Dauphine, et Bossuet, son premier aumônier, avoient été dé tachés du reste de la maison, pour aller au-devant de cette princesse; et ce fut à cette occasion que madame de Sévigné écrivoit à sa fille, « Si madame la Dauphine croit que tous les hommes et toutes les » femmes de ce pays ont autant d'esprit que cet échantillon, elle sera » bien trompée. »>

La nouvelle étoit fausse; mais la réflexion de madame de Sévigné n'en est pas moins piquante.

tant de cités jadis si florissantes, lui montroit comment avoient fini tant de grandeurs et de prospérités.

Ce fut au retour de ce voyage *, et vers le commencement de 1691, que parut pour la première fois le Discours sur l'Histoire universelle.

A la vue de ce superbe monument, un cri d'admiration retentit d'un bout de l'Europe à l'autre. Le plan et l'exécution s'élevoient au-dessus de toutes les rivalités nationales, de tous les préjugés de parti et de toutes les différences d'opinion. Ce n'étoit pas un ouvrage de controverse, ou de circonstance. On n'y cherchoit pas le foible intérêt d'un point d'histoire, d'une découverte nouvelle dans les arts ou dans les sciences, d'une question de philosophie ou de littérature. Bossuet avoit voulu parler à tous les siècles, à tous les pays, à toutes les communions. Il avoit embrassé dans ce vaste tableau de l'histoire du monde tout ce qui doit exalter l'âme et l'imagination par la grandeur des événements, la magnificence des images et la majesté des oracles qu'il avoit puisés dans les livres sacrés. Par une espèce de prodige, qui sembloit communiquer à son style l'éclat et les figures du langage des prophètes, il avoit donné à la sagesse et à la raison tous les accents du génie et de l'inspiration. En enchaînant tout l'ordre des événements qui ont changé si souvent la face du monde, à l'ordre immuable des desseins de Dieu pour l'établissement de la religion, Bossuet donnoit au christianisme la plus auguste des sanctions, et il devoit réunir le suffrage de toute l'Europe, parce qu'alors dans l'Europe tout étoit chrétien.

*Le mariage de madame la Dauphine fut célébré par procureur à Châlons-sur-Marne, au mois de mars 1681. La Gazette de France, en rendant compte de cet événement, rapportoit que l'ancien évéque de Condom, premier aumônier de la princesse, avoit prété son serment en cette qualité, le premier.

Nous remarquons ici cette petite circonstance, parce qu'elle servit dans la suite de titre à Bossuet pour écarter la prétention du marquis de Dangeau, qui voulut (en 4697) prêter son serment en qualité de chevalier d'honneur de madame la duchesse de Bourgogne, avant Bossuet, nommé premier aumônier de cette princesse.

Aussi n'y eut-il qu'un concert unanime entre les catholiques et les protestants dans les justes éloges qu'ils prodiguèrent au Discours sur l'Histoire universelle. Les auteurs des journaux les plus opposés à la France et a Rome, le vantèrent avec le plus noble enthousiasme. Les Actes de Leipsick s'empressèrent, dès le premier moment, d'en donner l'analyse, et le firent connoître au nord de toute l'Europe. Au mois de juillet 1682, c'est-à-dire, un peu plus d'un an après qu'il eut paru en France pour la première fois, le Discours sur l'Histoire universelle avoit déjà été réimprimé dans toutes les principales villes de l'Europe.

L'abbé Ledieu nous apprend «que Bossuet lui avoit » dit à lui-même que, dès sa jeunesse et dès le moment » où il commença à étudier la religion dans l'Ecriture » et dans les Pères, il avoit conçu le dessein de ce grand travail, et qu'il se décida à l'exécuter, lorsqu'il » fut chargé de l'éducation de monseigneur le Dau» phin. »

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Il est difficile en effet de ne pas observer que cet ouvrage supposoit de profondes études, bien antérieures à l'époque où Bossuet fut nommé précepteur du fils de Louis XIV.

On voit par le seul exposé des faits qui embrassent une si longue étendue de siècles, que Bossuet ne s'étoit pas borné à les emprunter aux historiens qui en ont fait le récit avant lui; mais qu'il étoit remonté jusqu'aux premières sources où ces historiens les avoient puisés, et que ce n'étoit qu'après avoir soumis leurs traditions à la critique la plus sévère, qu'il les avoit fait entrer dans son tableau historique.

Quelques lignes suffisent à Bossuet pour présenter le résultat des recherches pénibles que lui avoit demandées l'examen de tant de systèmes de chronologie, entre lesquels il étoit obligé de se décider pour l'ordre de son travail.

C'est dans les écrivains de la Grèce et de Rome, historiens, philosophes, orateurs et poëtes, qu'il prend

tous les traits de caractère, de génie et de mœurs qui servent à distinguer les peuples, les gouvernements, et ces personnages fameux qui remplissent la scène de ce vaste théâtre. Obligé de renfermer en un petit nombre de pages l'histoire de tant de siècles, un seul mot, un seul trait devient, sous la plume de Bossuet, l'expression fidèle de la tradition toute entière. C'est là ce qui donne ce grand intérêt et ce mouvement si rapide à cette longue suite de tragédies qui ont ensanglanté la terre.

Mais le plus grand effort de génie devoit être de donner à tant de scènes différentes qui se sont succédé depuis les temps connus, cette unité d'action qui ne pouvoit venir que d'une cause unique et suprême ; et c'est ce que Bossuet a fait, et ce que peut-être lui seul pouvoit faire, en attachant l'histoire des empires à celle de la religion. Il a vu et il a montré l'action constante et invariable de la Providence dans toutes les vicissitudes et les révolutions du monde pour arriver à une seule fin, et cette fin a été l'établissement du christianisme. C'est en effet la religion qui est l'àme du Discours sur l'Histoire universelle.

Tout ce que l'Ecriture, les prophètes, les promesses divines, l'exposition des mystères, leur nécessité et leur vérité; tout ce que la tradition et les écrits des Pères offrent de preuves et de monuments de cette grande intention de la Providence, est rappelé dans cet ouvrage de Bossuet, et l'on est toujours frappé d'étonnement et d'admiration en considérant l'espace si borné dans lequel il a su renfermer tant de faits, d'autorités et de pensées.

L'abbé Ledieu rapporte que, relisant un jour avec Bossuet (sur la fin d'octobre 1699), son Discours sur l'Histoire universelle, il lui disoit « que ce qu'il y remar» quoit de plus extraordinaire, étoit d'y trouver un re»cueil fidèle et complet de toutes les preuves de la re» ligion, tirées des apologies des premiers Pères de » l'Eglise, et surtout du bel ouvrage de la Cité de Dieu,

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