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Fénélon furent l'un à l'autre jusqu'au dernier moment de leur vie.

On doit cependant observer que la différence des positions où se trouvèrent placés les deux élèves, peut expliquer à quelques égards la différence des relations qu'ils conservèrent avec leurs anciens instituteurs. Le fils de Louis XIV n'eut jamais ni la volonté, ni le pouvoir d'influer sur les affaires; et, en supposant même qu'il eût été disposé à consulter Bossuet, il est difficile de savoir sur quoi il auroit pu le consulter.

La situation du duc de Bourgogne fut bien différente la dernière année de sa vie. Il entra en partage de l'autorité suprême, et tous les ministres reçurent ordre de lui communiquer leur travail. Ses amis les plus vertueux ne lui dissimuloient pas que son aïeul étoit plus que septuagénaire, et qu'il pouvoit à chaque instant être appelé au trône; dans une pareille situation, il étoit assez naturel que l'élève réclamât souvent les conseils de son ancien instituteur.

Sera-t-il permis d'ajouter que Mentor ne se seroit probablement pas refusé à devenir le conseil d'Idoménée. Tout, au contraire, porte à croire que Bossuet auroit refusé d'accepter un autre ministère que le ministère évangélique, qu'il remplissoit avec tant d'antorité.

Bossuet vécut toujours dans la plus parfaite intelligence avec le duc de Montausier, qui mourut en 1690, et ce fut Bossuet qui, dans cette triste circonstance, lui rendit les derniers devoirs de la religion, et célébra les saints mystères à la pompe de ses funérailles.

Tous les deux concoururent avec un accord invariable au travail de l'éducation qui leur étoit confiée. Tous les deux étoient animés de la noble passion de former un grand prince, et un fils digne de son père.

Le duc de Montausier auroit voulu montrer à une nation guerrière et valeureuse un chef propre à commander les armées, et un prince d'une probité assez austère pour aimer à déplaire aux courtisans.

Bossuet vouloit graver profondément dans l'âme de son élève ces principes religieux qui peuvent seuls rassurer les peuples contre les abus de la puissance. Il vouloit un prince assez instruit et assez éclairé pour sentir, penser et agir par lui-même, et qui fût capable de conserver à la France la prééminence de gloire où elle se trouvoit élevée.

On sent que ces deux méthodes, quoique différentes, n'étoient que l'expression de la même pensée, celle que l'on cherche et que l'on trouve dans l'idée d'un grand roi et d'un bon roi *.

LIVRE CINQUIÈME.

GENRE DE VIE DE BOSSUET A LA COUR. CONFÉRENCE AVEC LE MINISTRE CLAUDE. AFFAIRE DE MADAME DE LA VALLIÈRE. AFFAIRE DE MADAME DE MONTESPAN.

I. Bossuet vit dans la retraite à la cour.

Pendant toute l'éducation de monseigneur le Dauphin, Bossuet se renferma dans l'exercice de ses devoirs et de ses fonctions. Estimé et respecté de toute la cour, il Ꭹ vécut dans la retraite, et il n'entretint avec toutes les personnes que la naissance, les dignités, le crédit ou la faveur élevoient au premier rang, que les simples relations commandées par le devoir ou prescrites par l'usage.

Cette conduite fut généralement approuvée. On sentit qu'en s'éloignant du commerce du monde, il honoroit plus son siècle et la cour par ses études et ses travaux, qu'il n'auroit pu le faire par une oisive assiduité dans la société. Il étoit d'ailleurs prévenant et poli; il ne manquoit jamais à aucun devoir de bienséance. Les

Voyez les Pièces justificatives du livre quatrième ( n. 2. )

ministres et tous les grands de la cour vouloient être comptés au nombre de ses amis, et la bienveillance même des princes venoit le chercher jusque dans sa retraite.

« Il vécut1 à la cour avec la frugalité et la modestie » dont il a fait profession toute sa vie. Sa table étoit >> servie d'une manière convenable, mais sans délica» tesse et sans profusion; ses meubles très-simples, son >> équipage modeste, sa maison peu nombreuse et com» posée des seuls domestiques nécessaires à son service. >> Sans faste, sans ostentation, sans vains amusements, >> il ne parut jamais rien sur sa personne que de grave » et de sérieux; on eût cru voir un simple ecclésias>> tique. >>

Bossuet n'étoit pas seulement à la cour le précepteur du Dauphin. Déjà placé par l'opinion publique au premier rang des grands hommes d'un grand siècle, sa renommée avoit fixé autour de lui un certain nombre de disciples choisis qui s'honoroient d'être admis à l'école d'un tel maître. La plupart étoient ecclésiastiques, et attachés à la cour par les fonctions qu'ils y exerçoient; quelques magistrats et des gens de la cour qui partageoient le même goût pour l'étude et la retraite, étoient aussi admis dans cette société si distinguée.

Tous ces hommes, plus ou moins célèbres, que leur rang et leur profession sembloient devoir rendre étrangers à un genre de vie si grave et si sérieux, venoient se réunir tous les jours chez Bossuet à une heure marquée. Lorsque le temps et la saison le permettoient, ils se rendoient tous ensemble à la promenade pendant les séjours de la cour à Saint-Germain, à Versailles et à Fontainebleau.

Pendant toute sa vie et même au dernier voyage que Bossuet fit à Versailles, peu de mois avant sa mort, pendant l'été de 1705, « il ne parut jamais à la cour » dans les promenades publiques, qu'environné de » l'élite du clergé. » Les générations s'étoient succédé, Mts. de Ledieu.

d'autres disciples avoient remplacé les premiers disciples de Bossuet; mais il étoit toujours resté le chef et l'oracle de cette école de religion et de science.

« C'étoit un spectacle imposant pour tout ce qui habi>> toit Versailles, de voir jusqu'à la fin de sa vie ce » vieillard vénérable par ses cheveux blancs, et plus >> encore par tant de travaux et de gloire, se promener, >> suivi de ce nombreux cortége, dans les allées du >> Petit- Parc de Versailles, et surtout dans celle que » toute la cour étoit convenue d'appeler l'allée des Phi»losophes,» pour consacrer en quelque sorte le souvenir des promenades de Bossuet et de ses disciples.

Ces philosophes * étoient, comme on l'a dit, Fénélon, l'abbé Fleury, Pellisson, l'abbé Renaudot, l'abbé de la Broue, l'abbé de Langeron, l'abbé de Saint-Luc, La Bruyère, l'abbé de Longuerue, Cordemoi et quelques autres. « C'étoit dans ces promenades qu'on voyoit Bos>> suet résoudre les difficultés qu'on proposoit sur l'E>> criture sainte, expliquer un dogme, traiter un point >> d'histoire ou une question de philosophie. Là régnoit » une entière liberté. On parloit de tout indifférem» ment, sans gêne, sans prétention. Aux plus graves >> discussions sur la religion et sur la philosophie se >> mêloient des réflexions sur les nouveaux ouvrages » de littérature qui occupoient le public; et souvent >> Bossuet, entraîné par son goût pour tout ce qui étoit » grand et sublime, récitoit avec une mémoire im>> perturbable les plus beaux morceaux des poètes an>> ciens et modernes. >>

Quelquefois même avec cette simplicité naïve que n'exclut pas le génie, «< il laissoit lire devant lui quelques >> fragments de ses propres ouvrages; il recueilloit les ob>>servations de tous ceux qui l'écoutoient; il profitoit de >> leurs avis pour y faire tous les changements et toutes » les corrections qu'on paroissoit désirer. C'est ainsi, >> ajoute l'abbé Ledieu, que fut lue et corrigée en 1703, Il est assez piquant d'observer comment, en moins d'un siècle, ce nom de philosophe a changé d'acception.

>> aux promenades qu'il fit pendant son dernier séjour » à Versailles, sa Politique sacrée, à laquelle il mettoit » la dernière main, et qu'il étoit prêt à publier. »

1

L'abbé de Choisy, revenu de ses voyages et des égarements de sa jeunesse, alors occupé d'études plus sérieuses, ne parle qu'avec enthousiasme du bonheur qu'il a trouvé à entendre Bossuet, et à vivre avec lui. « Quels agréments dans sa société! quelle égalité » dans son humeur! quels charmes dans sa conversa» tion! nous y apprenions toujours en nous réjouissant >> sans cesse ; chacun avoit la liberté d'y mettre du sien, » le maître de la maison ne vouloit point de préfé»rence; et si la supériorité de son génie ne l'avoit >> pas fait reconnoître, sa modestie l'eût fait oublier. »>

II. Conférences sur l'Ecriture sainte.

Ces promenades philosophiques, qui rappellent en quelque sorte celles de Platon et des premiers fondateurs des écoles de la Grèce, avoient commencé dès 1673, à Saint-Germain, où la cour étoit encore fixée pendant les hivers *; il n'y avoit point alors, les aprèsmidi, d'office divin les dimanches ni les fêtes à la chapelle du château. Ce fut pour en tenir lieu, que Bossuet proposa à ses disciples de consacrer leur promenade accoutumée à l'étude de l'Ecriture sainte; et comme on étoit alors dans l'avent, ce fut par la lecture des prophéties d'Isaïe que l'on commença ce grand travail.

On se servit d'un exemplaire de la grande Bible de Vitré, qui appartenoit à Bossuet, et dont les marges offroient tout l'espace nécessaire pour recevoir les notes qui devoient être le résultat de ces utiles discussions; l'abbé Fleury fut choisi pour tenir la plume, et transcrire, au retour de chaque promenade, les notes à la marge, à mesure qu'elles étoient convenues et arrê'Eloge de Bossuet par l'abbe de Choisy.

* Dès 1672, Louis XIV fixa son séjour à Saint-Germain pendant les hivers, et il alloit passer les étés à Versailles. Cette disposition subsista jusqu'en 1682. Mais depuis l'été de 1682, Louis XIV s'établit entièrement à Versailles, et ne fit plus aucun séjour à Saint-Germain.

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