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>> que saint Augustin avoit composé dans le même >> dessein.

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>> Cela est vrai, lui répondit Bossuet, telle étoit ma pensée; et j'ai voulu réunir à l'autorité des premiers apologistes et de saint Augustin tout ce qui est répandu » dans toute la tradition. Mais il y a plus: après avoir épuisé l'Ecriture et les Pères, j'ai voulu combattre de » mon propre fonds les philosophes anciens et les païens >> par des raisons nouvelles qui n'ont jamais été dites, » et que je tire le plus souvent de mes adversaires >> mêmes*. »

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Bossuet donna, en 1700, une troisième édition de son Discours sur l'Histoire universelle ** et il s'attacha

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* Arnauld disoit du Discours sur l'Histoire universelle, « qu'il y » avoit trouvé ce qu'il n'avoit jamais vu ailleurs, une suite de pen»sées si universelles et si bien liées, qu'elles remontoient des temps >> actuels au commencement du monde: dans la religion, et dans les » empires par rapport à la religion, toujours la même et toujours iné» branlable au milieu des changements des monarchies. » C'est ce que Bossuet racontoit lui-même à l'abbé Ledieu. Manuscrits.

**La première édition fut imprimée en 1681, in-4o. La seconde, qui n'en est qu'une copie, parut l'année suivante 1682, in-12.

Outre ce que Bossuet ajouta dans la troisième édition, il fit une nouvelle division des chapitres, corrigea des fautes de dates ou de citations, et même quelquefois le style. On a suivi cette édition dans la collection de ses OEuvres, Paris, 1743, in-4°, et dans les éditions faites séparément du Discours sur l'Histoire universelle, jusqu'en 1741. Mais, depuis 1753, les libraires de Paris qui avoient le privilége de cet ouvrage, au lieu de continuer à le réimprimer d'après l'édition de 1700, ont repris celle de 4681, et ont persisté à la suivre jusqu'à présent. Les éditions de Didot pour l'éducation du Dauphin, celle que le même imprimeur a publiée en 1814 parmi les meilleurs ouvrages de la langue françoise, et autres imprimées avec tant de luxe, où l'on auroit dù s'appliquer à donner le texte le plus correct, ne sont pareillement que des copies de la première édition, et on y a omis les additions et les corrections faites par Bossuet dans la troisième.

Cela est sans doute étonnant: mais ce qui surprend davantage, c'est de voir que jusqu'à nos jours il n'existoit point d'édition exacte et complète de ce chef-d'œuvre de l'évèque de Meaux, et que celle de Versailles, in-8°, est la première où l'on ait mis à la place qui leur convient les additions importantes et nombreuses que l'auteur y fit dans les dernières années de sa vie1. Ces divers morceaux, que j'ai transcrits sur le manuscrit autographe, ont pour but de mettre dans un nou1 Nous avons suivi l'édition de Versailles dans celle de Chalandre.

avec un soin extrême fortifier par un nouvel enchaînement de preuves, la liaison des livres de l'ancien et du nouveau Testament, et à constater leur authenticité par des raisons invincibles.

Deux mois seulement avant sa mort1, relisant encore avec l'abbé Ledieu le même ouvrage, il s'arrêta aux chapitres xxvii et xxvii de la seconde partie, qui concernent les livres de l'Ecriture, et il lui dit naturellement que « c'étoit là où se trouvoit la force de tout >> l'ouvrage, c'est-à-dire la preuve complète de la vé» rité de la religion et de la certitude de la révélation >> des livres saints contre les libertins *. Que là paroît vé>> ritablement tout ce qui est la pure production de son >> esprit, que ce sont de nouveaux arguments, qui n'ont » pas été traités par les saints Pères; nouveaux, di>> soit-il, puisqu'ils sont faits pour répondre aux nou>> velles objections des athées. »>

Il se fit relire ensuite quelques morceaux d'un genre moins sévère, où il avoit trouvé une espèce de charme à pouvoir s'abandonner à l'inspiration de son éloquence naturelle, telle que cette belle et heureuse transition du règne pacifique d'Auguste à la naissance de JésusChrist.

veau jour les preuves de l'authenticité des livres saints, de la liaison qu'ils ont entre eux, et de la vérité de la religion. Le plus considérable est un chapitre entier, le xxixe de la seconde partie, ayant pour titre : Moyen facile de remonter à la source de la religion, et d'en trouver la vérité dans son principe. On ne conçoit pas pourquoi l'abbé Bossuet, qui avoit ce manuscrit entre les mains, n'en a fait aucun usage dans les éditions publiées de son vivant, et notamment dans celle de 1730, in-4°. J'avois dessein d'insérer ces fragments parmi les Pièces justificatives, quand je me suis aperçu qu'on les avoit imprimés sous le titre de Variantes, en y joignant les changements faits en 1700, à la fin de l'édition stéréotype d'Herhan qui parut en 1806, 4 vol. in-48. Il est vraisemblable que l'éditeur n'aura eu communication de ces additions qu'après l'impression de l'ouvrage. Cela seul peut expliquer comment il ne les a pas mises à la place que l'auteur leur avoit assignée. 'Journal manuscrit de l'abbé Ledieu, sous la date du 2 février

1704.

* On appeloit alors libertins ceux qui portoient la liberté de penser jusqu'à la licence,

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« César et Pompée décidèrent leur querelle à Phar>> sale par une bataille sanglante. César victorieux parut >> en un moment par tout l'univers, en Egypte, en >> Asie, en Mauritanie, en Espagne; vainqueur de tous » côtés, il fut reconnu maître de Rome et dans tout >> l'empire. Brutus et Cassius crurent affranchir leurs ci» toyens en le tuant comme un tyran malgré sa clémence. >> Rome retomba entre les mains de Marc-Antoine, de » Lépide et du jeune César - Octavien, petit-neveu de » Jules-César, et son fils par adoption, trois insuppor>> tables tyrans, dont le triumvirat et les proscriptions >> font encore horreur en les lisant. Mais elles furent trop violentes pour durer longtemps; ces trois hommes >> partagent l'empire: César garde l'Italie, et changeant incontinent en douceur ses premières cruautés, » il fait croire qu'il y a été entraîné par ses collègues. >> Les restes de la république périssent avec Brutus et >> Cassius. Antoine et César, après avoir ruiné Lépide, >> se tournent l'un contre l'autre. Toute la puissance ro>> maine se met sur la mer. César gagne la bataille » d'Actium; les forces de l'Egypte et de l'Orient, qu'An>>toine menoit avec lui, sont dissipées. Tous ses amis » l'abandonnent, et même sa Cléopâtre, pour laquelle il » s'étoit perdu. Hérode Iduméen, qui lui devoit tout, est >> contraint de se donner au vainqueur, et se maintient » par ce moyen dans la possession du royaume de Judée, que la foiblesse du vieux Hircan avoit fait perdre >> entièrement aux Asmonéens. Tout cède à la fortune de » César, Alexandrie lui ouvre ses portes, l'Egypte devient » une province romaine; Cléopâtre, qui désespère de la » pouvoir conserver, se tue elle-même après Antoine, Rome » tend les bras à César, qui devient, sous le nom d'Au» guste, et sous le titre d'empereur, seul maître de tout » l'empire Il dompte, vers les Pyrénées, les Cantabres et » les Asturiens révoltés; l'Ethiopie lui demande la paix; » les Parthes épouvantés lui renvoient les étendards pris » sur Crassus, avec tous les prisonniers romains; les » Indes recherchent son alliance; ses armes se font sentir

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» aux Rhètes ou Grisons, que leurs montagnes ne peuvent défendre. La Pannonie le reconnoît; la Germanie le re» doute, et le Véser reçoit ses lois. Victorieux par mer et » par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l'univers vit » en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au >> monde. >>

S'il est dans le Discours sur l'Histoire universelle un tableau d'histoire aussi magnifique que celui que nous venons de mettre sous les yeux de nos lecteurs, c'est sans doute celui de la mort d'Alexandre.

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« Alexandre fit son entrée dans Babylone, avec un » éclat qui surpassoit tout ce que l'univers avoit jamais » vu... Pour rendre son nom plus fameux que celui de » Bacchus, il entra dans les Indes, où il poussa ses conquêtes plus loin que ce célèbre vainqueur; mais » celui que les déserts, les fleuves et les montagnes » n'étoient pas capables d'arrêter, fut contraint de céder » à ses soldats rebutés qui lui demandoient du repos; >> réduit à se contenter des superbes monuments qu'il >> laissa sur les bords de l'Araspe, il ramena son armée » par une autre route que celle qu'il avoit tenue, et dompta tous les pays qu'il trouva sur son passage.

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» Il revient à Babylone, craint et respecté, non pas » comme un conquérant, mais comme un Dieu; mais >> cet empire formidable qu'il avoit conquis, ne dura » pas plus longtemps que sa vie, qui fut fort courte; à l'âge de trente-trois ans, au milieu des plus vastes >> desseins qu'un homme eût jamais conçus, et avec les plus justes espérances d'un heureux succès, il mou» rut sans avoir eu le loisir d'établir ses affaires, laissant » un frère imbécile, et des enfants en bas âge, inca>>pables de soutenir un si grand poids.

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» Mais ce qu'il y avoit de plus funeste pour sa mai» son et pour son empire, est qu'il laissoit des capi»taines à qui il avoit appris à ne respirer que l'ambi» tion et la guerre. Il prévit à quels excès ils se porte>> roient quand il ne seroit plus au monde; pour les » retenir, ou de peur d'en être dédit, il n'osa nommer

» ni son successeur, ni le tuteur de ses enfants. Il prédit >> seulement que ses amis célébreroient ses funérailles » par des batailles sanglantes, et il expira dans la fleur » de son âge, plein des tristes images de la confusion » qui devoit suivre sa mort. Son empire fut partagé; >> toute sa maison fut exterminée, et la Macédoine, l'an» cien royaume de ses ancêtres, passa à une autre fa» mille. Ainsi ce conquérant, le plus renommé et le » plus illustre qui fut jamais, a été le dernier roi de » sa race. S'il fût demeuré paisible dans la Macédoine, » la grandeur de son empire n'auroit pas tenté ses ca>> pitaines, et il auroit pu laisser à ses enfants le » royaume de ses pères; mais, parce qu'il avoit été » trop puissant, il fut la cause de la perte de tous les >> siens, et voilà le fruit glorieux de tant de conquêtes.

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En finissant le récit de cet entretien, dans lequel il faut se représenter Bossuet prêt à descendre au tombeau *, luttant depuis dix mois contre la plus cruelle de toutes les maladies ** et conservant, dans un corps détruit par l'excès des souffrances, cet amour immense de la religion et de l'étude qui avoit rempli sa longue vie, l'abbé Ledieu fait cette réflexion touchante.

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« Au reste 1, M. de Meaux se console de ses souffrances » par la méditation de la vérité et par l'Evangile, qu'il » se fait lire tous les jours matin et soir. Je ne doute » pas qu'il n'ait repris la lecture de son Histoire uni» verselle, pour se remettre dans l'esprit toutes les grandes vérités qu'il y traite. »

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Nous n'avons considéré ce chef-d'œuvre de Bossuet que sous les grands rapports qui lui en ont inspiré la pensée, et qui étoient les seuls dignes d'appeler tous les efforts de son génie. Tandis que les nations et les empires viennent se succéder sur ce théâtre changeant et mobile, on voit toujours Bossuet, dominé par une seule pensée, observer la cause toute-puissante qui pré

*Il mourut deux mois après. ** Il étoit malade de la pierre, 1 Manuscrits.

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