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user au gré de leurs caprices; ils ne doivent s'en servir qu'avec crainte et retenue, comme d'un dépôt que Dieu le ua confié, et dont il leur demandera un compte rigoureux.

« L'autorité royale doit être absolue. Pour rendre ce >> terme odieux et insupportable, observe Bossuet, plu>> sieurs affectent de confondre le gouvernement ab>> solu avec le gouvernement arbitraire, mais rien n'est >> plus différent *. »

Un gouvernement est absolu, lorsqu'il n'existe au

* On peut observer avec quelque surprise que Voltaire s'est exactement rencontré avec Bossuet sur cette distinction importante du pouvoir absolu et du pouvoir arbitraire. Il s'élève avec raison contre ces écrivains insensés, qui, dès son temps, s'abandonnoient, sans mesure et sans jugement, aux plus violentes déclamations contre le gouvernement de Louis XIV.

La Baumelle, encore jeune, s'étoit permis dans un de ses ouvrages, de prononcer, avec toute la présomption ordinaire à son âge, « qu'un roi absolu, qui veut le bien, est un étre de raison, et que Louis XIV ne réalisa jamais cette chimère. »

« Apprenez, jeune homme, » lui répond Voltaire, « que cette crimi» nelle remarque est aussi punissable que fausse.... Apprenez qu'un » roi absolu, quand il n'est pas un monstre, ne peut vouloir que la » grandeur et la prospérité de son état, parce qu'elle est la sienne » propre, parce que tout père de famille veut le bien de sa maison. » Il peut se tromper sur le choix des moyens; mais il n'est pas dans la »> nature qu'il veuille le mal de son royaume. »

Voltaire s'étonne avec raison de ce que le mot despotique, qui, dans son origine, n'étoit que l'expression du pouvoir très-foible et très-limité d'un petit vassal de Constantinople, signifie aujourd'hui un pouvoir absolu et même tyrannique.

« On en est venu au point, ajoute Voltaire, de distinguer parmi » les formes de gouvernements ordinaires, le gouvernement despo>>tique dans le sens le plus affreux, le plus humiliant pour les hommes » qui le souffrent, et le plus détestable dans ceux qui l'exercent. On » s'étoit contenté auparavant de reconnoître deux espèces de gouver»nements, et de ranger les uns et les autres sous différentes divisions. » On est parvenu à imaginer une troisième forme d'administration » naturelle, à laquelle on a donné le nom d'Etat despotique, dans la» quelle il n'y a d'autre loi, d'autre justice, que le caprice d'un seul homme. On ne s'est pas aperçu que le despotisme, dans ce sens >> abominable, n'est autre chose que l'abus de la monarchie, de même » que dans les états libres, l'anarchie est l'abus de la république..... » Voilà comme on s'est formé un fantôme hideux pour le combattre, » et en faisant la satire de ce gouvernement despotique, qui n'est que

cune puissance capable de forcer le souverain, et c'est dans ce sens qu'il est indépendant de toute autorité humaine. Mais il ne s'ensuit pas de là que le gouvernement soit arbitraire.

« Il y a des lois dans les empires légitimes, contre les» quelles tout ce qui se fait est nul de droit ; et il y a >> toujours ouverture à revenir contre, ou dans d'autres >> temps, de sorte que chacun doit demeurer légitime » possesseur de ses biens; et tout gouvernement étant » établi pour affranchir les hommes de toute oppres»sion et de toute violence, la liberté des personnes >> est un droit sacré de la nature et de la société. L'ac» tion contre les injustices et les violences est donc immor»telle. »

On ne peut cependant se dissimuler qu'il est bien plus facile d'établir ces distinctions dans une théorie politique, que d'en assurer le maintien dans l'action ordinaire des gouvernements. C'est un grand malheur sans doute, mais c'est un malheur inévitable, et qui est commun à presque toutes les formes de gou vernement. Les passions humaines, les vicissitudes politiques, l'empire des circonstances ont bien plus de force que toutes ces foibles barrières, que la main des sages se plait à élever contre l'abus de la puissance. Mais les esprits éclairés et les hommes vertueux aiment à reposer leurs pensées et leurs espérances sur ces images

» le droit des brigands, on a fait celle du monarchique, qui est celui » des pères de famille.

» Je ne veux point entrer dans un détail délicat qui me mèneroit » trop loin. Mais je dois dire que j'ai entendu par le despotisme de » Louis XIV, l'usage toujours ferme, et quelquefois trop grand, qu'il » fit de son pouvoir légitime. Si, dans des occasions, il a fait plier » sous ce pouvoir les lois de l'état qu'il devoit respecter, la postérité le » condamnera en ce point. Ce n'étoit pas à moi de prononcer sur ce » point. Mais je défie qu'on me montre aucune monarchie sur la » lerre, dans laquelle les lois, la justice distributive, les droits » de l'humanité aient été moins foulés aux pieds, et où l'on ait fait » de plus grandes choses pour le bien public, que pendant les cin» quante-cinq années que Louis XIV régna lui-même. »

Supplément au Siècle de Louis XIV, première partie.

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d'ordre, de paix et de bonheur. D'ailleurs la distinction de Bossuet entre le pouvoir absolu et le pouvoir arbitraire a un fondement très-réel en elle-même, et elle peut servir à prévenir ou à réparer de grandes injustices.

Bossuet rappelle le fameux discours de Samuel aux Hébreux, lorsque, pour leur faire mieux sentir tout le poids des obligations qu'ils alloient contracter en se donnant un roi, ce prophète leur expose, sous le titre de droit du roi, tous les abus et tous les excès de la puissance arbitraire.

« Mais, reprend Bossuet, est-ce que les rois ont le >> droit de faire tout cela licitement? A Dieu ne plaise; >> car Dieu ne donne point de tels pouvoirs. Mais les rois » auront le droit de le faire impunément à l'égard de >> la justice humaine. »

<< S'il y a dans un état quelque autorité capable d'ar>> rêter le cours de la puissance publique, et de l'em>> barrasser dans son exercice, personne n'est en sû>> reté. »

<«< Les princes affectent quelquefois une fausse fermeté; >> mais la plus grande de toutes les foiblesses est de » craindre trop de paroître foible. »

« Les princes doivent sans doute être instruits, et >> chercher à s'instruire; mais il ne faut pas s'imaginer >> le prince, un livre à la main, avec un front soucieux >> et des yeux profondément attachés à la lecture. Son » livre principal est le monde. Son étude, c'est d'être at>> tentif à ce qui se passe devant lui, pour en profiter. »

On voit, par cette dernière maxime, combien on a été peu fondé à reprocher à Bossuet d'avoir voulu charger le prince son élève d'une érudition inutile à son rang.

«La vie du prince doit être sérieuse. Il n'y a rien >> parmi les hommes de plus sérieux, ni de plus grave » que l'office de la royauté.

» Il n'y a rien de plus flatteur que la gloire militaire; » elle décide souvent d'un seul coup des choses hu

» maines, et semble avoir une espèce de toute-puissance >> en forçant les événements; et c'est pourquoi elle >> tente si fort les rois de la terre. Mais combien elle » est vaine! »>

Bossuet a parlé aux sujets de leurs devoirs, il va parler aux rois.

« Je n'appelle pas majesté, dit Bossuet, cette pompe >> qui environne les rois, ou cet éclat extérieur qui » éblouit le vulgaire. C'est le rejaillissement de la ma ́» jesté, et non pas la majesté elle-même. La majesté » est l'image de la grandeur de Dieu dans le prince. Le » prince, en tant que prince, n'est pas regardé comme » un homme particulier, c'est un personnage public, » tout l'état est en lui; la volonté de tout le peuple est >> renfermée dans la sienne. Quelle grandeur qu'un >> seul homme en contienne tant! La puissance de Dieu » s'est fait sentir en un instant de l'extrémité du monde » à l'autre. La puissance royale agit en même temps » dans tout le royaume; elle tient tout le royaume en » état, comme Dieu y tient tout le monde. Que Dieu re» tire sa main, le monde retombera dans le néant; que >> l'autorité cesse dans le royanme, tout sera en con>> fusion. Ramassez tout ce qu'il y a de grand et d'au» guste; voyez un peuple immense réuni en une seule » personne; voyez cette puissance sacrée, paternelle >> et absolue; voyez la raison secrète qui gouverne tout » le corps de l'état, renfermé dans une seule tête ; vous » voyez l'image de Dieu, et vous avez l'idée de la majesté royale. Oui, Dieu l'a dit : Vous êtes des dieux. » Mais, ô dieux de chair et de sang! ô dieux de boue » et de poussière, vous mourrez comme des hommes ! >> O rois! exercez donc hardiment votre puissance, car » elle est divine et salutaire au genre humain ; mais >> exercez-la avec humilité, car elle vous est appliquée >> par le dehors; au fond elle vous laisse foibles, elle >> vous laisse mortels, et elle vous charge devant Dieu » d'un plus grand compte. »

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XXV.- Réflexions sur le traité de la Politique sacrée.

Nous avons cru devoir réunir sous un seul point de vue les maximes les plus importantes qui se trouvent répandues dans la Politique sacrée de Bossuet; mais c'est dans l'ouvrage même que l'on doit chercher tous les principes et toutes les règles de détail qui s'appliquent à l'ensemble du gouvernement et à toutes les parties de l'administration. On verra que si Bossuet accorde beaucoup aux rois en pouvoir et en autorité, ce n'est ni pour flatter leur ambition ni pour favoriser leurs passions. C'est uniquement parce qu'il regarde leur indépendance et l'exercice de leur puissance, comme le fondement du bonheur du peuple et de la tranquillité des empires. Les obligations immenses qu'il impose aux souverains dans l'usage du pouvoir suprême, dans le respect et la soumission qu'ils doivent à la religion, dans la dispensation exacte et sévère de la justice, dans l'administration des revenus publics; les exemples terribles qu'il met sous leurs yeux, de tant de rois que l'abus de la puissance a conduits aux plus déplorables catastrophes, les châtiments éclatants qu'il leur dénonce au nom d'un Dieu vengeur des peuples opprimés, tout révèle à ces dieux de la terre le secret de leur propre foiblesse, et les avertit à chaque page que les rois peuvent aussi étonner l'univers par l'excès de leur infortune.

La manière franche et décidée dont Bossuet s'explique sur l'autorité absolue des rois, ne laisse sans doute aucune incertitude sur ses principes de politique. On voit que, parmi toutes les formes de gouvernement, il donne une préférence entière à une monarchie fortement constituée, dont le chef suprême doit être investi de toute la force et de tous les moyens nécessaires pour imprimer une action rapide et irrésistible à tout les ressorts de l'administration; on ne peut douter que son opinion ne fût le résultat d'une étude profonde de l'histoire et de longues méditations sur toutes les vicissitudes dont elle offre le tableau.

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