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» sant par votre état une partie si considérable des gran» deurs du monde, vous assistiez quelquefois aux cérémo»nies où on apprend à les mépriser. »

Bossuet avoit probablement prévu qu'on ne trouveroit pas dans son discours ce que l'on avoit espéré y trouver. C'est peut-être par cette raison qu'il adressa ces paroles à ses auditeurs : « Allez, ne songez pas au pré» dicateur qui vous a parlé, ni s'il a bien ou s'il a mal » dit. Qu'importe qu'ait dit un homme mortel? Il y a un » prédicateur invisible, qui prêche dans le fond des cœurs. » C'est celui-là que les prédicateurs et les auditeurs doivent » écouter. »

D'ailleurs l'instruction de ses auditeurs, dans une pareille circonstance, n'étoit que l'objet accessoire et indirect du discours de Bossuet. C'étoit à madame de La Vallière surtout qu'il parloit et qu'il vouloit parler, et le monde n'étoit plus rien pour elle. Le passé étoit fini et effacé de sa mémoire; elle étoit même étrangère au présent, puisqu'elle étoit déjà morte à tout ce qui existoit autour d'elle. De là cette espèce de langage mystique avec lequel madame de La Vallière s'étoit déjà familiarisée dans ses pieuses méditations, et ce langage étoit conforme à l'esprit d'un tel discours.

Bossuet n'est jamais orateur, il est souvent éloquent sans le vouloir; c'est ce qu'on peut observer dans ce mème discours, où il sembloit s'être interdit tout mouvement oratoire, pour ne laisser entendre que les pieux accents de cette âme qui ne respiroit plus que du côté du ciel. Entraîné comme malgré lui par son génie, Bossuet laisse échapper sous la forme la plus éloquente les réflexions que lui arrache le mystère de la nature humaine, mystère qui seroit entièrement inexplicable s'il n'étoit pas lié à la doctrine fondamentale de tout le christianisme.

<< Les sentiments de religion sont la dernière chose » qui s'efface en l'homme, et la dernière que l'homme >> consulte; rien n'excite de plus grands tumultes parmi » les hommes, rien ne les remue davantage, et rien en

>> même temps ne les remue moins. En voulez-vous voir » une preuve? A présent que je suis assis dans la chaire » de Jésus-Christ et des apôtres, et que vous m'écoutez » avec attention, si j'allois (ah! plutôt la mort) si j'allois » vous enseigner quelque erreur, je verrois tout mon au» ditoire se révolter contre moi; je vous préche les vérités » les plus importantes de la religion, que feront – elles? >> Est-ce un prodige? est-ce un assemblage monstrueux >> de choses incompatibles? est-ce une énigme inexpli>> cable? ou bien n'est-ce pas plutôt, si je puis parler » de la sorte, un reste de lui-même, une ombre de ce >> qu'il étoit dans son origine; un édifice ruiné, qui dans >> ses masures renversées conserve encore quelque >> chose de la beauté et de la grandeur de sa première » forme. Il est tombé en ruines par sa volonté dépra» vée. Le comble s'est abattu sur les murailles, et les » murailles sur le fondement; mais qu'on remue ces >> ruines, on trouvera dans les restes de ce bâtiment ren» versé et les traces des fondations, et l'idée du pre>> mier dessin, et la marque de l'architecte? L'impres>>sion de Dieu y reste encore si forte, qu'il ne peut la >> perdre, et tout ensemble si foible, qu'il ne peut la >> suivre ; si bien qu'elle semble n'être restée que pour » le convaincre de sa faute et lui faire sentir sa >> peine. >>

C'est encore Bossuet qui se montre et qu'on entend lorsque, prêt à finir son discours, il prend tout-à-coup le langage et le caractère imposant de ces prophètes que Dieu chargeoit de porter ses ordres. Etendant sa main vers madame de La Vallière, placée en face de lui dans une tribune élevée à côté de la reine, Bossuet lui dit d'un ton d'autorité : « Et vous, descendez, allez » à l'autel, victime de la pénitence, allez achever votre » sacrifice; le feu est allumé, l'encens est prêt, le glaive » est tiré; le glaive est la parole qui sépare l'âme d'avec » elle-même, pour l'attacher uniquement à Dieu. »

Madame de La Vallière vécut trente-six ans sous le nom de sœur Louise de la Miséricorde, dans les pra

tiques et les rigueurs de la vie austère des carmélites *.

On voit par les lettres de madame de Maintenon, que Louis XIV ne parloit jamais d'elle qu'avec un sentiment d'estime et de respect.

VII.- Conseils de Bossuet au maréchal de Bellefonds.

Le maréchal de Bellefonds **, qui avoit eu tant de part à la confiance et à la retraite de madame de La Vallière, réunissoit à des talents militaires des sentiments nobles et élevés, et à une piété austère une inflexibilité de caractère qui lui attira deux fois la disgrace de Louis XIV. Il fut exilé dès 1672, pour avoir refusé de servir tous les ordres du maréchal de Turenne, qui, en qualité de maréchal général des camps et armée du Roi, avoit reçu le pouvoir de commander à tous les autres maréchaux de France. Cette première disgrace ne fut que passagère et momentanée.

Mais il mécontenta encore le Roi en 1674 pour s'être permis d'engager une action avec l'ennemi, malgré les ordres du maréchal de Créqui, qui commandoit en chef; et quoiqu'il eût remporté un avantage signalé en cette occasion, Louis XIV ne crut pas devoir laisser impuni un exemple qui pouvoit n'avoir pas toujours des résultats aussi heureux. Il fut exilé une seconde fois, et passa le reste de sa vie dans une espèce de disgrace, adoucie quelquefois par des témoignages d'estime qu'il reçut du Roi. Bossuet lui donna dans cette circonstance des conseils inspirés par le plus tendre intérêt, et conformes aux devoirs d'un ami vrai et fidèle. Il lui écrivoit le 24 mai 1674 : « Quels que soient les ordres et les >> desseins de la Providence sur vous, je les adore, et je >>> crois que vous n'avez point de peine à vous y sou

* Elle mourut le 6 juin 1740, àgée de soixante-cinq ans et dix mois. ** Bernard Gigault, maréchal de Bellefonds, mourut le 24 novembre 4694, à l'âge de soixante-quatre ans, au château de Vincennes, dont il étoit gouverneur. Il fut enterré dans le chœur de la chapelle de ce chateau. On y lisoit encore son épitaphe avant la révolution. Il avoit perdu son fils. Sa fille épousa le marquis du Châtelet,

» mettre. Le christianisme n'est pas une vaine spéculation, » et il faut s'en servir dans l'occasion, ou plutôt il faut » faire servir toutes les occasions à la piété chrétienne, qui » est la règle supérieure de notre vie... Quoi qu'il en soit, » je vous prie, s'il y a quelque ouverture au retour, ne >> vous abandonnez pas. Fléchissez, contentez le Roi; » faites qu'il soit en repos sur votre obéissance. Il y a des » humiliations qu'il faut souffrir pour une famille, et » quand elles ne blessent pas la conscience, Dieu les tient » faites à lui-même. »

Ces derniers conseils de la sagesse de Bossuet, et les motifs dont il les appuie, ont d'autant plus de poids dans sa bouche, qu'on ne les attendoit peut-être pas de sa part. Mais Bossuet, inflexible dans la défense de la vérité, savoit s'accommoder dans la conduite de la vie aux temps et aux hommes; et c'est une preuve remarquable de la justesse de son esprit.

Il arriva au maréchal de Bellefonds ce qui arrive souvent aux malheureux. La solitude et le délaissement où ils se trouvent, les rend quelquefois méfiants et injustes. Ils se croient abandonnés de leurs amis les plus fidèles; et le maréchal de Bellefonds paroît avoir eu la foiblesse de craindre que Bossuet, fixé par état et par devoir à la cour, ne ressemblât à ces courtisans qui évitent d'entretenir des relations trop suivies avec ceux que la disgrace en a éloignés. C'étoit assurément bien mal connoître Bossuet. Il ne mettoit pas sans doute dans les démonstrations de son affection une exagération qui n'étoit ni dans ses manières, ni dans son caractère : mais personne ne fut jamais plus fidèle que lui à l'amitié. Il écrivoit au maréchal de Bellefonds' : « Mandez» moi, je vous supplie, si la longue solitude ne vous » abat point, et si votre esprit demeure dans la même assiette, et ce que vous faites pour vous soutenir et » pour empêcher que l'ennui ne vous gagne. Une étin» celle d'amour de Dieu est capable de soutenir un cœur » durant toute l'éternité. Dites-moi comme vous êtes, 119 mars 1675.

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» et je vous prie, ne croyez jamais que je change pour » vous. J'ai toujours sur le cœur le soupçon que vous en » eútes; et qu'auriez-vous fait qui me fit changer? Quoi! » parce que vous êtes moins au monde, et par conséquent plus à Dieu, je serois changé à votre égard! Cela pour» roit-il tomber dans l'esprit d'un homme qui sait si bien » que les disgraces du monde sont des grâces du ciel des » plus précieuses? »

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VIII.- Affaire de madame de Montespan. 1675.

C'étoit dans le temps même où Bossuet mettoit le dernier sceau aux engagements sacrés que madame de La Vallière venoit de prendre, qu'il fut mêlé à une négociation du même genre, mais d'une nature bien plus délicate, et dont le succès ne répondit ni à ses espérances, ni aux efforts de son zèle.

Rien ne ressembloit moins au caractère de madame de La Vallière, que celui de madame de Montespan *. D'ailleurs madame de La Vallière, malheureuse et délaissée, n'avoit eu à combattre que son propre cœur, et son cœur avoit déjà commencé à goûter les consolations puissantes de la religion. Madame de Montespan, au contraire, exerçoit avec toute la domination de son caractère l'empire qu'elle devoit aux agréments de son esprit et à tous les avantages dont la nature l'avoit douée.

Quoique le caractère de madame de Montespan ait prêté à de justes reproches, on doit cependant convenir qu'elle avoit beaucoup d'élévation dans l'âme et dans les sentiments. Trop fière pour être ambitieuse, elle se montra toujours supérieure aux intrigues et aux bassesses, si communes dans les cours. Elle ne fit jamais usage de son ascendant sur Louis XIV pour influer sur son gouvernement; et elle n'employa son crédit que pour environner ce prince de tous les grands hommes qui faisoient l'ornement de son règne et de son siècle.

Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart; marquise de

Montespan,

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